Dès l’enfance et jusqu’à l’âge adulte,
on observe une différence du seuil de la douleur entre les hommes
et les femmes : celles-ci ont tendance à ressentir davantage de douleurs qui leur
apparaissent comme plus intenses. Des spécialistes de la douleur comme Jeffrey
Mogil pensent que ces differences ne s’expliquent pas seulement par des
facteurs socio-culturels (une endurance à la douleur encouragée chez l’homme,
par exemple).
Plusieurs de ses expériences mettent en évidence un câblage
neuronal différent selon le sexe. Une disparité associée à l’expression différentielle
de gènes chez l’homme et chez la femme. Certains de ces gènes amènent par exemple
une réponse différente aux analgésiques selon le sexe.
Cette différence
de fonctionnement, qui rendrait les circuits de la douleur des femmes plus sensibles,
a des répercussions sur la façon même dont se fait la recherche sur la douleur.
En effet, près des trois quarts des études se font uniquement avec des souris
ou des rats mâles. Cette pratique découle du fait que les fluctuations hormonales
des femelles ont toujours été vues comme introduisant une trop grande variabilité
dans les résultats, une affirmation que réfute Mogil.
Ce qui peut introduire
bien plus d’erreurs à son avis, c’est de continuer à expérimenter seulement avec
des animaux mâles et d’étendre les conclusions de ces études au sexe féminin.
Comme son nom l’indique, le syndrome
de fatigue chronique se caractérise principalement par une grande fatigue
que le repos n'arrive pas à éliminer. D’autres symptômes secondaires peuvent aussi
être ressentis plus ou moins intensément, par exemple une fièvre légère, des ganglions
lymphatiques douloureux, une fatigue persistante après l'exercice, des maux de
tête constants ou une sensibilité à la luminosité.
Un système immunitaire
déréglé jouerait un rôle important dans l'apparition du syndrome de fatigue chronique.
Les allergies et certains virus sont également sur la liste des suspects. Le stress
serait un facteur aggravant dans la mesure où il est reconnu comme ouvrant la
porte à une multitude de pathologies par l’affaiblissement du système immunitaire.
La fibromyalgie est très similaire au syndrome de fatigue
chronique. La principale différence est la présence de douleurs diffuse au niveau
du système osseux et musculaire pour la fibromyalgie alors que c’est plutôt la
fatigue généralisée qui prédomine dans le syndrome de fatigue chronique. La fibromyalgie,
qui affecte environ 3 % de la population, peut cependant aussi être accompagnée
de fatigue.
Mais ce sont surtout des douleurs pouvant être localisées en
18 «points sensibles» qui sont le propre de la fibromyalgie. Lorsque ces douleurs
persistent plus de 3 mois à 11 ou plus de ces points, le diagnostic de fibromyalgie
est appliqué.
La fibromyalgie diffère de l’arthrite par une douleur liée
aux muscles, aux tendons et aux ligaments plutôt que localisée uniquement dans
les articulations. Contrairement à l’arthrite, elle ne cause pas non plus d’inflammation,
uniquement de la douleur. Mais quand on regarde les tissus qui font mal, on ne
remarque aucune trace de blessure ou de maladie, d’où l’étrangeté de ce syndrome.
Outres ces douleurs s’apparentant souvent à des sensations de brûlure,
les personnes souffrant de fibromyalgie peuvent avoir une grande sensibilité au
froid, des raideurs matinales, des troubles du sommeil, des migraines ou des troubles
digestifs. Le syndrome entraîne également un sentiment d’incompréhension, voire
d’incrédulité, chez les proches qui ne réagissent pas toujours bien devant une
personne qui prétend avoir « mal partout ».
Les symptômes de la fibromyalgie
apparaissent souvent dans la trentaine. Ils peuvent éventuellement aller en s’atténuant,
mais sans jamais disparaître complètement. Peu de traitements sont disponibles
hormis des antidépresseurs et des anti-inflammatoires destinés à soulager la douleur.
On ne connaît pas vraiment la cause de la fibromyalgie. On parle d’un désordre
biochimique dans lequel la douleur musculaire interagirait avec d’innombrables
agents biologiques. Le tout pourrait être déclenché par un stress, un traumatisme
ou une infection et être lié à certaines dysfonctions des systèmes neuroendocriniens
et immunitaires.
Le syndrome du côlon irritable est un
dysfonctionnement du côlon d’origine inconnue qui partage également de nombreux
points communs avec la fibromyalgie. Ce sont cependant ici les troubles digestifs
qui prédominent : douleurs abdominales, ballonnements dus à l’accumulation de
gaz, constipation ou diarrhée.
À la suite de la psychologue Susan
Blackmore, on peut se demander s’il ne serait pas plus pertinent, à la place de
la traditionnelle question philosophique « pourquoi la douleur fait mal », de
se demander plutôt pourquoi la douleur « me » fait mal. En effet peut-il y avoir
douleur s’il n’y a pas de sentiment
de soi sur lequel agit cette douleur ?
Antonio
Damasio affirme que le « soi » est nécessaire pour ressentir la douleur.
Pour lui, les patterns neuronaux provoqués directement par le stimulus douloureux
ne sont pas suffisants pour que la douleur soit vécue comme douloureuse. Pour
avoir toute cette dimension émotionnelle de la douleur, nous devons également
savoir que c’est nous qui avons cette douleur. Pour Damasio, il doit donc y avoir
quelque chose qui vient après le signal nociceptif et qui se déploie dans les
régions appropriées du cerveau pour produire le sentiment douloureux.
Damasio
n’étant pas dualiste,
ces deux étapes doivent correspondre à des états du système nerveux. Le système
de la douleur doit donc rendre accessibles ses patterns neuronaux au système du
soi. On retrouve donc ici la notion d’accessibilité au centre de la
théorie de l’espace de travail global, où différents systèmes de traitement
inconscients rendent disponible aux autres le fruit de leur travail. Mais même
alors, il demeure difficile d’expliquer la transformation de cette interaction
entre patterns neuronaux en sentiment subjectif de douleur.
DIFFÉRENTS TYPES DE DOULEUR
L’évolution
nous a dotés d’un système protecteur hors pair pour
préserver l’intégrité de notre corps : la douleur. Un enfant qui touche un
fer à repasser brûlant se souvient ensuite toute sa vie d’éviter ce contact. Mais
si, pour diverses raisons, cette douleur persiste malgré la disparition des lésions
initiales, elle peut devenir un véritable cadeau empoisonné.
Pour s’y retrouver,
on peut d’abord distinguer, selon leur durée, la douleur
aiguë de la douleur chronique. On peut aussi établir un classement en fonction
des mécanismes qui génèrent la douleur. On distingue alors trois grandes catégories
: les douleurs par excès de nociception, les douleurs neuropathiques ou neurogènes,
et les douleurs psychogènes.
Les douleurs
par excès de nociception sont provoquées par l’activation normale de
nos voies neuro-physiologiques de la douleur. C'est le coup de marteau sur le
pouce qui endommage des tissus périphériques et génère un excès d'influx nerveux
dans les
nocicepteurs.
Les douleurs par excès de nociception peuvent
provenir autant de la peau, des articulations et des muscles que des viscères
comme le foie, le cœur, les reins, etc. La cause peut être lésionnelle par stimulation
mécanique (écrasement, torsion, étirement), thermique (brûlures) ou chimique (agents
irritans). Elle peut aussi être inflammatoire ou ischémique (la douleur du muscle
qui manque d’oxygène). Le plus souvent, la douleur est renforcée ou entretenue
par la
libération de substances endogènes qui activent directement ou indirectement
les nocicepteurs.
Le traitement de ces
douleurs passe donc par la suppression ou la diminution du message nociceptif
à différents endroits au niveau périphérique et/ou central, principalement par
l’administration d’antalgiques.
Contrairement
à la douleur par excès de nociception, certaines douleurs spontanées s'expriment
en dehors de toute stimulation périphérique. Elles sont regroupées sous l’appellation
de douleurs neuropathiquesou neurogènes (bien
que des distinctions sont parfois faites entre les deux termes). Ces douleurs
relèvent de lésions que l’on retrouve directement sur les nerfs ou les neurones
des voies nociceptives. Il s'agit de dysfonctionnements complexes du système nerveux
pouvant affecter à la fois les structures périphériques et centrales.
Les
douleurs associées au système nerveux périphérique peuvent provenir de
lésions aux nerfs, par exemple la section d’un nerf suite à une coupure ou sa
compression suite au déplacement d’une vertèbre. Elles sont ressenties dans le
territoire des nerfs atteints comme des décharges électriques, des élancements,
des brûlures ou des picotements. Le cas extrême de ce type de lésion nerveuse
est la douleur du membre fantôme des amputés (voir l’encadré ci-bas).
Bien
que les mécanismes à l’origine de la douleur chronique demeurent mal connus, certains
phénomènes survenant naturellement après une blessure semblent y jouer un rôle
non négligeable. C’est le cas du processus inflammatoire qui, en mobilisant une
multitude de molécules dans la région blessée pour optimiser la guérison, altère
les propriétés des nocicepteurs.
Ceux-ci peuvent alors subir, dans la région enflammée, une sensibilisation
périphérique. Certains de ces nocicepteurs sensibilisés vont alors
commencer à émettre des potentiels d’action plus facilement ou même spontanément.
Dans les cas où, pour diverses raisons,
la douleur persiste trop longtemps, deux symptômes des douleurs neurogènes peuvent
alors se mettre en place : l’hyperalgésie, où un stimulus nociceptif
donné provoque davantage de douleur que normalement, et l’allodynie,
où un simple stimulus tactile, même léger comme une caresse, déclenche une douleur
sévère.
Cette transmission soutenue de
signaux douloureux au système nerveux central peut également mener à une sensibilisation
au niveau central. Une hyperexcitabilité se développe alors au niveau
des neurones de la racine dorsale de la moelle épinière ainsi que dans les centres
supérieurs associés à la douleur. La douleur devient en quelque sorte engrammée
dans notre système nerveux. Une sensation douloureuse chronique peut alors s’installer
et persister bien après la guérison de la blessure initiale.
Des
douleurs chroniques d’origine centrale peuvent aussi surgir pour d’autres raisons.
Des accidents vasculaires cérébraux (ACV) thalamiques ou sousthalamiques peuvent
en être la cause. Ou encore des lésions médullaires traumatiques, inflammatoires
ou démyélinisantes (on pense par exemple à la sclérose en plaques). Ces phénomènes
peuvent aussi déséquilibrer les
contrôles descendants de la douleur, rendant le
système de portillon de la moelle épinière trop facilement franchissable par
les messages douloureux.
Les souffrances
que les douleurs neurogènes engendrent démoralisent les patients et parfois leurs
médecins parce qu'elles sont très difficiles à traiter. On estime qu’à peine le
tiers des douleurs neuropathiques peuvent être traitées par les antalgiques couramment
employés pour les autres formes de douleurs, tels que les analgésiques opioïdes
et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. De plus, ces médicaments provoquant
des effets secondaires importants, plusieurs patients préfèrent interrompre leur
traitement.
Les spécialistes s’entendent
malgré tout pour dire qu’en traitant le plus rapidement possible les douleurs
persistantes on réduit les probabilités de les voir devenir chroniques.
Outre
les douleurs par excès de nociception et les douleurs neurogènes, on peut parler
d’une troisième origine possible pour la douleur : les douleurs psychogènes.
Les personnes qui reçoivent ce diagnostic ne présentent aucune lésion apparente
malgré des douleurs qu’ils affirment très présentes. Celles-ci ont souvent des
localisations inexplicables à différents endroits du corps et apparaissent à différents
moments. Des relations familiales difficiles, des conditions de travail stressantes,
de l'alcoolisme ou de la
toxicomanie accompagnent souvent ces douleurs psychogènes dont nous ne comprenons
pas, en l’état actuel de nos connaissances, les causes physiologiques.
Bien
que leur réalité même est encore discutée par certains, plusieurs pensent qu’elles
pourraient résulter de la synergie entre une petite lésion agissant comme élément
déclencheur et des phénomènes psychologiques d’amplification de la douleur. Sa
véritable définition serait alors un abaissement du seuil nociceptif lié à des
désordres de l’humeur. Il faudrait alors démontrer chez des patients souffrant
par exemple de fibromyalgies (voir l’encadré ci-contre) ou de céphalées de tension
(voir encadré ci-bas) qu’il y a effectivement un abaissement du seuil nociceptif.
Un certain nombre de résultats iraient en ce sens.
Une
autre approche s’efforce de relier certaines de ces douleurs inexplicables du
point de vue physique à un passé traumatique ancien, remontant notamment à la
période périnatale ou à la prime enfance. On a en effet démontré chez l’animal
que le stress périnatal peut modifier le comportement douloureux à l’âge adulte.
On serait alors en droit de penser que le
système limbique humain peut être lui aussi modifié durant
son développement par des traumatismes physiques ou psychologiques anciens.
Toute douleur physique ayant inévitablement
aussi un effet sur le psychisme de l’individu, on voit combien sont complexes
les rapports entre les deux. Qui n’a jamais éprouvé des douleurs
musculaires à la suite d’une tension psychologique provoquée par le stress,
la colère ou un surmenage ?
Les maux de tête,
ou céphalées, sont sans doute parmi les douleurs les plus familières. Généralement
bénins, ils n’en demeurent pas moins très invalidants.
Les enfants peuvent
également éprouver des maux de tête. Avant la puberté, ils sont plus fréquents
chez les garçons, mais cette tendance s'inverse après la puberté. De sorte que
les femmes adultes éprouvent davantage de maux de tête que les hommes, les douleurs
étant souvent reliées au cycle menstruel. Ces maux de tête bénins disparaissent
généralement par eux-mêmes au bout d’un certain temps ou à l’aide d’un analgésique
léger.
Les maux de tête peuvent avoir des causes diverses et ne sont souvent
que le symptôme secondaire d’autres pathologies. C’est le cas de la sinusite par
exemple, qui survient après une infection des voies respiratoires supérieures,
comme le rhume. Le mal de tête est ici associé à la présence de l’agent infectieux
dans les sinus nasaux.
Dans cette catégorie de maux de tête qui cachent
autre chose, on peut citer aussi les maux de tête liés à l’hypertension artérielle,
chronique ou à l’effort, ou la névralgie faciale qui provoque une douleur aiguë
dans la zone contrôlée par le nerf trijumeau qui transmet les sensations du visage.
Des céphalées peuvent aussi être déclenchées par l’exposition à des produits
chimiques, par des hémorragies ou des ischémies, par des traumas crâniens ou aux
vertèbres du cou, par le syndrome
de sevrage, etc. À l'occasion, les maux de tête peuvent aussi être le symptôme
d'un trouble plus grave comme un accident vasculaire cérébral, la présence d'une
tumeur au cerveau ou le développement d’une méningite.
Et
puis il y a la migraine, un trouble neurovasculaire à facettes multiples
qui touche touche entre 10 et 15 % de la population adulte et trois femmes pour
un homme. Du grec «hemikranion», la migraine doit son nom au fait qu’elle apparaît
souvent d'un seul côté de la tête, bien qu’elle atteigne parfois les deux.
Les douleurs sont habituellement pulsatiles et s'accompagnent souvent
d'autres symptômes comme des nausées, des vomissements, des troubles de la vue
et une hypersensibilité à la lumière, au bruit et aux odeurs. Une attaque de migraine
peut durer quelques heures ou quelques jours pendant lesquels la personne est
si perturbée qu’elle doit délaisser ses activités quotidiennes normales. Plus
de la moitié des gens souffrant de migraine ont une ou plusieurs crises par mois,
et le quart ont au moins une crise par semaine.
La migraine apparaît souvent
en plusieurs stades reconnaissables. Certains migraineux ressentent par exemple
des signes annonciateurs (le « prodrome ») avant le début d’une crise : excitation,
grande fatigue, fringale inattendue, lourdeur des jambes, bâillements, petite
diarrhée… Puis, environ 10 à 30 minutes avant que le mal de tête débute, certains
expérimentent une « aura » qui peut se manifester visuellement par des scintillements
lumineux, des éclairs qui zigzaguent ou carrément des taches aveugles dans le
champ visuel. On connaît également des manifestations langagières (troubles de
la prononciation, recherche des mots) ou sensorielles (fourmillements) de la migraine
avec aura.
Puis arrive le mal de tête, qui commence souvent près de la
tempe d’un côté de la tête, et peut s’étendre éventuellement à l’autre, accompagné
de tous les symptômes préalablement décrits. Après des heures ou même quelques
jours, la douleur se dissipe finalement, laissant la personne ébranlée et épuisée.
Bien que les causes premières de la migraine ne soient
pas encore bien comprises, on sait qu’il s’agit d’un trouble neurovasculaire qui,
bien qu’ayant son origine dans le cerveau, perturbe plusieurs structures intracrâniennes
qui elles vont provoquer concrètement la douleur.
D’une part, donc, des
observations indiquent l’existence d’un « centre » générateur de la migraine dans
le tronc cérébral qui serait actif jusqu’à ce que la crise migraineuse ait disparu.
Et d’autre part, des phénomènes mieux connus comme le spasme des vaisseaux sanguins
cérébraux, c’est-à-dire une contraction suivie d’une vasodilatation des vaisseaux,
qui produite concrètement le mal de tête caractéristique. De nombreux médicaments
soulageant le mal de tête (Triptants, etc) agissent d’ailleurs en régularisant
l’afflux sanguin dans le crâne.
Les modèles de la migraine incorporent
aussi de plus en plus le concept de dépression corticale propagée (DCP)
– une vague d’activité neuronale accrue que l’on observe à la surface du cortex,
suivie d’une dépression de cette activité. Cette DCP serait une étape préliminaire
de la migraine et semble être la base physiologique du phénomène de l’aura perçu
par certains migraineux.
On pense également que la libération de certains
ions ou de certaines molécules issues du cerveau ou du sang dans le
liquide céphalo-rachidien durant la DCP activerait les voies nerveuses situées
sur les vaisseaux sanguins des méninges, et participerait aux réponses
inflammatoires douloureuses.
Plusieurs facteurs, qui affecteraient
l’excitabilité neuronale, peuvent déclencher une crise de migraine : des changements
hormonaux (pendant le cycle menstruel), certains aliments (le chocolat, les fromages
vieillis, la crème glacée, les nitrites, le glutamate monosodique), des boissons
(le vin), l’absence d’un repas, des odeurs ou des bruits forts, le
manque de sommeil, le surmenage ou le stress.
Des prédispositions génétiques,
possiblement exprimées en tant qu’hyperexcitabilité corticale, interviennent probablement.
Des gènes situés sur les chromosomes 1, 19 et X sont sur la liste des suspects.
La première chose à faire pour soulager la migraine est
de tenter d’en repérer les facteurs déclenchants et de les éviter dans la mesure
du possible. La tenue d’un journal quotidien sur ce que l’on a mangé, sur les
activités de la journée, la qualité du sommeil, etc, peut aider à identifier ces
facteurs déclenchants.
Lorsqu’un épisode se déclenche, le calme, la pénombre
et la relaxation sont de mise. Le massage du cou, du cuir chevelu ou des tempes
peut aussi soulager certaines personnes. Un linge frais sur le front peut aussi
aider.
Les médicaments susceptibles d’atténuer ou de raccourcir les crises
migraineuses comprennent les antalgiques (aspirine, paracétamol…), les anti-inflammatoires
non stéroïdiens (ibuprofène and naproxène) et les médicaments spécifiques à la
migraine (triptans et ergotamine). Ces substances ont cependant, comme tous les
médicaments, une efficacité variable selon les patients et des effets secondaires
que l’on doit considérer. Et à plus forte raison quand il s’agit de médicaments
pris quotidiennement pour prévenir les crises (bêta-bloquants, bloqueurs calciques,
antidépresseurs
tricycliques, anti-épileptique, etc).
Parmi les approches non médicamenteuses
du traitement de la migraine, mentionnons la myothérapie, une
approche développée vers le milieu des années 1990. Technique exclusivement manuelle,
elle vise à enlever de façon définitive des spasmes
musculaires permanents dont l’origine traumatique pourrait être très ancienne
dans la vie du patient.
La manœuvre vise donc à décontracter des muscles,
souvent situés dans la région du cou, avec des manipulations capables de contrer
un réflexe naturel dit « myotatique ». Les muscles retrouvent alors leur état
initial et cessent d’exercer des tensions à la base du crâne, tensions qui, lorsqu’elles
sont accentuées par le moindre stress, peuvent entraver la circulation sanguine
intracrânienne.
L’arrêt naturel du mal de tête après une nuit de repos,
la relaxation ou la médication pourrait être dû à un relâchement musculaire
suffisant pour faire cesser la crise. Mais pour les tenants de la myothérapie,
l’individu demeurera sensible aux facteurs déclenchants tant que les contractures
musculaires anciennes n’auront pas été éliminées. Pour eux, les phénomènes
vasculaires liés à la migraine et les douleurs cervicales fréquentes
qui lui sont associés ne sont donc pas contradictoires, mais plutôt complémentaires
: car si la migraine est bien d'origine vasculaire, sa cause est à chercher au
niveau de perturbations mécaniques du drainage veineux qui sont, elles, d'origine
musculaire.
On utilise le terme membre
fantôme pour désigner l’étrange phénomène
où une personne amputée d'un membre en ressent encore la présence.
Et cela peut durer des années, voire des décennies. Il y a aussi
des cas rapportés de seins fantômes, de mâchoires fantômes
et même de pénis fantômes qui ont des érections fantômes
!
Ce phénomène ne serait qu’une curiosité amusante
si ce n’était qu’environ 80 % des amputés (50 à
98 % selon les sources) vont ressentir à un moment donné des douleurs
qui semblent provenir de leur membre amputé. Et dans certains types d’amputation,
plus du tiers vont ressentir des douleurs sévères.
On parle
donc de douleurs fantômes pour décrire ce phénomène
accablant. Très difficiles à traiter avec les approches traditionnelles,
ces douleurs fantômes peuvent être décrites en terme de brûlement,
d’élancement, ou comme si le membre était replié dans
une position inconfortable.
L’idée d’une douleur à
un membre inexistant est si étrange que lorsque Silas Weir Mitchell utilisa
pour la première fois l’expression de « membre fantôme
» en 1872, à une époque où des milliers de soldats
étaient amputés pour des blessures ou de la gangrène, il
écrivit anonymement par peur du ridicule.
Plusieurs mécanismes
ont été avancés pour rendre compte de ce phénomène.
Par exemple, quand des nerfs endommagés guérissent et se régénèrent,
ils ne le font pas toujours correctement. Une activité spontanée
peut alors s’installer dans ces nerfs qui pourrait être perçue
comme autant de signaux douloureux par le patient. Des chirurgiens ont bien tenté
de réamputer le membre plus haut, dans l’espoir de moins abîmer
les nerfs, mais malheureusement sans grand succès.
La guérison
incorrecte des nerfs ne semble donc pas la seule cause possible des douleurs fantômes.
La douleur initiale du membre, celle qui conduit souvent à l’amputation,
peut également en être à l’origine. Cette douleur pourrait
continuer à exister, probablement parce qu’elle était devenue
“engrammée” dans le système nerveux central.
Les
traitements basés sur la composante centrale de l’origine
de la douleur sont d’ailleurs parmi les plus prometteurs. On a en effet
pu démontrer que les douleurs fantômes étaient proportionnelles
à des modifications de la représentation des régions du corps
dans le cortex sensoriel. Bien qu’on ne sache pas encore véritablement
comment ces modifications subséquentes à l’amputation génèrent
de la douleur, on a constaté que tout ce qui tend à réduire
ou à inverser ces modifications diminue les douleurs fantômes.
C’est
le cas des amputés qui utilisent plusieurs heures par jour une prothèse
électrique animée par des signaux provenant des muscles du patient.
Ou des tâches où le toucher répété de la peau
dans la région du moignon améliore la discrimination tactile à
cet endroit et réduit aussi les douleurs fantômes, possiblement en
redonnant au cortex une partie des influx sensoriels perdus suite à l’amputation.
Ramachandran
a créé un système de "boîte miroir" donnant aux amputés
l'impression de voir leur bras manquant. En regardant leur main intacte touchée,
les amputés ont alors l'impression que la main disparue l’est aussi,
et cette sensation apaise la douleur. Et la vue d'une tierce personne se caresser
la main, procure une sensation similaire dans le membre disparu, ce qui pourrait
impliquer certains neurones
miroirs.
D’autres expériences avec cette "boîte
miroir" suggèrent que la douleur fantôme pourrait aussi être
reliée à la perte du contrôle moteur du membre amputé.
Quand la personne amputée bouge sa main intacte dans ce dispositif, elle
a l’illusion de bouger sa main amputée et cela a également
pour effet de diminuer la douleur fantôme. Certains ont même obtenu
des résultats encourageants en faisant simplement imaginer à des
personnes des mouvements de leur membre paralysé (qui peuvent aussi générer
des douleurs fantômes).
Ces résultats pointent tous vers l’idée,
de plus en plus considérée, qu’en recréant
une image corporelle complète et cohérente,
on apaise les douleurs générées par le
membre absent. Il semble en effet que l’imput sensoriel
en provenance du membre amputé et la commande motrice
interrompue vers ce même membre produisent un décalage
entre la représentation corporelle précâblée
dans le cerveau et l’échange d’influx qui
y survient effectivement. Et pour des raisons encore inconnues,
ce décalage provoquerait de la douleur.
L’importance du conditionnement
comme source des attentes à l’origine de l’effet placebo a été mise en évidence
par une expérience originale de Fabrizio Benedetti et ses collègues. Ils ont d’abord
administré de la morphine à deux reprises à des athlètes durant leur entraînement.
Puis, le jour de la compétition, les athlètes ont reçu une injection similaire
mais contenant seulement une solution physiologique, sans la morphine. Malgré
cela, les chercheurs ont tout de même observé une activation du système
endorphinique des athlètes qui leur a permis d’augmenter leurs performances
et de mieux endurer la douleur ! Voilà qui pourrait causer quelques maux de tête
aux comités antidopage…
Outre la douleur, la maladie
de Parkinson est une autre affection particulièrement sensible à l’effet
placebo. Cette maladie dégénérative, qui entraîne une perte de contrôle musculaire,
est causée par un manque d’un neurotransmetteur, la dopamine.
Pour compenser ce déficit, on traite les patients parkinsoniens avec de la L-DOPA,
un précurseur de la dopamine qui permet d’augmenter les taux de dopamine dans
le cerveau.
Or plusieurs études ont montré que l’administration d’un placebo
active les neurones encore capables de sécréter de la dopamine, presque comme
lors de l’absorption de L-DOPA. Cette augmentation de dopamine est particulièrement
évidente dans l'un des centres de la motricité de notre cerveau, le striatum.
Rappelons que le système dopaminergique est aussi très important pour les
mécanismes
de récompense du cerveau humain et jouerait vraisemblablement un rôle dans
les attentes de soulagement suscitées par l'administration du placebo au malade.
L’amélioration clinique que l’on peut observer, tout comme les témoignages d’une
meilleure qualité de vie rapportés par les patients, semble aussi avoir une bonne
durée (quelques semaines, mais parfois des années).
Comme plusieurs sources médicales
indiquent que plus de 10% des hommes et plus de 20 % des femmes feront l’expérience
d’une dépression au cours de leur vie, il n’est pas étonnant de constater
que les antidépresseurs
soient parmi les médicaments les plus prescrits. Or l’efficacité réelle de leur
ingrédient actif par rapport à l’effet placebo est régulièrement débattue.
Ainsi
en 1998, après l’analyse de 38 études préalablement publiées, Irving Kirsch et
Guy Sapirstein concluaient que les placebos produisaient environ 75 % des améliorations
observées avec les vrais antidépresseurs. Les auteurs ajoutaient même que le 25%
propre aux antidépresseurs pourrait être dû à une réponse placebo accrue suite
aux effets secondaires provoqués par l’ingrédient actif, ou bien à d’autres facteurs
non spécifiques (voir l’encadré à droite).
En 2000, une autre méta-analyse
de résultats déjà publiés trouvait une réduction de 30% des tentatives de suicide
dans les groupes placebos comparé au 40% de réduction des groupes ayant reçu un
véritable antidépresseur.
Toujours en analysant plusieurs études, Kirsch
et son équipe ont montré en 2008 que 79% des patients déprimés ayant reçu un placebo
se portaient toujours bien, comparativement à 93% des patients traités aux antidépresseurs,
12 semaines après un traitement de 6 à 8 semaines.
Certains chercheurs
ont même soulevé l’hypothèse que la réapparition des symptômes que l’on observe
souvent après un certain temps d’utilisation des antidépresseurs, et généralement
interprétée comme une tolérance
à l’antidépresseur, pourrait être explicable en grande partie à la disparition
de l’effet placebo.
Ce qui étonne le plus dans toutes ces analyses est
de constater à quel point l’effet placebo peut être puissant pour traiter la dépression.
On note cependant que l’efficacité des antidépresseurs semble se démarquer davantage
de l’effet placebo plus la dépression est profonde.
Quoi qu’il en soit,
dans les discussions animées qui ont cours sur ce sujet depuis des années, il
semble que l’on ne remette plus en cause, dans certaines circonstances, un effet
supérieur des antidépresseurs à l’effet placebo. Cet effet semble cependant souvent
moins important que les compagnies pharmaceutiques voudraient nous le faire croire.
L’ampleur de ce qui les distingue d’une simple pilule de sucre n’étant pas toujours
très grand, voire peut-être parfois proche de zéro. Le débat se poursuit…
Deux mécanismes
psychologiques seraient particulièrement à l’œuvre pour engendrer ces
attentes : la suggestion et le conditionnement.
La
suggestion est l’acte par lequel une
idée est introduite dans le cerveau d’autrui et acceptée par lui. Amener une
personne en état d’hypnose est l’une des nombreuses choses qui peuvent être faites
par suggestion, bien que le cerveau se retrouve dans un état distinct lorsque
la personne atteint effectivement cet état d'hypnose.
Dans
le cas de l’effet placebo, c’est le médecin qui suggère au patient l’idée qu’un
traitement va améliorer son état. Cette suggestion provoque alors en quelque sorte
le rétrécissement du champ de conscience du patient autour de la chose suggérée,
c'est-à -dire l’idée que tel médicament va lui faire du bien. Cette pensée
consciente induit alors de réels changements physiologiques dont les mécanismes
sont encore mal connus.
Le conditionnement
est un autre phénomène, inconscient
celui-là, derrière l’effet placebo. Son fonctionnement a été bien décrit par Ivan
Pavlov dès le début du XXe siècle : une réponse inconditionnelle (la nourriture
qui fait saliver le chien, ou la pilule d’analgésique qui soulage la douleur),
suite à un apprentissage, crée une association permanente, de sorte qu’un stimulus
neutre peut ensuite produire une réponse conditionnée (un son de cloche associé
aux repas qui fait saliver le chien, ou une pilule de sucre qui soulage la douleur).
Et ce conditionnement
pourrait être très profond puisque tout Occidental, quand il est malade, a appris
qu’il faut aller chez le médecin et que celui-ci va nous administrer un médicament
qui va éventuellement nous guérir. La séquence « douleur, docteur, comprimé, guérison
» est donc très bien ancrée dans notre esprit. La simple démarche de prendre un
rendez-vous chez le médecin pourrait donc déjà mettre en marche l’effet
placebo, par conditionnement.
Loin de
s’opposer, suggestion et conditionnement auront donc des effets additifs difficiles
à dissocier et qui se renforcent mutuellement pour redonner confiance au patient.
Cette confiance contribuera aussi à diminuer l’anxiété
et le stress
du patient, et donc aussi les effets physiologiques néfastes bien connus qui leur
sont associés.
On
connaît maintenant certains des mécanismes physiologiques qui
sont mis en jeu durant l’effet placebo. Ils ont surtout été étudiés en ce qui
concerne l’effet placebo analgésique, mais d’autres troubles où l’effet placebo
est notable, comme la maladie de Parkinson, ont aussi généré des hypothèses quant
à des mécanismes neurobiochimiques y contribuant (voir encadré).
Dans
une étude pionnière publiée en 1978, Jon Levine a testé l’implication
des endorphines
lorsque l’effet placebo atténue une douleur subséquente à l’extraction de molaires.
Donner une injection de solution saline (donc un placebo) à un patient en lui
disant qu’il s’agit d’un médicament antidouleur est alors, pour certains patients,
aussi efficace qu’une dose de 6 à 8 milligrammes de morphine. Mais si on donne
ensuite à ces patients « placebo répondeurs » un antagoniste spécifique de la
morphine appelé naloxone, qui bloque donc également l’effet de nos propres morphines
endogènes, celui-ci augmente significativement la douleur de ces patients. Alors
que la même dose de naloxone ne cause aucune douleur additionnelle aux patients
qui n’avaient pas répondu à l’effet placebo.
Ce travail
a connu un retentissement considérable puisqu’il révélait les premières bases
biologiques de l'effet placebo pour la douleur en plus de démontrer un lien direct
entre des attentes psychologiques et un effet biologique.
Mais
comme rien ne reste simple longtemps avec le cerveau, Richard Gracely montrait,
en 1982, que l’effet antalgique d’un placebo peut exister même après l’inhibition
des endorphines par la naloxone. La même année, Priscilla Grevert démontrait quant
à elle que la naloxone n’a aucun effet significatif sur les douleurs ischémiques
expérimentales (par manque de sang, et donc d’oxygène). Mais aussi que cette même
naloxone diminue l’effet antalgique du placebo au fur et à mesure de la répétition
de l’expérience chez le même sujet.
D’où l’idée que
l’effet placebo pourrait être régi à la fois par des mécanismes endorphiniques
et non endorphiniques. Certains pensent que l’effet placebo centré sur les attentes
serait causé par les endorphines, mais que l’effet placebo plus issu d’un conditionnement
pourrait dépendre d’autres mécanismes.
Par ailleurs, une activation
dopaminergique associée à l’effet placebo a aussi été rapportée dans les noyaux
gris centraux ventraux, incluant le noyau accumbens. Et inversement, des réponses
à l’effet
nocebo ont provoqué une diminution de la libération de substances opioïdes
et de dopamine dans ces régions.
On observe donc une
activation du circuit
de la récompense lors de fortes réponses placebos, avec augmentation de libération
de dopamine
dans le noyau accumbens. Cela suggère un rôle possible de ces structures dans
la motivation nécessaire à l’effet placebo. L’implication du cortex frontal, également
fréquemment rapporté, pourrait pour sa part contribuer au rappel de l’administration
du placebo et au renforcement des attentes positives à son endroit.
Les
régions cérébrales impliquées dans ces phénomènes font donc partie du circuit
typiquement impliqué dans la motivation et la recherche de gratification. Comme
ces structures activent aussi des voies
inhibitrices descendantes de la douleur dans la moelle épinière, la réponse
placebo semble bien être un cas typique de
contrôle « de haut en bas » (« top down »). Les patients dont la pathologie
affecte les centres supérieurs, comme le cortex préfrontal dans le cas de la "maladie
d’Alzheimer", semblent d’ailleurs moins sensibles à l’effet placebo.
Dans les grands
médias, et même dans certaines publications scientifiques, on attribue souvent
l’amélioration d’un patient suite à la prise d’un placebo (comme une pilule de
sucre ou une injection de sérum physiologique) comme étant due entièrement à l’effet
placebo. On fait alors l’erreur d’attribuer l’entièreté de cette amélioration
aux attentes positives du patient. Il est vrai que ces dispositions psychologiques
positives peuvent amener des changements physiologiques favorables. Mais l’effet
placebo n’est pas le seul de ces « effets non spécifiques » pouvant
contribuer à cette amélioration.
Il existe d’autres de ces « effets non
spécifiques », désignés ainsi en opposition aux effets spécifiques de l’ingrédient
actif d’un médicament. Ceux-ci peuvent donc eux aussi contribuer à l’évolution
favorable d’une douleur ou d’une pathologie. Un des plus communs est tout simplement
l’évolution naturelle de la maladie. Le corps réussit bien souvent
à se guérir lui-même si on lui laisse le temps. Ce phénomène d’auto-guérison peut
donc aussi jouer, surtout si on lui laisse justement le temps nécessaire
pour faire son œuvre.
Plusieurs chercheurs qui s’intéressent à l’effet
placebo préconisent d’ailleurs, lors des tests cliniques, de suivre en plus du
groupe recevant le médicament et celui recevant un placebo, un troisième groupe
contrôle qui ne reçoit absolument rien. Ceci pour tenter de distinguer l’évolution
naturelle de la maladie du véritable effet placebo.
Par ailleurs, l’évolution
naturelle de certaines maladies dégénératives (comme la maladie de Parkinson)
est très bien connue et va vers une détérioration de l’état du patient. L’amélioration
de cet état suite à la prise d’un placebo peut alors être attribuable en grande
partie à l’effet placebo.
Outre l’évolution naturelle de la maladie, l’amélioration
observée ou rapportée par un patient après la prise d’un placebo peut être attribuable
à plusieurs autres facteurs, de nature eux aussi non spécifique.
Mentionnons
l’«
effet Hawthorne » selon lequel le seul fait de participer à une
recherche scientifique modifie le comportement du malade. Les patients qui participent
par exemple à des essais cliniques reçoivent beaucoup d’attention du médecin qui
leur explique des choses sur leur état de santé. Cela suffit, pour plusieurs,
à leur donner un sentiment de prise en main qui améliore leur condition.
Un
autre phénomène qui peut faire évoluer positivement l’état de santé d’un malade
est tout simplement ce qu’on appelle la régression à la moyenne,
c’est-à-dire la tendance des paramètres biologiques qui ont des variations aléatoires
à évoluer vers des valeurs moyennes. Les patients ont par exemple tendance à consulter
le médecin dans des moments où leurs symptômes sont les plus gênants. L’évolution
la plus probable est alors le retour à des valeurs de base moyennes. Une tension
artérielle anormalement élevée lors de la première consultation a statistiquement
plus de probabilités d’être redescendue à une valeur plus près de la normale lors
de la consultation suivante.
D’autres facteurs non spécifiques peuvent
donner l’impression qu’on a affaire à un effet placebo « réel », alors qu’il ne
s’agit que d’un effet placebo « perçu » et causé par d’autres facteurs. Tout ce
qui est sujet à une évaluation subjective comme la douleur ou la fatigue peut
ainsi être influencé par divers phénomènes psychologiques. Les
participants à un test clinique peuvent ainsi avoir un biais positif par rapport
à l’évolution de leur état parce qu’ils veulent croire que le temps ainsi investi
servira à quelque chose. Ils peuvent aussi simplement ne pas vouloir décevoir
le médecin en lui donnant des réponses polies allant dans le sens du meilleur
scénario possible pour le test. Bref, les patients peuvent simplement se
convaincre qu’ils vont mieux.
L’importance de ces autres facteurs
non spécifiques a conduit certains chercheurs à minimiser l’importance réelle
de l’effet placebo. Dans une étude qui a fait grand bruit lors de sa parution
en 2001, Hrobjartsson et Gotzsche ont cherché à préciser l’importance relative
de l’effet placebo et de l’évolution naturelle de la maladie. Pour ce faire, ils
ont analysé 29 essais cliniques en
double aveugle sur le traitement de la douleur. Ils concluent que l’importance
accordée à l’effet placebo est probablement beaucoup plus grande que ce qu’elle
ne l’est en réalité.
Des critiques ont à leur tour été faites à cette étude,
notamment en soulignant que les groupes sans traitement qui avaient servi de contrôle
à Hrobjartsson et Gotzsche étaient des patients sur des listes d’attente. Peut-être
n’ont-ils alors pas vu de grandes différences simplement parce que ces groupes
n’étaient pas vraiment qualitativement différents d’un groupe avec traitement
par placebo ? En effet, affirment leurs détracteurs, les malades en attente sur
une liste s’orientent souvent vers d’autres formes de traitement, et bénéficiant
alors eux aussi d’une prise en charge mettant en jeu une relation médecin–malade,
l’un des facteurs les plus déterminants de l’effet placebo.
D’autres ont
repris le travail de Hrobjartsson et Gotzsche en distinguant le type d’information
donnée aux patients. Ils retrouvent alors un effet placebo plus important dans
certaines études, celles dont l’objectif était spécifiquement l’étude de l’effet
placebo. Les patients de ces études se font dire qu’ils vont recevoir un traitement
actif alors que dans les études comportant un placebo uniquement comme contrôle,
le patient sait qu’il peut tomber sur une pilule de sucre. Il est donc probable
que dans le premier cas, les attentes soient plus fortes, ce qui expliquerait
la disparité.
Cela étant dit, dans les études où l’on compare trois groupes,
soit un groupe traité, un groupe qui reçoit un placebo et un groupe qui ne reçoit
rien, le groupe placebo améliore généralement de façon significative son état
par rapport au groupe n’ayant rien reçu.
Nicholas
Humphrey a élaboré une théorie permettant d’expliquer l’origine
évolutive de l’effet placebo. Humphrey rappelle d’abord que nombre de symptômes
désagréables dont nous voudrions nous débarrasser sont en réalité des défenses
contre des menaces encore plus grandes pour l’organisme. Et la douleur en est
l’exemple le plus évident, sa principale fonction étant de nous signaler une blessure
pour nous inciter à nous immobiliser et ainsi favoriser la guérison. Les
rares individus qui ne ressentent pas la douleur sont là pour nous rappeler
l’importance de celle-ci.
Et on pourrait dire la même chose d’autres symptômes
comme la fièvre, par exemple, qui est une réponse du corps favorisant l’élimination
des bactéries ou des virus par élévation de la température. Ou de toute réponse
immunitaire, qui produit par exemple de l’inflammation.
Or ces réponses adaptatives souvent complexes ont inévitablement un coût
pour l’organisme. Un coût qui peut, dans certaines circonstances, s’avérer trop
élevé pour les bénéfices espérés. La douleur ressentie à la suite d’une foulure
de cheville est-elle toujours la meilleure chose qui puisse vous arriver ? Probablement
si vous étiez en train de prendre une simple marche de santé. Mais sans doute
pas si vous êtes poursuivi par un lion affamé ! Mieux vaut alors supprimer temporairement
la douleur paralysante (ce que fait très bien notre
système antidouleur naturel), quitte à empirer la blessure, et tenter de fuir,
plutôt que de servir de repas au félin.
La même question se pose lors d’une
infection : est-ce le bon moment de déclencher une réponse immunitaire coûteuse,
ou devrait-on garder ses énergies au cas où quelque chose de plus sérieux encore
arriverait ? Si vous êtes en sécurité à la maison et que vous avez du temps de
convalescence devant vous, alors oui, il est probablement préférable d’y mettre
le paquet pour combattre le virus. Mais peut-être pas si vous êtes dans un environnement
incertain où d’autres dangers peuvent surgir. La question cruciale est donc toujours
quelque chose comme : que va-t-il se passer ensuite ?
Et l’idée de Humphrey
consiste à dire que si l’individu est convaincu que de bonnes conditions seront
réunies pour l’avenir, alors il peut baisser la garde et allouer toutes les ressources
dont dispose son corps pour l’auto-guérison. Et par extension, Humphrey pense
que toute condition qui contribue à nous procurer cette tranquillité d’esprit
va nous amener à allouer beaucoup de ressources à notre guérison.
D’où
l’analogie flagrante avec les facteurs connus, comme les attentes positives, qui
favorisent l’effet placebo. Et pour Humphrey, l’importance de la relation médecin
– patient si souvent rapportée pour l’effet placebo viendrait du fait que nous
sommes une espèce hautement sociale. En effet, l’expérience personnelle est trop
restreinte pour être la meilleure source de connaissance quand on dispose d’un
langage
qui nous donne accès à l’expérience de tous les autres. Cette « permission extérieure
», comme l’appelle Humphrey, est la plus susceptible de nous convaincre que les
conditions sont réunies pour allouer toutes nos ressources à la guérison. D’où
l’importance de l’effet placebo quand on va voir le médecin ou, de tout temps,
le shaman, le guérisseur, le gourou ou tout autre thérapeute charismatique...