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AideLien : Quelle conscience durant le coma?Lien : Foetuses Cant Feel Pain Says A Leading PsychologistLien : Mapping pain in the brain
Lien : Exploring the pain “neuromatrix”
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Expérience : Trying To Control Pain Can Be A Double-edged Sword, Say Scientists

En 2004, A. Vania Apkarian a utilisé l’imagerie par résonance magnétique pour comparer les cerveaux de personnes saines à ceux de patients souffrant de douleurs chroniques au dos. Il a observé un amincissement de la matière grise du cerveau comparable à la perte de matière grise observée en 10 ou 20 ans de vieillissement. Et plus la personne vivait avec cette douleur chronique depuis longtemps, plus le volume de matière grise était diminué.

Cette perte était particulièrement évidente au niveau du thalamus et du cortex préfrontal, une région associée à la résolution de problèmes. Or Apkarian avait déjà observé que les patients souffrant de douleurs chroniques prennent plus de temps pour résoudre certains tests d’habiletés mentales que les personnes saines.

On connaît bien l’effet néfaste du stress sur certains neurones du cerveau impliqués notamment dans la mémoire. Il demeure toutefois difficile d’affirmer si c’est le stress lié à une douleur chronique qui est directement à l’origine de l’amincissement de la matière grise ou si le stress ne serait pas plutôt à l’origine de la douleur chronique, et la douleur par la suite responsable de la diminution du volume cérébral.

Chercheur : A. Vania ApkarianLien : Chronic back pain shrinks 'thinking parts' of the brain, study findsLien : Studies: Chronic Pain Comes From the Brain Brain Scan Tech Revealing Chronic Pain Can Even Lead to Loss of Gray Matter

Des études montrent une activation du noyau accumbens, région clé du circuit de la récompense, durant certaines expériences faisant usage de stimuli nociceptifs. De plus, cette activation serait liée dans plusieurs cas à une variation du taux d’endorphine au voisinage du nucleus accumbens.

Le fait que la dopamine est aussi impliquée dans l’analgésie produite par l’effet placebo est une donnée qui va dans le même sens puisque les neurones du noyau accumbens sont très sensibles à ce neurotransmetteur que l’aire tegmentale ventrale leur envoie.

Ces résultats tendent à appuyer la thèse voulant qu’il existe des mécanismes physiologiques précis derrière ce que l’on perçoit subjectivement comme un continuum, à savoir le passage de la douleur à l’arrêt de celle-ci, puis à des sensations agréables ou fortement plaisantes. Cette conception que le plaisir et la douleur font partie d’un même spectre remonte d’ailleurs à des penseurs comme Spinoza et Bentham qui l’ont mis de l’avant dans leur philosophie.

Lien : Brain links pain with pleasureLien : Placebo Effect Seems Related to Reward Expectations, Dopamine ActivityLien : Fine Line Between Pleasure & PainLien : Pleasure, pain activate same part of brain
Expérience : Signal valence in the nucleus accumbens to pain onset and offsetExpérience : Nucleus accumbens β-endorphin levels are not elevated by brain stimulation reward but do increase with extinctionLien : Apport de la neuro-imagerie fonctionnelle à l’étude de la douleur
LA NEUROMATRICE DE LA DOULEUR

On a cherché en vain un « centre de la douleur » dans le cerveau. Si un tel centre avait existé, on aurait pu envisager d’atténuer les douleurs chroniques de millions de gens en en faisant l’ablation ou en essayant de le neutraliser chimiquement. Mais ces efforts n’ont pas abouti. La douleur est en effet un phénomène subjectif aux multiples dimensions, tant discriminatives, affectives que cognitives. Il n’est donc pas étonnant de découvrir qu’un stimulus nociceptif active de nombreuses structures cérébrales qui vont interagir pour construire une sensation douloureuse particulière.

On découvre aussi que l’activité dans ce réseau est très sensible aux processus de régulation « de haut en bas » (« top down », en anglais) ce qui expliquerait des phénomènes comme l’effet placebo. Sans compter l’intégration d’une douleur particulière avec notre expérience personnelle et notre héritage culturel qui étend encore davantage le spectre des zones cérébrales impliquées.

Cela dit, on admet aujourd’hui qu’il existe une spécialisation fonctionnelle au moins partielle des régions cérébrales impliquées dans les différentes composantes de la douleur. On tente donc maintenant d’associer à ces différentes composantes des sous-ensembles de structures cérébrales et de proposer ainsi un modèle fonctionnel global de la douleur. Étant donné la complexité du phénomène dont veulent rendre compte ces modèles, de vifs débats leur ont toujours été associés.

Grosso modo, on peut dire que la conception sous-jacente aux théories de la douleur est passée d'une causalité linéaire à une causalité circulaire. On a pu d’abord parler d’une théorie de l’intensité, où la douleur résulte de l’activité excessive de certains nerfs qui ne lui sont pas nécessairement spécifiques. Puis, au XVIIe siècle, René Descartes fut l’un des premiers à parler de la douleur comme d’une sensation spécifique, au même titre que la vue, l’ouïe ou l’odorat.

En 1894, Von Frey énonce de façon explicite une théorie de la spécificité des sensations. Pour lui, c’est le type de terminaison nerveuse qui détermine la nature et la qualité de la sensation perçue. L’information circule ensuite essentiellement de la périphérie vers les centres supérieurs (où elle rejoint quelque chose qui ressemble à un « centre de la douleur »), pour redescendre ensuite en commande motrice sans grande altération. Cette théorie ne laisse donc pas de place à des modulations d’origine psychologiques comme l’attention ou l’expérience passée qui donne un sens à une situation particulière. Le cerveau et les relais sous-corticaux étant ici rien de plus que des récepteurs passifs.

 


Source : Charest, Lavignolle, Chenard, Provencher et Marchand, 1994 École interactionnelle du dos. Rhumatologie, 46, 221-237.

 

 

Incapable d’expliquer convenablement des phénomènes comme la douleur chronique, la théorie de la spécificité a par la suite fait place à différentes théories du pattern (ou des patrons d’activation) qui ajoutent à cette voie ascendante linéaire différents relais. Ceux-ci permettent d’amorcer une certaine intégration de l’activité de fibres nerveuses ayant des propriétés réceptrices différentes, intégration qui s’effectue par exemple au niveau de la substance gélatineuse de la moelle épinière, des noyaux ventro-postérieurs du thalamus et du cortex somatosensoriel. Le retour vers la commande motrice se fait ensuite linéairement vers le bas.

Le développement de la théorie du portillon à partir des années 1960 et par la suite de la théorie de la neuromatrice s’appuie sur le constat que la douleur résulte d'une multitude d'interactions et d'échanges d'informations à plusieurs étages du système nerveux. Et la modulation de l’information nociceptive ascendante se fait à chacun de ces multiples relais avant d’être intégrée comme une perception douloureuse. Ce modèle circulaire de la douleur permet surtout de mieux comprendre comment les composantes nociceptives, discriminatives, affectives et comportementales peuvent s'influencer mutuellement.

Le concept de neuromatrice a été mis de l’avant par Ronald Melzack à la fin des années 1980 pour tenter d’expliquer l’étrange phénomène des douleurs aux membres fantômes. Il est en effet très fréquent que des personnes amputées ressentent des douleurs bien réelles qui leur semblent provenir du membre amputé. Ce phénomène illustre clairement que la douleur n’est pas générée par un système à sens unique. Pour l’expliquer, Melzack propose que c’est l’activité nerveuse dans un réseau comprenant plusieurs structures cérébrales qui générait la douleur. Et ce réseau pouvait même générer de la douleur sans qu’il n’y ait de stimulus sensoriel déclencheur.

Dans le cas des douleurs fantômes, un conflit entre la rétroaction visuelle et les représentations proprioceptives du membre amputé pouvait induire dans la neuromatrice une confusion génératrice de douleur. L’utilisation d’un miroir pour donner l’illusion visuelle au patient qu’il a par exemple à nouveau sa main amputée s’est d’ailleurs montrée efficace pour apaiser certaines douleurs fantômes.

Activation de régions de la neuromatrice de la douleur, dont l’insula, le cortex cingulaire antérieur, la substance grise périaqueducale, le cortex préfrontal médian et l’aire motrice supplémentaire.

 

Cette matrice de la douleur, ou neuromatrice, constitue donc l’ensemble des régions du cerveau dont l’activité varie lors d’une expérience douloureuse. C’est un vaste espace neuronal où peuvent être codés différents types de douleur. Chacune de ces douleurs singulières auront ce que Melzack appelle une «neurosignature» particulière, c’est-à-dire un pattern d’activation unique de la neuromatrice ou d’un sous-ensemble de celle-ci.

D’autres emploient l’expression d’assemblée de neurones pour décrire ce type d’association neuronale. Et comme les connexions des cerveaux de chaque individu sont différentes dans le détail, les neurosignatures de chaque individu sont forcément différentes. De même, les connexions synaptiques étant modifiables avec l’expérience, une neurosignature va être structurellement différente dans un même cerveau avec le temps qui passe.

Pour tenir compte de toutes les facettes du phénomène des douleurs fantômes, Melzack a proposé une neuromatrice comprenant de nombreuses structures cérébrales impliquées tant dans l’aspect discriminatif, affectif, cognitif et moteur de l’expérience douloureuse des amputés.

Sa neuromatrice incluait au moins trois circuits neuronaux majeurs dont l’importance a été confirmée par les nombreuses études d’imagerie cérébrale qui ont suivi. D’abord une voie nociceptive ascendante spinothalamique latérale discriminative, qui comprend les noyaux ventropostérieurs du thalamus et le cortex somatosensoriel. Ensuite une voie spinothalamique médiane plutôt affective et motivationnelle impliquant le tronc cérébral, les noyaux ventro-médians du thalamus, le système limbique et le cortex frontal). Et finalement des régions associatives du cortex pariétal inférieur.

Le tableau s’est aussi enrichi de régions comme le cortex orbitofrontal, préfrontal (dans les aires de Brodmann 9, 10, 44), moteur (comme l’aire 6 de Brodmann et le cortex moteur supplémentaire), sans oublier certaines régions du mésencéphale comme celle de la substance grise périaqueducale et du noyau lentiforme (ou lenticulaire).

Des régions comme le cortex cingulaire antérieur et l’insula sont même devenues aux yeux de plusieurs des régions clé dont l’activation va nécessairement de pair avec certaines facettes de la douleur, notamment sa composante affective. Sans revenir en arrière et en faire des « centres de la douleur », les neurones de ces régions montrent une grande spécificité à certains aspects de la douleur. Ce qui montre que la neuromatrice de la douleur peut avoir des « nœuds » dont l’activité est plus significative que d’autres.

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