Une lésion inattendue sur le corps déclenche
simultanément trois types de réponse. Une réaction
d’alerte qui inclut un réajustement postural et une réorientation
de la tête et des yeux pour examiner la région endommagée.
Une réponse comportementale plus élaborée,
pouvant inclure l’expression verbale de la douleur, des gémissements, des plaintes,
des cris ou des pleurs. Également des expressions faciales typiques, le frottement
de la région endolorie afin
d’en diminuer la douleur, l’adoption d’une position du corps réduisant l’intensité
de la douleur, une diminution de la mobilité et de l’activité en général, etc.
La description de l’explorateur David Livingstone
de l’attaque d’un lion qu’il a subie montre de façon éloquente que la douleur
n’est pas toujours proportionnelle à la gravité des blessures.
“Rugissant
à mon oreille d’une horrible façon il m’agita vivement comme un terrier le fait
d’un rat. La secousse me plongea dans cette sorte d’engourdissement où l’on n’éprouve
ni le sentiment de l’effroi ni celui de la douleur, quoique l’on ait parfaitement
conscience de tout ce qui arrive : un état semblable à celui des patients qui
sous l’influence du chloroforme voient tous les détails de l’opération, mais ne
sentent pas l’instrument du chirurgien. […] La secousse anéantit la crainte et
paralyse tout sentiment d’horreur tandis qu’on regarde l’animal en face. Cette
condition particulière est sans doute produite chez tous les animaux qui servent
de proie aux carnivores”.
– David Livingstone, Voyages d’exploration, 1857.
Il existe de rares individus qui naissent avec
un déficit complet de la sensation de douleur. Ces personnes ne cherchent pas
à se protéger quand elles se font mal, accumulent les blessures et meurent en
général assez jeunes. On parle d’insensibilité congénitale à la douleur
(ou analgésie congénitale) pour décrire leur état.
Ces
individus sont donc en danger permanent et doivent s’en remettre à des règles
de conduite apprises destinées à les en prémunir. Mais faire attention à ne pas
heurter trop fort les objets ou se tenir loin des sources de chaleur demeure des
consignes abstraites et dénuées du pouvoir répulsif édifiant de la douleur. Et
ces règles sont d’autant plus difficile à assimiler pour les enfants qui succombent
souvent de blessures ou d’hémorragies internes passées inaperçues. Une simple
crise d'appendicite peut par exemple être fatale.
Quand ils survivent,
ces enfants souffrent souvent de blessures à la bouche parce qu’ils se mordent
la langue ou aux yeux parce que des particules étrangères n’ont pas été enlevées
à temps. Ils ont aussi fréquemment des problèmes d’articulation ou de multiples
fractures. Et même pendant le sommeil, l’absence de nociception peut provoquer
des lésions liées aux postures inconfortables prolongées.
Un exemple parmi
d’autres, celui d’une Canadienne née avec une indifférence aux stimuli douloureux,
sans aucun autre déficit sensoriel et très intelligente. En dépit d’un apprentissage
précoce à éviter toute situation susceptible de la blesser, elle développa une
dégénérescence progressive des articulations des membres et des vertèbres qui
conduisit rapidement à une déformation importante de son squelette et à un processus
infectieux qui se termina par sa mort, à l’âge de 28 ans.
L’existence de
ces patients confirme également que la douleur est bien une sensation différente
des autres, et qu’elle ne résulte pas de l’excès de l’une d’entre elles puisqu’ils
n’ont pas de déficits sensoriels somatiques autres que celui relatif à la nociception.
Les causes de ce déficit de la nociception pourraient être multiples. Certains
patients auraient des niveaux d’endorphines
trop élevés. Dans ce cas, on constate que l’administration d’agents bloquant l’activité
des endorphines diminue l’intensité de stimulation nécessaire pour faire naître
la douleur.
Chez d’autres patients, il semble qu’il y ait un problème avec
les fibres sensorielles nociceptives, en
particulier celle de type C, ainsi qu’avec les nocicepteurs
périphériquescorrespondants. Une mutation sur le gène d’un canal
sodique dépendant du voltage, le SCN9A, pourrait rendre ce canal non fonctionnel
et perturber grandement la transmission de l’influx nerveux dans ces neurones.
Ce déficit
se retrouve plus fréquemment dans les sociétés homogènes où les gènes récessifs,
comme celui de l’analgésie congénitale, peuvent plus facilement s’exprimer. Par
exemple, dans le village de Gällivare dans le nord de la Suède, une quarantaine
de cas ont été signalés.
DIFFÉRENTS TYPES DE DOULEUR
La douleur est une expérience subjective désagréable
qui constitue la principale raison pour laquelle les gens consultent un médecin.
Cette observation est loin d’être étonnante puisque l’une des fonctions principales
de la douleur est de nous informer que quelque chose ne tourne pas rond et menace
notre intégrité physique.
On pourrait d’abord croire que les sensations
douloureuses ne sont que des stimulations excessives des mêmes récepteurs qui
nous informent déjà sur l’état de notre corps et du monde extérieur. Mais il n’en
est rien. Alerter le cerveau des dangers que représente un stimulus douloureux
est bien différent de l’informer de la présence d’un stimulus tactile inoffensif.
Voilà pourquoi la perception de la douleur, qu’on appelle aussi nociception,
dépend de
récepteurs et de voies
qui lui sont spécifiques.
Le
baume d'acier, de Louis Léopold Boilly, vers 1825.
Les
conditions potentiellement nocives pour notre organisme sont ainsi détectées et
suscitent en nous une
sensation consciente particulière : la douleur.
Nociception
et douleur sont donc deux choses différentes. La nociception
constitue le processus sensoriel à l’origine de signaux nerveux qui déclenchent
la douleur. La douleur, elle, est la sensation subjective pénible, lancinante
ou insupportable venant d’une partie du corps.
Les
deux peuvent d’ailleurs être dissociés dans certaines situations. Par exemple,
il arrive que les
nocicepteurs soient très activés sans qu'il y ait douleur. Qui ne s'est pas
coupé sans s'en rendre compte, trop concentré sur une tâche prenante ? De même,
une émotion ou un stress intense peuvent nous rendre indolores des blessures pourtant
graves (voir l’encadré du récit de David Livingstone).
À
l'opposé, une douleur peut être très intense sans activation majeure des nocicepteurs.
C’est le mystérieux monde des douleurs
neuropathiques.
La douleur n’est
pas non plus toujours directement proportionnelle à la gravité d’une maladie.
D'une part, certains cancers ne provoquent que peu de douleur jusqu’à ce qu’ils
ne soient à un stade avancé. Et d'autre part, des problèmes relativement bénins
comme des pierres aux reins peuvent être extrêmement douloureux.
La
douleur, de par sa nature complexe et éminemment subjective, échappe donc à toute
définition trop formelle. L'Association Internationale pour l'Étude de la Douleur
(IASP) s’y est tout de même risqué en la décrivant comme « une expérience sensorielle
et émotionnelle désagréable liée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles
ou décrites en termes de telles lésions. » Cette définition vague à souhait tend
à donner raison au médecin qui disait que la douleur est finalement « n’importe
quoi identifié comme tel par le patient »…
La
définition de l’IASP attire tout de même l’attention sur le fait que la douleur
possède deux composantes, l’une sensorielle, et l’autre émotionnelle.
La
composante sensorielle, elle la partage avec les autres modalités
sensorielles classiques (vision,
audition, toucher, gustation et olfaction). C’est l’aspect discriminatoire qui
permet à toute modalité sensorielle d’identifier la localisation et l’intensité
d’un stimulus. Dans le cas de la douleur, il met en jeu les
cortex sensoriels primaires et secondaires.
Mais
la douleur a également une composante décrite tour à tour comme émotionnelle,
affective ou motivationnelle. Celle-ci implique le cortex
cingulaire antérieur et l’insula. C’est ce qui nous fait ressentir subjectivement
un inconfort et nous pousse à faire quelque chose pour l’arrêter, le réduire ou
le
fuir.
Car personne n’aime avoir mal.
Cela dit, il faut bien admettre que la douleur est quelque chose de précieux.
Il existe de rares individus nés avec un déficit de la sensation douloureuse (voir
l’encadré). Ceux-ci vivent avec le risque permanent de s'autodétruire puisqu'ils
ne réalisent jamais quand ils se font mal. Leur espérance de vie est d’ailleurs
considérablement réduite.
La douleur
a donc une fonction protectrice que l’on peut décliner en quatre points:
-
La douleur agit comme un système d’alarme, un système protecteur qui nous signale
un danger pour l’intégrité du corps et nous incite à faire quelque chose pour
prévenir des dommages sérieux ; si l’on touche un rond de cuisinière allumé par
mégarde, un
réflexe de protection nous la fait retirer immédiatement pour éviter la brûlure.
- La douleur permet de ne pas empirer
une blessure en nous portant à immobiliser la partie du corps blessée, par exemple
une cheville foulée.
- Les expériences
douloureuses nous apprennent également à éviter à l’avenir les situations dangereuses
ou à ne pas répéter un comportement risqué ayant causé des blessures.
-
Enfin, la douleur favorise la guérison puisqu’une personne souffrante aura tendance
à rester tranquille et à se reposer.
Si
l’évolution a fait en sorte que la douleur est un signal que l’on ne peut pas
ignorer, c’est loin d’être pour nous tourmenter inutilement. Aussi paradoxal que
cela puisse paraître à première vue, c’est pour assurer notre bien-être et, bien
souvent, nous sauver la vie. Par conséquent, c’est parfait ainsi… sauf quand la
douleur se dissocie de son objectif et devient
une maladie chronique.
On n’observe pas toujours de corrélation entre
l’intensité de la douleur et l’importance de la lésion. Par ailleurs, un même
stimulus douloureux ne provoquera pas la même réaction chez différentes personnes.
Et une personne donnée peut même réagir très différemment à un même stimulus douloureux,
au fil des jours, des mois ou des années. Si notre expérience subjective de la
douleur varie ainsi, c’est que de nombreux facteurs influencent sa perception.
* * *
Il y a d’une part des facteurs biologiques
ou génétiques comme le sexe de la personne, le taux de certaines
de ses hormones ou sa capacité de réponse au stress.
On sait par exemple
que le seuil de la douleur varie chez la femme en fonction de son cycle menstruel.
Plusieurs études ont aussi démontré que le seuil de tolérance à la douleur des
femmes est inférieur à celui des hommes. Des données anatomiques allant en ce
sens ont même été publiées : la peau des femmes présente une densité de fibres
nerveuses cutanées presque deux fois supérieure à celle des hommes. Pas étonnant
dans ces conditions que les femmes ressentent plus rapidement la douleur.
De
plus, l'hormone mâle, la testostérone, aide à masquer le sentiment d'inconfort
de la douleur. Plusieurs chercheurs pensent que dans
une perspective évolutive, une sélection en ce sens aurait favorisé les
mâles en compétitions pour une femelle à poursuivre le combat contre un autre
mâle malgré les blessures.
Mais tout n’est pas si simple, puisqu’en avril
2004, dans la revue Pain, des chercheurs de l’Université McGill ont démontré que
des douleurs soutenues de bas niveau pourraient être davantage anxiogènes pour
les hommes, et ce, même si les femmes ressentent la douleur plus intensément que
les hommes.
* * *
Des facteurs
culturels influencent également la perception de la douleur. Les
convictions philosophiques ou religieuses, en représentant la douleur comme une
épreuve, un châtiment, un mal nécessaire ou une fatalité, vont avoir un effet
certain sur la façon dont elle est vécue.
Un individu élevé dans une famille
ou une culture où l’on enseigne à “serrer les dents et à endurer” ou à “prendre
son mal en patience” manifestera ainsi moins d’inconfort qu’un autre qui concentre
son attention sur sa douleur. On a vu, en Afrique orientale, des gens être trépanés
sans anesthésie, au milieu de la brousse, et ne manifestant aucune douleur.
Parmi
ces exemples extrêmes, on peut citer le cas des Tamouls originaires de l’Inde
qui célèbrent chaque année en Malaisie la fête de Thaipusam. Ce rassemblement
donne lieu à des manifestations au cours desquelles les participants rivalisent
en se mutilant. Et pourtant, aucun signe de douleur n’apparaît sur leur visage.
* * *
La perception subjective de la douleur est
aussi grandement influencée par une multitude de facteurs cognitifs ou
psychologiques. Certains sont reconnus pour augmenter notre perception
douloureuse, comme le stress ou la
dépression, alors que d’autres vont systématiquement l’amoindrir, comme
une attitude optimiste et sereine.
Parmi les facteurs cognitifs qui amplifient
la douleur, la détresse et l’anxiétésont parmi les plus fréquents. Dans une étude de 1985, Gerry Kent note que
les personnes se considérant anxieuses sont celles qui ont rapporté les plus hauts
niveaux de douleur immédiatement après leur sortie de chez le dentiste. Trois
mois plus tard, ces personnes évaluaient la douleur éprouvée lors de cette visite
comme étant quatre fois supérieure à leur évaluation initiale, tandis que les
personnes peu anxieuses rapportaient alors des niveaux inférieurs au double de
l’évaluation initiale.
D’autres études ont démontré qu’un autre facteur
qui peut augmenter grandement la douleur, c’est simplement l’attention
qu’on lui porte ou que notre entourage lui porte. Ainsi, des parents démontrant
de l’empathie lorsque leur enfant atteint d’une maladie de peau se gratte (chose
qu’on leur a dit d’éviter) font en sorte que ces enfants vont se gratter davantage
qu’avec des parents qui n’y portent pas attention. Même chose pour les hommes
qui savaient que leur épouse compatissante était témoin, derrière un miroir sans
tain, d’une entrevue sur leurs sensations douloureuses: ceux-ci les évaluaient
alors à la hausse.
Du côté des facteurs cognitifs qui peuvent diminuer
nos perceptions douloureuses, la simple distraction a mainte fois prouvé son efficacité.
Expérimentalement, on a ainsi démontré que le seul fait d’écouter des sons durant
l’application d’un stimulus douloureux diminue la perception subjective de cette
douleur. Effet constaté également par imagerie cérébrale au niveau des régions
du cerveau impliquées dans le traitement de la douleur dont l’activation décroît
durant les sons.
Dans la vie courante maintenant, les exemples d’atténuation
de la douleur par la distraction sont légion. Qui ne s'est pas coupé sans s'en
rendre compte, obnubilé par l'exécution d'une tâche prenante ? Alors que la même
coupure, faite à froid sous nos yeux, provoquera une douleur vive accompagnée
de cris ou de gémissements.
Les cas sont également nombreux de sportifs
recevant des coups violents durant leur match et poursuivant tout de même jusqu’à
la fin de la rencontre… pour s’apercevoir ensuite qu’ils ont joué avec un doigt
ou une cheville brisée.
Et
que dire des nombreux cas de soldats sur le champ de bataille ne manifestant qu’une
douleur minime pour leurs blessures graves. L’émotion positive associée au fait
que la guerre est alors terminée pour eux n’est sûrement pas étrangère à ces exemples
spectaculaires de contrôle
descendant de la douleur.
Ce phénomène a été
investigué de manière plus systématique en comparant des civils et des militaires
atteints de blessures comparables. Les civils réclamaient plus fréquemment des
médicaments et leur plainte était beaucoup plus intense que celle exprimée par
les militaires. On peut imaginer en plus que pour un non militaire, telle blessure
peut être synonyme d’un arrêt de travail prolongé, d’une perte de revenu, de mobilité,
etc.
La signification que la personne attribue à sa douleur peut donc aussi
en influencer l’intensité perçue. Quand une personne trouve une signification
positive à sa douleur (réflexion existentielle, temps d’arrêt pour écrire, pour
rester à la maison avec les enfants, etc.), cela a des effets bénéfiques sur la
perception de son intensité.
Outre l’inflammation,
le spasme musculaire est un autre aspect du processus de guérison
qui peut provoquer de la douleur.
Contrairement à la crampe qui est une
contraction
musculaire involontaire, douloureuse et de courte durée, le spasme musculaire
est une crampe qui peut durer des jours et des jours, voire des années.
À
l’origine du spasme, il y a donc un mécanisme protecteur : à la suite d’un coup,
d’une chute ou d’une activité inhabituelle sans réchauffement, un muscle se contracte
afin d’immobiliser la région lésée. Cette fonction utile d’attelle ou de plâtre
naturel peut cependant devenir nuisible lorsqu’elle persiste. Car une contraction
musculaire qui ne se relâche pas normalement amène une mauvaise circulation sanguine
et une congestion douloureuse. Celle-ci, en retour, rend la contraction du muscle
encore plus rigide et douloureuse. Le cercle vicieux du spasme est alors établi.
Le torticolis en est un exemple classique. Le spasme des
muscles larges du cou affecte habituellement un côté plus que l'autre, de sorte
que la personne est obligée de garder la tête tournée dans une direction particulière.
La plupart du temps, les spasmes musculaires se manifestent d’ailleurs au niveau
du dos, de la nuque jusqu’à la région lombaire.
« La communication du médecin avec le patient
est ce qui se rapproche le plus de la magie. Cela se fait de manière incroyablement
subtile – une étincelle dans le regard, un sourire, une tape dans le dos. »
- Daniel Moerman
Un placebo pur est un composé
pharmacologiquement inerte prescrit dans un contexte thérapeutique, généralement
du lactose placé dans une gélule, ou du sérum physiologique, en cas d’injection.
Par extension, on parle aussi de chirurgies placebo (où seules des incisions sont
faites sur la peau) ou de thérapies placebo (où l’on simule par exemple un traitement
en acupuncture).
Un placebo impur est un médicament commercialisé,
mais qui n’a pas démontré son efficacité thérapeutique dans un domaine donné.
Par exemple des produits commercialisés avec une indication précise, mais détournés
de leur usage normal. La vitamine C est sans aucun doute efficace contre le scorbut,
conséquence d’une carence en cette vitamine, mais n’a pas d’effets prouvés sur
la grippe, la fatigue, le rhume et a fortiori la prévention du cancer.
La procédure dite « en double aveugle
» permet de contrer l’influence, parfois même inconsciente, que pourrait avoir
le médecin sur ses patients s’il connaissait la nature du médicament qu’il leur
donne (substance active ou placebo). On y parvient de différentes façons, en demandant
par exemple à une personne autre que le médecin de déterminer qui recevra quoi,
et de garder cette information cachée pour le médecin tout au long du protocole.
De cette façon, non seulement le patient ne sait pas ce qu’il reçoit, mais le
médecin ne sait pas non plus ce qu’il donne, ce qui l’empêche ainsi d’influencer
le patient de quelque façon que ce soit. L’information sur l’attribution des placebos
demeure également cachée durant toutes les procédures de mesure des effets physiologiques,
et c’est seulement à la fin de l’expérience, lors de l’analyse des résultats,
qu’elle est dévoilée.
Pour des raisons d'éthique, les patients qui
participent à ce type de tests pharmacologiques sont informés qu’il est possible
qu’ils reçoivent un placebo à la place du médicament.
Lors de tests cliniques, les effets indésirables
du médicament à l’étude donnent parfois des indices aux expérimentateurs sur les
patients qui en ont réellement pris versus ceux qui ont eu un placebo. Indices
qui peuvent ainsi invalider le contrôle en double aveugle (voir l’encadré ci-haut).
Pour éviter ce biais, les chercheurs ont parfois recours à un « placebo
actif », c’est-à-dire une substance produisant les mêmes effets indésirables
que le médicament à tester, mais sans contenir la molécule active du médicament.
Il devient alors beaucoup plus difficile de démasquer les patients ayant reçu
un tel placebo actif.
L'atropine est un exemple de substance utilisée comme
placebo actif. Il s’agit d’une molécule qui se fixe aux récepteurs
muscariniques de l'acétylcholine, provoquant des symptômes telles une
sécheresse de la bouche, de la constipation ou une élévation de la température
corporelle.
L'EFFET
PLACEBO
Les pensées que
génère notre cerveau peuvent avoir des effets sur le fonctionnement
de notre organisme. Ces
interactions entre pensée, cerveau et corps ne sont plus remises en
cause par la communauté scientifique, comme en fait foi un domaine de recherche
comme la psycho-neuro-immunologie.
On
connaît par exemple très bien les effets néfastes sur la santé
d’un état mental comme le stress
chronique. Mais se sentir oppressé par des événements
extérieurs, sans pouvoir les
fuir ou les combattre, n’est pas la seule situation où nos pensées
peuvent avoir des conséquences bien concrètes sur notre corps. L’effet
placebo en est un autre. Mais contrairement au stress, les pensées
ont ici un effet bénéfique sur le corps.
Du
latin « je plairai », le terme placebo vient des protocoles visant
à tester de nouveaux médicaments. Lors de ces tests pharmacologiques,
on compare toujours deux groupes de patients pour voir si le médicament
est efficace : un premier groupe qui reçoit le médicament, et un
autre groupe qui reçoit une pilule en tout point semblable, mais ne contenant
pas la molécule active du médicament. C’est ce comprimé
inerte (souvent une simple pilule de sucre) que l’on nomme placebo et que
l’on donne pour « plaire » au patient, pour lui donner l’impression
qu’il reçoit lui aussi un véritable médicament.
Si
la comparaison des mesures effectuées sur les deux groupes montre ensuite
une différence significative en faveur du groupe qui a reçu le médicament,
alors on peut affirmer que celui-ci a un réel effet physiologique. C’est
seulement en procédant ainsi, avec un groupe contrôle placebo, que
l’on peut voir au-delà de certaines variations aléatoires
qui sont inévitables au sein de chaque groupe. Variations que l’on
pourrait prendre pour des effets spécifiques du médicament si on
ne le testait que sur un seul groupe de patients.
Mais
voilà qu’en appliquant ce protocole, on s’est aperçu
d’un phénomène pour le moins surprenant : la substance considérée
comme inerte avait parfois des effets bénéfiques en rapport avec
les effets « attendus » de l’administration du médicament.
En d’autres termes, les patients qui croyaient avoir pris le médicament,
mais n’avaient eu que du sucre, allaient mieux ! Cet étrange effet
reçut donc le nom « d’effet placebo ». Et il est particulièrement
efficace pour atténuer la douleur.
L'effet
placebo se fonde donc sur une tromperie, mais une tromperie qui démontre
justement le pouvoir de la pensée de la personne trompée sur son
propre corps. Tromperie, ou plutôt, auto-tromperie,
car tout part de la conviction du patient que le traitement qui lui est administré
sera efficace.
L’effet placebo
pourrait même débuter dès l’entrée dans le bureau
du médecin. En effet, on sait maintenant que parmi tous
les facteurs influençant l’effet placebo, la relation de confiance
qui s’établit avec le thérapeute est l’un des facteurs
le favorisant le plus.
Un phénomène
qui a causé bien des maux de tête aux chercheurs en pharmacologie
pour qui l’effet placebo fut longtemps considéré comme une
nuisance toujours susceptible de fausser les tests sur les nouveaux médicaments.
Ils y répondirent dans un premier temps en instaurant la procédure
du double aveugle (voir l'encadré ci-contre). C’est seulement dans
un deuxième temps qu’on a réalisé toute la portée
et le potentiel de cet effet qui se manifeste autant chez les malades que chez
les sujets sains (voir l’encadré ci-bas).
Le diagramme ci-haut permet de comprendre pourquoi l’on désigne souvent l’effet
placebo comme une « prime médicamenteuse » qui, en s’ajoutant
chez environ un malade sur trois aux effets spécifiques de l’ingrédient actif
d’un médicament, peut augmenter considérablement l’efficacité de celui-ci. L’effet
placebo participe donc quotidiennement aux résultats thérapeutiques de tout médecin.
On peut d’ailleurs réussir à soustraire
cet effet placebo non spécifique de l’effet spécifique du traitement par l’administration
cachée du médicament.
Selon la nature des maux étudiés avec un placebo,
le pourcentage de patients qui démontre un effet placebo est
très variable. Il va virtuellement de personne à tout le monde, avec le tiers
des patients comme une moyenne souvent évoquée.
Citons par exemple l’étude
d’un tranquillisant
où 10 à 20 % des patients n’ayant reçu qu’un placebo ont subi des effets secondaires
négatifs. Appelés « effet
nocebo », ceux-ci sont l’effet inverse de l’effet placebo, mais qui découlent
de la même conviction d’avoir reçu un véritable médicament. Autre exemple : 30
% des individus ayant reçu le placebo correspondant à une nouvelle chimiothérapie
ont perdu leurs cheveux.
Mais le pourcentage de réponse au placebo dépasse
souvent le tiers des patients. Ainsi, une analgésie a été constatée chez 39 %
de personnes ayant reçu un placebo après l’extraction de dents de sagesse et de
56 % chez des personnes ayant eu une application de chaleur sur la peau de leur
main gauche. Chez les patients avec une dépression
sévère, le taux de réponse au placebo est environ de 30 %, mais peut monter aussi
haut que 70% dans le cas de dépression légère. Enfin, lors d’une étude des effets
analgésiques d’un placebo en fonction du prix fictif de la pilule présentée au
patient, 61 % d’entre eux ont affirmé que la douleur était moindre avec la pilule
à bas prix contre 85 % pour la pilule à prix élevé, ce qui montre bien la
sensibilité de l’effet placebo à certains facteurs.
Quant à savoir
quel pourcentage des effets des médicaments actifs le placebo atteint-il
généralement, on parle en moyenne d’environ 55% des effets d’antalgiques
comme l’aspirine ou la morphine.
Dans le cas de la dépression, de nombreuses études sur les
antidépresseurs tricycliques ont montré une efficacité du placebo d’environ
59 % de celui du médicament. Les pourcentages pour les placebos aux traitements
contre l’insomnie se situent également entre 55 et 60 %.
Un dernier
exemple avec les deux types de statistique : dans une étude sur l’effet antalgique
de la morphine, 75 % des patients ayant reçu cette substance ont dit ressentir
une réduction de 50 % de leur douleur, tandis que 36 % de ceux qui avaient reçu
un placebo ont dit avoir ressenti une diminution de la douleur qu’ils évaluaient
eux aussi à 50%.
Ces résultats montrent par ailleurs un fait important,
à savoir que si ce n’est pas tout le monde qui répond à l’effet placebo, ce n’est
pas non plus tout le monde qui répond au médicament actif ! Le corps humain est
d’une grande complexité…
Une étude désormais classique publiée
par B. Blackwell en 1972 montre que l’effet placebo se manifeste
clairement chez le sujet sain, en l’occurrence ici des étudiants
en médecine. Ces 56 étudiants avaient accepté de se soumettre
à une expérience qui portait, leur disait-on, sur les effets d’une
prise unique d’une drogue stimulante ou sédative.
Les étudiants
furent donc répartis en quatre groupes différents et l’on
demanda au premier groupe de prendre une pilule sédative bleue, au second
deux pilules sédatives bleues, au troisième une pilule stimulante
rose, et au quatrième deux pilules stimulantes roses. Ce que les étudiants
ignoraient, c’est qu’en réalité toutes les pilules étaient
des placebos qui ne contenaient que des ingrédients inertes.
Or
parmi les étudiants qui avaient reçu les placebos «sédatifs»,
plus des deux tiers rapportèrent se sentir somnolents, et ceux qui avaient
pris deux de ces pilules bleues se sentaient plus somnolents que ceux qui n’en
avaient pris qu’une seule. Et inversement, une large proportion des étudiants
qui avaient pris les placebos «stimulants» rapportèrent se
sentir moins fatigués.
En outre, environ le tiers des participants,
tous groupes confondus, se plaignirent d’effets secondaires comme des maux
de tête et des vertiges. Et encore une fois, l’effet
ressenti était proportionnel à la dose de placebo reçu,
c’est-à-dire plus sévère, chez ceux qui avaient reçu
deux pilules. Seulement 3 des 56 étudiants affirmèrent n’avoir
ressenti aucun effet appréciable suite à l’ingestion des pilules.