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La
richesse éloigne les riches de leur humanité
Stimuler
ou inactiver des régions cérébrales, dhier
à aujourdhui
La
biologie cérébrale a son mot à dire dans nos
allégeances politiques
Des
circuits de millions de neurones : plaisir, douleur, apprentissage,
mémoire
V.S.
Ramachandran raconte qu’un patient amputé du bras gauche à qui il touchait
différentes parties du corps s’est écrié avec surprise qu’il lui touchait le pouce
du bras amputé lorsque Ramchandran touchait en réalité le côté gauche du visage.
Et quand le coton-tige qui servait à toucher le visage était déplacé vers la lèvre
supérieure, le patient affirmait alors que le neurologue touchait son index fantôme…
Cette observation où de la chaleur, du froid ou une stimulation tactile
appliquée sur le visage peut parfois être ressenti sur un membre
fantôme a été répétée plusieurs fois. De même, toucher les parties génitales
peut parfois être ressenti sur un pied amputé. Pour comprendre ces étranges
observations, il faut se rappeler que le
cortex somatosensoriel contient une carte complète, quoique déformée, de la surface
corporelle dans laquelle le visage est représenté à côté de la main. En l’absence
d’input sensoriel en provenance de la main chez la personne amputée, les
inputs du visage envahissent graduellement la région corticale dédiée à la main.
Voilà pourquoi la personne amputée ressent souvent la stimulation aux deux endroits,
sur le visage et sur la main fantôme. Cette réorganisation du cortex
cérébral après une amputation constitue une preuve de plus de sa très
grande plasticité
même chez l’adulte. Mais peut-être ici n’a-t-elle pas que de bons côtés. Certains
chercheurs pensent en effet que cette «colonisation» du cortex associé au membre
perdu par d’autres parties du corps pourrait être à l’origine même de la douleur
fantôme. Des études ont en effet démontré que plus cette plasticité était importante,
plus la douleur était vive. |
Suite à une lésion
cérébrale, certaines personnes subissent une véritable déconnexion
de la composante émotionnelle de la douleur. Ces personnes, souffrant de
ce qu’on appelle l’asymbolie à la douleur,
peuvent percevoir la douleur et la localiser, mais ne ressentent pas l’émotion
négative qui lui est habituellement associée. Les lésions
subies par ces patients touchent presque toujours la partie postérieure
de l’insula
et l’opercule pariétal, c’est-à-dire la base du gyrus
postcentral, siège de la discrimination somatosensorielle. Les neurones
de ces régions ont des fonctions complexes. On sait par exemple qu’ils
répondent à des stimuli nociceptifs somatosensoriels ainsi qu’à
des menaces visuelles à l’intégrité de l’organisme.
La destruction totale ou partielle de ces structures cérébrales
empêche donc cette intégration et rend la personne incapable de la
transformer par la suite en comportement d’évitement de la douleur.
On voit aussi comment cette perte de sens de la menace et du danger amène
la déconnexion émotionnelle si surprenante de ce syndrome. Car
l’émotion et la motivation à agir sont des choses très
proches évolutivement parlant, la première pouvant favoriser la
seconde dans une perspective adaptative. Rire de son mal, comme le font parfois
les gens souffrant d’asymbolie à la douleur, n’est sans doute
pas la meilleure chose à faire lorsqu’un chien enragé est
en train de vous mordre un mollet… | | |
LA NEUROMATRICE DE LA DOULEUR | | La
multiplicité des voies ascendantes de la nociception suggère
que celles-ci ne dépendent pas d’un système unique se terminant
dans un « centre de la douleur » quelque part dans le cerveau. Au
contraire, la perception de la douleur est prise en charge par de nombreuses structures
cérébrales, ce qui confirme les multiples facettes du phénomène.
Après avoir rejoint la
formation réticulée du tronc cérébral, puis certains
noyaux du thalamus, le message douloureux atteint le cortex cérébral.
Le cortex somatosensoriel primaire
(ou S1) reçoit les axones des neurones thalamiques du noyau ventral
postérolatéral (ou VPL) tandis que le cortex somatosensoriel
secondaire (ou S2) reçoit les informations nociceptives à
la fois de l’aire S1 et des noyaux thalamiques. Si on assigne généralement
à S2 un rôle dans la reconnaissance de la douleur et la mémoire
des douleurs passées, S1 est associé pour sa part à la discrimination
des différentes propriétés de la douleur. L’organisation
somatotopique est en effet préservée jusqu’au cortex S1
et rend possible la localisation de l’endroit douloureux sur le corps. Le
degré d’activité des neurones de S1 correspond quant à
lui à l’intensité du stimulus douloureux. Par exemple, plus
l’eau qui coule sur votre main est chaude, plus vos neurones du cortex S1
vont déclencher d’influx nerveux. Les études d’imagerie
cérébrale montrent que plus l’activité corticale dans
S1 est intense, plus la douleur est évaluée comme intense subjectivement
par le sujet. D’autres études
d’imagerie utilisant l’hypnose pour suggérer au sujet que l’intensité
du stimulus douloureux est moindre que ce qu’elle est en réalité
ont d’ailleurs démontré une diminution d’activité
dans le cortex S1 dans ces conditions. Fait remarquable, si la suggestion hypnotique
portait sur le caractère plus ou moins déplaisant du stimulus, l’activité
dans le cortex S1 demeurait constante. Cependant, celle du cortex cingulaire
antérieur, associée à la composante affective de
la douleur, variait pour sa part en fonction de la suggestion, confirmant des
rôles distincts pour ces deux régions.
D’après
Price, D.D. (2000) Science vol. 288, 1769-1772 | Les
outils d’imagerie cérébrale permettent donc de faire des associations entre des
structures cérébrales particulières et les différentes dimensions de ce phénomène
complexe qu’on appelle couramment la douleur. Ensemble, ces régions cérébrales
interconnectées entre elles forment ce qu’on appelle la
matrice de la douleur. Ses différentes composantes peuvent être associées
spécifiquement, mais pas exclusivement, à l’anticipation de la douleur, à sa discrimination
ou à ses manifestations affectives désagréables, comme c’est le cas pour le cortex
cingulaire antérieur. | On
explique cette association entre les affects négatifs de la douleur et l’activité
du cortex cingulaire antérieur par le fait que celui-ci intègre les inputs sensoriels
au traitement cognitif. Cela permet de produire une réponse motrice appropriée
à la stimulation douloureuse, comme des comportements d’évitement. L’émotion étant
liée à la motivation et celle-ci à l’action, on comprend l’importance du cortex
cingulaire antérieur dans les réactions affectives à la douleur qui nécessitent
une réponse comportementale immédiate. Et si c’est
la partie antérieure du cortex cingulaire qui est la plus souvent citée quand
on parle de la douleur, les travaux de Burkhart Bromm montrent que c’est d’abord
le cortex cingulaire postérieur qui répond le premier au message
nociceptif (environ 220 millisecondes après la stimulation nociceptive). Cette
activité se déplace par la suite vers les parties médianes et antérieures du cortex
cingulaire, avant de s’éteindre dans le cortex frontal autour de 300 millisecondes
après le début du stimulus. C’est aussi le cortex
cingulaire postérieur qui permettrait de fondre en une perception unifiée l’affect
négatif de la douleur à sa localisation, sa nature et son intensité grâce à ses
connexions au cortex pariétal reconnu pour son rôle dans l’intégration
de modalités sensorielles. La partie postérieure du
cortex pariétal intervient également dans l’attention au stimulus douloureux,
de même que la région dorsolatérale du cortex préfrontal droit qui fait aussi
partie de ce réseau cortical attentionnel. On sait en effet à quel point le détournement
de l’attention
du stimulus douloureux peut diminuer la sensation subjective de douleur, et comment
ce bien-être ressenti s’accompagne d’une diminution réelle d’activité dans des
régions cérébrales associées à la douleur. Le
cortex préfrontal n’est pas seulement impliqué dans les fonctions
dites «supérieures» impliquant souvent l’attention, mais aussi dans l'apprentissage
des sensations nociceptives, et donc dans le développement d’un affect négatif
associé à ces situations. Il est donc extrêmement bien placé pour avoir son mot
à dire sur l’anticipation et le contrôle de la douleur. Par
exemple, lors d’expériences conçues pour inciter le sujet à anticiper la venue
de chocs électriques douloureux, ceux-ci étaient appliqués dans deux conditions
: sans crème, et avec une crème placebo
présentée comme analgésique. Durant la condition placebo, outre le fait que les
sujets rapportent une douleur moindre, on observe une diminution concomitante
de l’activité nerveuse dans des régions associées à la douleur comme le thalamus,
le cortex somatosensoriel primaire et secondaire, le cortex cingulaire antérieur
et le
cortex insulaire (ou insula). Cependant, l'anticipation d’une douleur moindre
dans cette condition placebo amène au contraire une augmentation d’activité
électrochimique dans le cortex préfrontal ainsi que dans une région du mésencéphale
incluant la substance grise périaqueducale. Le cortex
préfrontal étant également associé à certaines formes de mémoire
de travail, autrement dit au maintien temporaire d’idées, d’informations ou
de pensées en vue d’un contrôle cognitif, on voit comment tout cela pourrait lui
permettre de jouer un rôle dans l’anticipation d’un soulagement à l’origine de
l’effet placebo. Quant
à la substance grise périaqueducale, son activation en parallèle
avec le cortex préfrontal durant l’anticipation d’un soulagement va dans le sens
de l’hypothèse
déjà avancée voulant que des mécanismes préfrontaux déclenchent la libération
d’opioïdes
endogènes dans la substance grise périaqueducale durant l’effet placebo. De
plus, ce noyau du mésencéphale reçoit de l’information de nombreuses structures
cérébrales liées à l’intégration des processus émotionnels. La
région de la substance grise périaqueducale reçoit aussi des afférences des
fibres nociceptives ascendantes susceptibles elles aussi de déclencher les
mécanismes de contrôles descendant qu’exerce cette région sur les
neurones de la corne dorsale de la moelle épinière. On
sait maintenant que cette analgésie endogène peut être déclenchée par la stimulation
de plusieurs autres structures sous-corticales, allant du bulbe au diencéphale.
C’est le cas notamment du noyau du raphé (l’un des plus efficaces avec la substance
grise périaqueducale), du noyau réticulaire latéral, du noyau du tractus solitaire,
du locus coeruleus, de l’aire parabrachiale et de hypothalamus latéral. D’autres
structures sous-corticales contribuent à différents phénomènes associés à la douleur.
Ainsi, l’envoi d'informations nociceptives de la formation réticulée et du thalamus
non spécifique à la structure régulatrice végétative par excellence qu’est l’hypothalamus
sera à l'origine de l’augmentation de la sécrétion des hormones
de stress et de l’activation du système
nerveux sympathique. Les mêmes projections, en activant le striatum,
favoriseront les réponses motrices d’alarme en grande partie automatiques déclenchées
par une stimulation douloureuse. Les interconnexions
importantes entre le cortex cingulaire antérieur et l’amygdale,
un haut lieu de la régulation viscérale émotionnelle, expliquent la sudation,
l’accélération du rythme cardiaque, l’augmentation de la tension artérielle ou
les nausées provoquées par une douleur intense. Finalement,
la
localisation anatomique particulière de l’insula, ainsi que
ses liens privilégiés avec le système
limbique en font un candidat idéal pour servir d’interface entre l’information
sensorielle en provenance du corps et l’état cognitif particulier d’une personne
à un moment donné. Car une sensation subjective comme la douleur est construite
justement par l’intégration de cette information sensorielle et cognitive. Or
l’insula (plus spécialement l’insula antérieure droite) est l’une des structures
cérébrales les plus fréquemment activées non seulement directement par un stimulus
douloureux, mais aussi lorsqu’une personne regarde des images de situations douloureuses
et imagine que c’est elle qui les subit. Les recherches
portant sur les bases
neuronales de l’empathie révèlent ainsi une superposition partielle des aires
cérébrales actives lors d’une douleur subie versus une douleur observée chez quelqu’un
d’autre, superposition qui comprend l’insula et le cortex cingulaire antérieur.
La vue d’une image évoquant la
peur, un autre affect négatif proche de la douleur, entraîne pour sa part
l’augmentation d’activité dans le cortex cingulaire antérieur et dans des structures
comme l’amygdale, mais pas dans l’insula. Si la peur et la douleur provoquent
tous les deux un état émotionnel désagréable associé à une réaction de retrait
et de protection, on voit que leurs bases neurologiques ne sont encore une fois
que partiellement superposables. |
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