Le quart des patients qui consultent le médecin
pour une douleur le font pour une douleur chronique. C’est dire à quel point ce
phénomène est courant avec, en tête de file, le mal de dos, suivi des maux de
tête, des douleurs aux articulations et ensuite de toute une panoplie de différentes
douleurs chroniques à l’abdomen, à la poitrine, etc.
Quand on parle de
douleurs chroniques, les chiffres sont d’ailleurs
colossaux. L’Association Internationale pour l’Étude de la Douleur
révèle qu’environ 20% de la population mondiale souffrirait de douleurs chroniques.
C’est une personne sur cinq.
Aux États-Unis, les sources les plus conservatrices
parlent d’environ 50 millions de personnes. Et le coût annuel de traitement et
de perte de productivité est estimé à environ 125 milliards de dollars, toujours
au États-Unis seulement.
La douleur chronique affecte la même proportion
de la population européenne ou canadienne. Et la prévalence croît avec l’âge.
Selon une étude pancanadienne, la prévalence de la douleur chronique au Québec
chez les hommes et les femmes âgés de plus de 65 ans serait près de 40 %.
En
Europe, c’est 75 millions de personnes qui vivent dans la douleur depuis plus
de sept ans, dont le cinquième depuis plus de 20 ans sans réussir à avoir le soulagement
nécessaire. Conséquemment, 21% de ces personnes vivant avec la douleur chronique
ont été diagnostiqué dépressives.
En 2004, un sondage de l’American
Chronic Pain Association révélait que dans plus de la moitié des cas, les
gens souffrant de douleurs chroniques voyaient leur capacité au travail compromise.
L’association de la douleur chronique du Canada déclare pour sa part que les personnes
souffrant de douleur chronique manquent en moyenne 16 jours de travail par année.
Quand on sait par ailleurs qu’environ 45 % des douloureux chroniques voient
leurs relations personnelles se détériorer à cause de leur mal, on n’est pas surpris
d’apprendre que, selon une étude publiée en janvier 2006, près de 14 % des Québécois
souffrant de douleurs chroniques font une tentative de suicide.
Ce n’est pas tant l’arsenal thérapeutique que l’accessibilité des soins et le
manque de ressource qui serait ici en cause.
Par exemple, des chiffres
publiés en 2005 indiquent qu'au moins 4500 Québécois souffrant de douleurs chroniques
étaient alors en attente d'une première évaluation dans une clinique spécialisée
dans le traitement de la douleur. Et que les deux tiers attendaient depuis plus
de neuf mois.
La douleur reliée au cancer
peut être aiguë ou chronique. La douleur aiguë peut être la conséquence des traitements
(chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) alors que la douleur chronique survient
par exemple lorsque la tumeur compresse des nerfs, émet certaines
substances chimiques ou interfèrent dans l’afflux sanguine et le fonctionnement
des organs internes.
Différentes données semblent indiquer que la douleur
générée par un cancer affecte négativement le système immunitaire, ce qui pourrait
indirectement favoriser la croissance de la tumeur. D’où l’importance de traiter
immédiatement tant les douleurs aiguës que chroniques reliées au cancer.
Cette
valeur d’alerte, indéniablement
adaptative, ne concerne cependant que la douleur dite « aiguë ». À celle-ci,
on oppose généralement la douleur dite « chronique », qui relève de conditions
pathologiques.
Comme le suggèrent les deux épithètes,
la durée de la douleur est l'élément prépondérant qui permet d'établir une distinction.
Une douleur aiguë peut durer de quelques secondes à plusieurs mois, mais elle
va disparaître avec l’accomplissement du processus de guérison. Une douleur devient
chronique lorsqu’elle persiste au-delà du temps normal de guérison et continue
d’évoluer au-delà de 3 à 6 mois. Elle peut être le résultat d’une blessure qui
a mal guéri, ou d’une panoplie d’autres raisons comme le cancer, des nerfs endommagés,
l’arthrite, etc.
Détail de La Douleur d'Andromaque de Jacques-Louis
David, 1783, huile sur toile exposée au musée du Louvre de Paris.
Mais avant d’entrer dans la complexité des
douleurs chroniques, décrivons un peu plus en détail les douleurs aiguës.
Il s’agit de sensations douloureuses vives et immédiates en réponse à une lésion
tissulaire spécifique. Les douleurs aiguës sont bien localisées et s'accompagnent
de réactions végétatives (rythme cardiaque et respiratoire accéléré, sueurs, etc.)
et de réactions motrices (réflexe
de retrait).
Cela va de la simple
piqûre d’insecte à la douleur post-opératoire, en passant par l’infection, la
brûlure ou la fracture qui peuvent être douloureuses pendant plusieurs mois. Mais
dans tous les cas, la douleur est un symptôme qui s’estompe graduellement à mesure
que la maladie guérit ou que la peau se cicatrise.
Mais
la douleur peut parfois devenir chronique. Tout se passe alors
comme si la douleur se dissociait de sa fonction première de protection de l’organisme.
Il n’y a alors plus de relation claire entre l'ampleur de la lésion organique
et l'intensité de la douleur chronique. Celle-ci altère inévitablement la qualité
de vie de l’individu et peut même modifier sa personnalité, interférer avec son
travail et affecter ses relations interpersonnelles.
Vivre
plus de 6 mois, voire souvent plusieurs années avec un mal de dos (voir l’encadré
ci-bas) ou des migraines
peut être très invalidant. Dans les pires cas, la personne devient incapable d’effectuer
des tâches routinières car il lui est difficile de se concentrer sur quoi que
ce soit d’autre que sa douleur. Celle-ci peut devenir cause d’insomnies,
d’anxiété,
de colère, de détresse, de désespoir et même de dépression.
La dépression chez les patients souffrant
de douleurs chroniques peut amplifier la douleur, déprimant d’autant plus l’humeur
du patient. Ce cercle vicieux doit être évité à tout prix par un traitement approprié
(ces personnes répondent généralement assez bien aux antidépresseurs), mais ne
l’est pas toujours à cause du préjugé voulant que quelqu’un qui souffre constamment
est nécessairement déprimé.
Pire, il
fut un temps, pas si lointain malheureusement, où les nombreux individus qui se
plaignaient de douleurs chroniques (voir l’encadré ci-contre) étaient considérés
comme des malades imaginaires. Ou encore on disait d’eux qu’ils voulaient simplement
de l’attention. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et que la douleur
chronique est une maladie à part entière, un désordre distinct du système
nerveux produit et maintenu par une variété de processus cellulaires anormaux.
Multiforme, la douleur chronique peut
s’exprimer de façon intermittente, comme dans le cas des migraines. Elle peut
également ne laisser aucun répit, bien que la douleur puisse varier d’intensité,
comme dans le cas du mal de dos (voir l’encadré ci-bas). Enfin, la douleur chronique
peut non seulement être continue, mais augmenter sans cesse d’intensité à mesure
que se développe une maladie dégénérative comme l'arthrite rhumatoïde ou le cancer
(voir l’encadré).
La douleur chronique
peut aussi s’installer à la suite d’un accident, d’une infection ou d’une opération
chirurgicale ayant endommagé un nerf. Celui-ci peut alors continuer à émettre
des messages de douleur injustifiés puisque les dommages originaux de la blessure
sont complètement guéris. Ce type de douleur d’origine essentiellement neuronale
est appelé douleur
neuropathique.
Une des douleurs les plus communes est certainement
le mal de dos. En fait, c’est la première cause de consultation
dans les centres spécialisés contre la douleur et les statistiques à son égard
sont pour le moins éloquentes: environ 80% des adultes souffriront à un moment
donné durant leur vie d’un mal de dos; c’est la première cause d’invalidité chez
les moins de 45 ans et la première cause des arrêts de travail de moins de 15
jours; enfin, les blessures au dos représentent 25% de toutes les indemnités d’invalidité
versées par les compagnies d’assurances. Ce n’est pas pour rien qu’il est souvent
qualifié de « mal du siècle ».
Pour celui qui en souffre, le mal de dos
peut être très handicapant, limitant les activités de la vie quotidienne et générant
un stress
lui-même facteur aggravant du mal de dos. Sachant que l’on incline son dos de
1 500 à 2 000 fois par jour, on comprend l’importance de briser ce cercle vicieux
le plus rapidement possible!
Mais pourquoi notre dos défaille-t-il si souvent
? Il faut d’abord rappeler que celui-ci est un agencement complexe d’os, de nerfs,
de muscles, de tendons et de ligaments, tous capables de produire de la douleur.
Il faut aussi constater que l’histoire de chaque dos est souvent parsemée de mauvais
traitements dès l'enfance : sac d’école trop lourd, vie trop sédentaire, stress,
travaux physiques éreintants et répétitifs, etc.
Plus précisément, notre
dos est constitué d’une charpente osseuse — la colonne vertébrale — qui entoure
la
moelle épinière et la protège. La colonne vertébrale se compose de 24 vertèbres
(7 cervicales, 12 dorsales et 5 lombaires) séparées entre elles par des disques
intervertébraux qui font office de joints articulés et de coussins amortisseurs.
C’est ce bricolage compliqué, légué par l’évolution
des vertébrés quadrupèdes qui nous ont précédés, qui a la lourde tâche
d’assurer notre posture verticale de bipède.
On
ne s’étonnera donc pas que certaines pièces de se puzzle puissent se déplacer
légèrement, engendrant du même coup de la douleur. Une douleur que l’on peut ressentir
à chacune des trois grandes régions anatomiques du dos : on parle de cervicalgies
pour le haut du dos, de dorsalgies pour le milieu du dos et de lombalgies (ou
de lumbagos) pour le mal du bas du dos qui est le plus fréquent.
Ces
douleurs apparaissent lorsque l’on reste par exemple trop longtemps éloigné de
la position normale (penché en avant, mal assis, mal couché), ce qui entraîne
la surcharge des ligaments, des muscles et des disques. Autre problème commun
: l’entorse vertébrale, ou vertèbre "déplacée", provoquée par un faux mouvement,
souvent de torsion du tronc.
On ne parle pas ici de déplacements importants,
comme ceux qui surviennent lors d’un accident de la route et provoquent des dommages
importants à la moelle épinière, mais bien de déplacements minimes qui réduisent
néanmoins la mobilité de la vertèbre. Ce manque de mobilité entraîne bien souvent
une contracture
des muscles avoisinants, augmentant d’autant plus la douleur.
Le dos
peut aussi s'abîmer par la
répétition de mouvements mal exécutés ou encore par le port de
trop lourdes charges. Une pression trop importante sur la colonne vertébrale peut
amener la fuite vers l’arrière d’une partie d’un disque intervertébral et provoquer
une hernie discale. Celle-ci peut à son tour comprimer une
racine nerveuse et produire une douleur référée dans un membre (voir l’encadré
à gauche). Au niveau lombaire, on appelle cette compression une sciatique. La
très grande majorité des hernies surviennent dans le bas du dos et seraient responsables
d’environ 2% des maux de dos.
Mais si certaines pathologies sont facilement
identifiables, grâce à la radiologie, comme les hernies discales ou l’arthrose,
dans la grande majorité des cas, aucun indice pouvant expliquer le mal de dos
n’est généralement trouvé lors des consultations, même après radiographie ou scanner.
Qui plus est, pour 90% des patients, les symptômes douloureux vont s’estomper
naturellement en moins d’un mois ou deux.
Cela dit, dès que le dos fait
trop souffrir, il vaut mieux consulter un médecin pour ne pas que le mal de dos
ne s’installe. Ce dernier pourra vous rappeler des règles d’hygiène simples qui
peuvent prévenir les douleurs dorsales : faire de l’exercice régulièrement pour
garder un bon tonus aux muscles du dos; plier les jambes au lieu du dos lorsqu’on
soulève une lourde charge; éviter le surpoids; éviter aussi des activités générant
des coups sur la colonne vertébrale comme le jogging au profit d’activités comme
la natation qui détend les muscles du dos tout en les tonifiant.
Les trop
longues séances de travail en position assise sont aussi à proscrire, bien qu’une
revue de 25 études ait démontré que le travail à l’ordinateur, si la position
du sujet est correcte, n’est pas responsable de lombalgie. La fréquence des lombalgies
augmenterait cependant lorsque la position assise prolongée s’accompagne de vibrations
ou de "mauvaises positions". Les risques de maux de dos sont ainsi 5 fois plus
élevés chez les camionneurs et 9 fois plus élevés chez les pilotes d’hélicoptère
que dans la population en général.
Les douleurs ne se font pas toujours sentir à
l’endroit où il y a réellement un problème. On parle
alors de douleurs projetées ou référées
pour décrire ce phénomène.
Un exemple fréquent
survient lorsque l’on se cogne le coude et que l’on ressent un picotement
« électrique » dans les 4e et 5e doigts. La compression du
nerf ulnaire, qui innerve ces doigts, provoque une série d’influx
nerveux qui remontent jusqu’à la moelle et nous donnent l’impression
que ce sont les doigts qui ont sont endoloris. Même chose pour les douleurs
que l’on ressent aux jambes lorsque le nerf sciatique est irrité
au niveau des vertèbres lombaires.
Un muscle
spasmé ou irrité dans le cou peut également être
à l’origine de douleur à la tête. Un autre cas classique
de douleur projetée est celui que ressentent au bras ou à l’épaule
gauche les gens qui font une crise d’angine. Encore ici, c’est bien
le cœur qui est en difficulté parce qu’il n’est pas suffisamment
irrigué, mais la douleur est ressentie dans une autre partie du corps (en
plus de l’être souvent directement du côté gauche de
la poitrine).
D’autres maladies des viscères peuvent provoquer
la même confusion. Une douleur à la vésicule biliaire peut
ainsi être projetée au niveau du dos. Ou encore une douleur d'origine
rénale, digestive ou vertébrale projetée sur les testicules.
La « convergence viscéro-somatique » expliquerait de
nombreux cas de ce curieux phénomène lorsqu’il concerne les
douleurs viscérales projetées. En effet, celles-ci n’ont que
très peu de voies propres dans la moelle pour remonter jusqu’au cerveau.
Les voies nociceptives viscérales convergent
pour la plupart sur les mêmes neurones médullaires de la corne dorsale
qui reçoivent les voies nociceptives cutanées. Le coût caché
de cette économie de moyen semble être la confusion sur la localisation
de la douleur qui peut s’ensuivre.
L’effet placebo est loin d’avoir révélé tous
ses mystères. À preuve : le phénomène des «placebos ouverts». On dit ouvertement
au patient qu’on lui donne une pilule de sucre trois fois par jour. Ils savent
donc très bien qu’ils ne prennent aucun médicament actif, mais rapportent néanmoins
une amélioration de leur condition !
Un phénomène semblable a été observé
dès les années 1970 chez des héroïnomanes qui avaient découvert qu’en s’injectant
simplement de l’eau quand ils manquaient d’héroïne,
ils pouvaient soulager un peu de leurs symptômes
de sevrage. Des effets physiologiques typiques des opiacés comme la contraction
des pupilles
étaient également observés, ce qui a mis en évidence la réponse
conditionnée dans l’effet placebo.
Si les attentes positives d’un patient peuvent
améliorer son état de santé (effet placebo), les seules craintes que suscite un
traitement peuvent provoquer des malaises. Et ce, même si le traitement en question
n’a aucun ingrédient actif ! C’est l’effet nocebo (du latin «je
nuirai»), le revers de la médaille de l’effet placebo.
Tout comme pour
l’effet placebo, l’effet nocebo ne relève pas du trouble psychiatrique, mais révèle
simplement un aspect du fonctionnement du cerveau humain normal. Dans une étude
de 2007 effectuée à l’Université de Turin, en Italie, les hommes qui prenaient
un médicament pour la prostate et étaient informés que des dysfonctions érectiles
et une baisse de la libido étaient des effets secondaires possibles ont été trois
fois plus nombreux à rapporter ces effets secondaires que les hommes à qui on
n’en n’avait pas fait mention.
Plusieurs autres études confirment que les
patients au courant des effets secondaires possibles de leur traitement ont davantage
de ces malaises indésirables que ceux qui n’en ont pas été informé. Pour faire
court : lire les effets secondaires possibles sur les boîtes de médicament peut
vous rendre malade… Et comme pour l’effet placebo que l’on considère comme une
«prime médicamenteuse», l’effet nocebo peut aussi rendre compte d’une partie des
effets secondaires de tout médicament actif.
Dans les années 1960, alors
que les contraintes éthiques étaient moins élaborées qu’aujourd’hui, on donna
à des patients de l’eau sucrée en leur disant que ça allait les faire vomir. Résultat
: 80% des patients vomirent effectivement. Autre exemple typique d’effet nocebo
: une personne ressent des douleurs abdominales dans les minutes qui suivent l’absorption
d’un remède susceptible d’en provoquer, alors même que la molécule active n’a
pas encore été absorbée dans le sang !
Encore une autre manifestation bien
connue de l’effet nocebo : l’anticipation d’une douleur augmente sa magnitude.
Des expériences ont montré que cette appréhension provoquait l’augmentation cérébrale
de cholecystokinine, un neuropeptide
reconnu pour faciliter la transmission des sensations douloureuses. D’ailleurs,
quand on injecte à des patients un bloqueur de la cholecystokinine, l’effet nocebo
douloureux disparaît.
Et puis il y a environ le quart des patients ayant
reçu des placebos lors de tests cliniques qui se plaignent d’effets secondaires
comme des maux de tête ou de la somnolence. Une explication possible est que ces
personnes deviennent simplement hyper vigilantes par rapport à des petits malaises
que toute personne saine ressent occasionnellement.
Des symptômes comme
l’accélération de la fréquence cardiaque, la bouche sèche, la nausée ou la diarrhée
pourraient quant à eux s’expliquer par l’anxiété et l’appréhension envers les
effets secondaires possibles du traitement. Il s’agit en effet de réponses
classiques de l’organisme face au stress et c’est le vaste champ d’étude de
la psycho-neuro-immunologie (voir l’encadré ci-contre).
Les
attentes d’un patient par rapport à un traitement donné constituent
un autre phénomène qui peut influencer nos perceptions et notre
physiologie. C’est le fameux «effet placebo» capable
de produire un soulagement sans même qu’il y ait eu ingestion d’un
ingrédient actif. Le seul fait de croire que le médicament où
le traitement va nous être bénéfique peut produire des modifications
organiques bien réelles amenant un soulagement. Et l’inverse est
aussi possible : appréhender négativement les conséquences
d’un traitement occasionne dans certains cas des symptômes incommodants
tout aussi réels. On parle alors d’effet « nocebo » (voir
l’encadré).
Si l’on
commence à entrevoir les
mécanismes sous-jacents de l’effet placebo, celui-ci demeure
très variable selon les situations et les individus. Il dépend donc
de nombreux facteurs qui ne sont pas encore tous bien compris. Mais on peut subdiviser
ces facteurs en quatre grands domaines : l’objet placebo en tant
que tel, le médecin traitant, le patient et la maladie.
On
sait maintenant que les caractéristiques physico-chimiques de l’objet
qui sert de placebo peuvent influencer grandement l’ampleur de
l’effet placebo.
D'abord, le simple
nom du placebo peut influencer son efficacité. Un placebo
présenté comme étant de la morphine soulage davantage la
douleur qu’un placebo présenté comme de l’aspirine.
La nature du placebo
a ensuite une grande influence. Une étude a montré que les capsules
placebos sont plus efficaces que les comprimés placebos. Et d’autres
que les injections placebos sont plus efficaces que les pilules placebos. L’ampleur
de l'effet placebo semble donc s’accroître à mesure que l'intervention
thérapeutique devient davantage invasive.
L’action
d’un placebo peut ensuite être influencée par son prix.
Les placebos présentés comme très coûteux renforcent
la crédibilité en leur pouvoir et augmentent leur efficacité.
La dose ou le nombre
de prises joue également sur l’effet placebo. Des auteurs
ont par exemple constaté que l’augmentation de la dose de placebo
s’accompagnait d’une fréquence plus élevée d’effets
indésirables (comme des troubles digestifs, de la somnolence et des vertiges)
lorsque l’administration se poursuivait pendant plusieurs jours.
L'effet
placebo peut aussi avoir une interaction synergique avec un médicament
actif. Par exemple, on donne à deux groupes de sujets des informations
les incitant à croire, ou à ne pas croire, au pouvoir analgésique
d’un placebo. Après la prise du placebo, une analgésie a été
observée dans le groupe « qui croyait » dans la substance,
mais aucun dans le groupe « qui n'y croyait pas ». Si on donnait ensuite
aux deux groupes de l’aspirine, une analgésie plus importante était
observée dans le groupe « qui croyait ». La conséquence
pratique de cette synergie est que l’effet placebo peut permettre de réduire
les doses d’antalgiques.
Le temps
d’action d’un placebo est généralement plus
court que pour un ingrédient actif. C’est vrai dans le cas de la
douleur, mais particulièrement dans le cas de la dépression où
l’effet peut se faire sentir après un ou deux jours, alors que les
antidépresseurs agissent en principe à partir de deux ou trois
semaines.
Le pic d’activité,
c’est-à-dire le moment d'activité maximale, est également
similaire ou même plus précoce avec le placebo qu’avec un vrai
médicament.
La durée
d’action d’un placebo antalgique peut aller jusqu’à
deux semaines, puis disparaît progressivement. On trouve cependant plusieurs
cas où l’action a duré pendant plus d’une année,
notamment pour le trouble
panique.
Le rituel médical,
son aspect protocolaire, les titres de compétence du médecin, la durée de la liste
d’attente, tout cela impressionnerait favorablement le patient pour lui faire
croire qu’il ira mieux, croyance à la base de l’effet placebo.
La
conviction avec laquelle le médecin présente le médicament au
patient, en insistant par exemple sur sa puissance de traitement, est un facteur
influençant particulièrement l'effet placebo.
La
bienveillance ou l’empathie
du médecin à l’égard de son patient est un autre facteur très important pour maximiser
l’effet placebo. On rappelle souvent avec raison que la médecine n’est pas seulement
une science, que c’est aussi l’art de traiter d’autres êtres humains. Et en ce
sens, il est évidemment souhaitable de favoriser les
apports non spécifiques de l’effet placebo lors des consultations médicales.
Une étude a par exemple comparé l’efficacité
antalgique sur le côlon irritable de séances d'acupuncture placebo « chaude »,
avec un accueil chaleureux, une écoute attentive et de nombreuses explications,
et une séance d'acupuncture placebo « froide », sans échanges verbaux avec le
thérapeute. Dans les deux cas, les aiguilles étaient piquées superficiellement
et hors des méridiens reconnus par les acupuncteurs. Une amélioration significative
a été observée pour le placebo « froid » par rapport à un groupe contrôle n’ayant
pas été traité, et une amélioration encore plus considérable fut observée pour
le placebo « chaud ».
Une autre expérience
célèbre est celle d’un médecin de famille anglais, K.-B. Thomas, sur 200 de ses
patients se plaignant de douleurs diverses pour lesquelles il lui était impossible
de faire un diagnostic précis. À une première moitié, il fit un diagnostic rassurant
en leur disant qu’ils se rétabliraient très vite. À l'autre moitié, il resta vague
et proposa à chacun de revenir si la situation perdurait. Deux semaines plus tard,
64 % des patients du premier groupe allaient mieux contre 39 % de ceux du second
groupe.
Plusieurs vont jusqu’à conclure
que le seul fait d’être dans une relation thérapeutique comporterait une part
plus ou moins grande d'effet placebo. Il s’agirait d’une manifestation de ce que
certains ont appelé «
l’effet Hawthorne », où le seul fait de se savoir étudié ou écouté induit
chez le sujet des changements favorables, que ce soit en terme de productivité
dans le cas de la chaîne de montage de Hawthorne, ou de santé comme dans l’effet
placebo.
Il est difficile d’identifier
des traits de personnalité qui correspondraient à un type de patient
répondant toujours aux placebos. Cela indique sans doute que la réponse au placebo
dépend de nombreux autres facteurs qu’une simple prédisposition individuelle.
Cela dit, les attentes
qu’entretient un patient face à un traitement donné ont une grande influence sur
l’apparition d’un effet placebo. Ces attentes sont à ce point importantes que,
si un patient doute de l'efficacité d'une chirurgie qui pourrait par exemple le
soulager d'un mal de dos chronique, certains médecins vont essayer d'éviter cette
intervention.
Les croyances
d’un patient peuvent aussi influencer l’efficacité d’un placebo particulier. Les
personnes croyant en des entités surnaturelles ont ainsi mieux répondu à l’effet
placebo d’essences florales lorsqu'elles leur étaient présentées
en évoquant de telles entités que si on les présentait comme un simple
médicament issu de l’industrie pharmaceutique. Et vice-versa pour les personnes
plus rationnelles et sceptiques.
La nature
et l’intensité de la maladie peuvent influencer l’effet placebo.
Les maladies ayant une large part psychosomatique augmentent
les chances de réponse placebo. Celles produisant une souffrance
intense avec un grand désir de la voir disparaître aussi.
L’effet
placebo est aussi plus efficace avec les troubles ayant une composante subjective,
comme la dépression,
l’anxiété
ou la douleur.
On dispose de deux grandes
stratégies lorsque l’on veut évaluer l’efficacité d’un médicament : soit éliminer
l’effet spécifique en donnant un comprimé présenté comme le médicament, mais ne
contenant pas l’agent actif, autrement dit administrer un placebo; ou soit éliminer
l’effet non spécifique en cachant au patient l’administration de l’agent actif.
Contrairement aux tests
cliniques classiques où l’effet placebo crée une amélioration observable chez
le patient ayant reçu un placebo à son insu, la seconde approche, celle dite «de
l’administration cachée» de l’agent actif, fonctionne un peu à l’inverse.
Si par exemple un patient est sous perfusion intraveineuse, il est facile de lui
administrer un antidouleur à son insu, puis de lui faire évaluer par un questionnaire
le niveau subjectif de sa perception douloureuse. On fait ensuite la même chose
en lui administrant «ouvertement» exactement la même dose de l’antidouleur, c’est-à-dire
que le médecin va lui faire une injection avec une seringue en expliquant au patient
la nature et les effets escomptés du médicament. Une auto-évaluation de la douleur
moindre dans ce second cas indique alors une composante non spécifique probablement
attribuable à l’effet placebo.
Ces études montrent que les effets antalgiques
sont beaucoup moins efficaces avec l’administration cachée, et ce, tant pour les
médicaments actifs que pour les placebos. Par exemple, si l’on dit à un
sujet portant un garrot serré à son bras qu’une injection intraveineuse de sérum
physiologique présenté comme un puissant antalgique calmera sa douleur, alors
il éprouve un soulagement. Ce qui n’est pas le cas pour la même injection pratiquée
sans qu’ils n’en soient conscients.
Une autre expérience a montré que
la dose d’analgésique nécessaire pour réduire la douleur de moitié était beaucoup
plus élevée avec l’administration cachée, et ce pour les quatre substances antalgiques
testées. La même tendance était observée dans le décours temporel de l’effet qui
venait plus tard avec l’administration cachée.
L’arrêt « ouvert » ou «
caché » d’une thérapie à la
morphine confirme d’ailleurs ces résultats, le retour de la douleur se faisant
plus rapidement avec une douleur plus vive quand les patients se faisaient dire
que le traitement allait être arrêté que lorsqu’on l’arrêtait à leur insu. Ce
phénomène peut aussi rentrer dans ce que l’on appelle l’effet nocebo (voir encadré),
la peur du retour de la douleur pouvant avoir ici un effet hyperalgésique.
Exactement les mêmes résultats ont été obtenus avec l’administration
ouverte ou cachée de l’anxiolytique
diazépam chez des patients ayant une anxiété
importante à la suite d’une opération, de même qu’avec le protocole de retrait
ouvert ou caché de cette thérapie.
Il est donc possible d’étudier
l’effet placebo sans même avoir recours à l’administration d’une pilule placebo.
Un corollaire de ceci est qu’une pilule placebo administrée à l’insu d’un patient
n’aura jamais d’effet sur lui. Ceci est tout à fait compréhensible puisque le
patient ne saurait alors se créer d’attentes sans une explication du traitement.
Cela rappelle également l’importance de la relation entre le médecin et le patient
parmi tous les facteurs qui favorisent l’effet placebo.
L’effet placebo est un cas particulier
d’une capacité plus générale du cerveau : celle de
pouvoir influencer en profondeur le fonctionnement du corps. C’est tout
le domaine de la psycho-neuro-immunologie, une discipline qui
s’est développée à partir des travaux de Robert Ader
à partir du milieu des années 1970.
Celui-ci a réussi
à conditionner des rats en associant la prise d’un liquide sucré
à une substance immunosuppressive, de sorte que l’eau sucrée
seule parvenait ensuite à diminuer les défenses immunitaires de
l’animal. C’était la première évidence scientifique
que le système nerveux peut influencer le système immunitaire.
Depuis,
de nombreuses expériences sont venues confirmer que le cerveau et le système
immunitaire, les deux systèmes adaptatifs majeurs du corps humain, communiquent
constamment entre eux. Et ils le font surtout grâce à deux voies
principales : l’axe hypothalamo-hypophysio-surrénalien
et le système
nerveux sympathique, comme l’avaient déjà pressenti des
précurseurs de la discipline comme Hans Selye ou Henri
Laborit.
Il est intéressant de considérer le phénomène
de l’effet placebo à la lumière de l’évolution
de la psycho-neuro-immunologie. Avant les années 1970, on considérait
encore les effets potentiellement néfastes du stress sur la santé
comme quelque chose d’un peu ésotérique. Or aujourd’hui
la psycho-neuro-immunologie est un domaine de recherche très actif et plus
personne dans la communauté scientifique ne conteste ces interactions entre
la
pensée et le corps. Plusieurs chercheurs pensent que l’effet
placebo est en train d’atteindre un peu le même seuil d'acceptation
générale.
Les études sur l’effet placebo mettent
en effet de plus en plus en évidence des cascades de réactions biochimiques
impliquant par exemple la
sécrétion d’endorphines capables d’atténuer la
douleur. D’autres guérisons associées à l’effet
placebo pourraient venir d’un impact positif plus général
des attentes favorisant l’efficacité du système immunitaire.
On a d'ailleurs maintes fois confirmé, à l'opposé, qu'un
stress chronique sévère entraîne une baisse des fonctions
immunitaires qui ouvre alors la porte à plusieurs pathologies, incluant
les maladies cardiovasculaires et la dépression.
Sans compter les cellules pré-cancéreuses ou les virus constamment
présents dans notre organisme qui sont éliminés de manière
routinière par un système immunitaire en santé, mais qui
peuvent prospérer quand celui-ci est déprimé.
Ce qui
ne veut pas dire, pour caricaturer un peu, qu’on peut guérir un cancer
avec un sourire. Mais peut-être peut-on en prévenir certains en évitant
d’affaiblir son système immunitaire. Et l’on sait aujourd’hui
que les pensées et les attentes générées par le cerveau
peuvent affecter la neurochimie des mécanismes complexes qui nous maintiennent
en santé.