Le cerveau, malgré ses milliards de neurones,
ne possède pas de récepteurs à la douleur. Quand on a mal
à la tête, c'est aux vaisseaux sanguins qui irriguent
le cerveau que l'on a mal, et pas aux neurones qu'il contient. Ces vaisseaux se
contractent ou se dilatent anormalement, ce qui est perçu et traduit en
influx douloureux par les nocicepteurs de leur paroi.
Chaque nerf spinal (ou rachidien), émergeant
de la moelle épinière par le trou situé entre deux vertèbres,
est formé par l'association des fibres sensitives (racine dorsale) et motrices
(racine ventrale) de la moelle. Nous avons ainsi 8 nerfs spinaux cervicaux (C1
à C8), 12 nerfs spinaux thoraciques (T1 à T12), 5 nerfs spinaux
lombaires (L1 à L5) et 5 nerfs spinaux sacrés (S1 à S5).
La région de la peau innervée par un seul nerf spinal est appelée
dermatome.
LES VOIES ASCENDANTES DE LA DOULEUR
Vous vous fermez une porte sur un doigt. Vous
vous cognez la jambe sur une chaise. Vous vous brûlez le bras sur une casserole
encore chaude. À chaque fois, vous avez d'abord un réflexe
de retrait, puis une sensation douloureuse aiguë suivie d'une douleur
sourde.
Avant de regarder les voies nerveuses qui amènent l'information
douloureuse jusqu'au cerveau, regardons d'où part cette douleur et dans
quel type de fibre nerveuse elle voyage. Cela est en effet essentiel pour comprendre
ce que l'on appelle la douleur rapide (ou aiguë) et la douleur lente (ou
sourde).
D'abord, contrairement aux autres types de fibres sensorielles
comme celle du toucher qui ont des structures spécialisées à
leur extrémité (corpuscules de Pacini, de Messner, etc.), les fibres
nociceptives n'ont aucune spécialisation de ce type. On dit qu'elles ont
plutôt des " terminaisons libres " qui forment un maillage dense
d'arborisations multiples considérées comme les nocicepteurs,
c'est-à-dire les récepteurs sensoriels de la douleur. Ceux-ci ne
répondent que lorsqu'un stimulus est d'une intensité suffisamment
élevé pour menacer l'intégrité de l'organisme, autrement
dit lorsqu'il est susceptible d'entraîner une lésion.
Il existe
différents types de ces fibres nerveuses dont les terminaisons libres forment
les nocicepteurs. Toutes relient les organes périphériques à
la moelle épinière, mais leur diamètre diffère grandement,
de même que l'épaisseur de la
gaine de myéline qui entoure la fibre nerveuse ou axone.
Or le diamètre et la myélinisation influencent tous deux
la vitesse de conduction de l'influx nerveux : plus le diamètre d'une fibre
est grand, plus elle est alors myélinisée, et plus cette fibre conduira
l'influx nerveux rapidement. Avec ces deux critères, on distingue les fibres
sensorielles suivantes :
À noter que les axons de même diamètre
que les fibres A alpha, A bêta, A delta et C issus non pas de la peau, mais
des muscles et des tendons, sont aussi désignés groupes I, II, III,
et IV.
Les différentes vitesses de conduction des deux types
de fibres nerveuses nociceptives (A-delta et C) expliquent la façon particulière
dont on ressent la douleur lorsqu'on se blesse : d'abord une douleur aiguë,
vive et précise qui fait place quelques secondes plus tard à une
douleur plus diffuse et plus sourde.
Ce délai provient directement
de la vitesse de conduction différente des fibres A-delta et C qui fait
que leur message n'atteint pas le cerveau exactement en même temps. Ce qu'on
nomme la " douleur rapide ", qui disparaît assez vite, vient de
la transmission d'influx nerveux dans les fibres A-delta (qui conduit l'influx
nerveux à la vitesse d'un cycliste). Et la " douleur lente ",
plus persistante, est issue de la stimulation des fibres C non myélinisée
(qui conduit l'influx nerveux à la vitesse d'un marcheur). On estime que
ces dernières comptent pour environ 70% des fibres nociceptives.
Les
seuils d'activation des différentes fibres sensorielles ne sont pas non
plus les mêmes. Autrement dit, certaines ont besoin de stimulations plus
intenses pour se mettre à produire des influx nerveux. On l'a bien démontré
en stimulant directement avec un courant électrique un nerf sensoriel,
qui contient donc des fibres nerveuses de tous les types.
À
faible intensité, on provoque l'apparition d'une sensation tactile chez
le sujet, mais aucune douleur, car ce sont les fibres A-bêta qui sont recrutées
en premier. Si l'on augmente l'intensité, des influx nerveux apparaissent
dans les fibres A-delta et la personne ressent une sensation douloureuse, brève,
tolérable et bien localisée. À plus forte intensité,
on déclenche l'activation des fibres C et, comme on peut s'y attendre,
le sujet rapporte l'apparition d'une douleur intense et diffuse.
Il
est aussi possible de bloquer sélectivement les fibres A-delta et C, et
les délais de l'activité nerveuse observés dans le nerf confirment
le rôle de chacune des fibres dans les deux composantes de la douleur.
On sait toutefois qu'il ne s'agit pas de voies rigides
qui transmettent les messages nociceptifs intégralement et sans déformation
de la périphérie jusqu'au cerveau. Les nocicepteurs peuvent être
très activés sans qu'il y ait douleur, comme les soldats ou les
sportifs blessés qui
ne ressentent pratiquement pas la douleur dans le feu de l'action. Ou plus
simplement, qui ne s'est pas déjà coupé sans s'en rendre
compte parce que son attention était concentrée sur l'exécution d'une tâche prenante
? Sans parler de l'effet
placebo, où le seul fait de croire en un traitement peut diminuer la
douleur en l'absence de tout ingrédient actif
Pour comprendre
ce qui rend possibles ces phénomènes, il faut s'intéresser
à ce qu'on appelle " le contrôle descendant de la douleur ". Il s'agit de voies nerveuses qui vont descendre des structures centrales
pour aller réduire le signal nociceptif en provenance du corps qui chemine
dans les voies ascendantes.
Bien que toutes nos perceptions soient sujettent,
au moins à certains degrés, à des modulations d'origine centrale,
c'est avec la perception de la douleur que ces mécanismes " de
haut en bas " montrent toute leur puissance. Les mécanismes de
contrôle descendants de la douleur pouvant aller, comme on l'a dit, jusqu'à
faire disparaître complètement certaines formes de douleur.
Le
changement de paradigme est donc énorme. D'une part, il n'y a pas de ligne directe qui relierait
des récepteurs de la douleur à des " centres de la douleur
" dans le cerveau. Et d'autre part, les voies de la douleur sont mieux décrites
en terme d'influences ascendantes et descendantes concomitantes : une véritable
symphonie d'activité neuronale se produit simultanément dans les
deux directions, et c'est la rupture de ce fragile équilibre en faveur
des messages nociceptifs excitateurs qui produit la douleur. La douleur devient
donc davantage une " opinion " que l'organisme se crée sur son
intégrité physique qu'une réponse réflexe à
une lésion. Cela a par exemple permis des avancées importantes dans
le traitement de la douleur puisqu'on peut maintenant chercher à potentialiser
ces voies descendantes qui inhibent la douleur.
La théorie du
portillon est celle qui est aujourd'hui reconnue pour décrire le mieux
les mécanismes à l'uvre dans le contrôle descendant
de la douleur. Sa métaphore principale est celle de " portes "
qui, tout au long des voies ascendantes de la douleur, peuvent se fermer pour
rendre plus difficile le passage de l'influx nociceptif. Le même degré
d'activité d'un nocicepteur ne va donc pas conduire à la perception de la même intensité
douloureuse selon le degré d'ouverture de ces portes situées au
niveau des principaux relais des voies de la douleur.
On
distingue trois types de contrôle exerçant ce rôle de filtre
biologique pouvant réduire le passage de l'influx douloureux :