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L'évitement de la douleur
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L'évitement de la douleur

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AideLien : To what extent do we share the pain of others? Insight from the neural bases of pain empathyLien : Everybody Post About Mirror Neurons!!!Lien : Nature and Compassion
Lien : Nature's lessons for a more kind societyLien : The Neuroscience of AdmirationLien : We can literally feel the pain of strangers, study findsLien : Terms of Empathy
Lien : L'homme sans douleur (extrait vidéo)Lien : Empathie : la fin des neurones miroirs ?Lien : Impaired Cognitive Empathy in Bipolar Disorder and in Patients with Ventromedial Prefrontal LesionsLien : The Neurobiology of Empathy through Pain Research
Lien : The Neurobiology of Empathy through Pain Research
Chercheur
Chercheur : Jean DecetyChercheur : Alvin I. Goldman
Expérience
Expérience : Understanding Others' Regret: A fMRI StudyExpérience : MRI of moral emotions while causing harmExpérience : Empathy examined through the neural mechanisms involved in imagining how I feel versus how you feel painExpérience : The neural bases of empathic accuracy

L’hyperscanning montre une synchronisation cérébrale entre les cerveaux de deux locuteurs

L’empathie, particulièrement celle pour la douleur d’autrui, est une caractéristique humaine universelle. Comprendre qu’une situation vécue par un pair peut être également douleureuse pour nous sans avoir à l’expérimenter a pu constituer un avantage adaptatif significatif.

Mais que se passe-t-il lorsque notre profession nous amène à côtoyer la douleur des autres quotidiennement ? Ou même à en infliger pour venir à bout d’une maladie ? Est-ce qu’un médecin, par exemple, ressent la détresse de tous les patients qu’il voit à chaque jour ? Heureusement que non, car il ne pourrait prendre toutes les décisions éclairées que son travail nécessite s’il était constamment affecté émotivement par la souffrance de ses patients.

Le personnel soignant parvient donc à tenir le réflexe premier de l’empathie à distance. Comment ? Une étude d’imagerie cérébrale de Yawei Chang et Jean Decety comparant des acupuncteurs à des gens qui ne sont pas dans le domaine de la santé a montré des différences importantes dans l’activation de leur cerveau lors de l’observation de gens se faisant piquer par des aiguilles.

Chez le groupe contrôle, la vue des piqûres a activé plusieurs régions responsables du traitement de la douleur, notamment l’insula antérieure, le cortex cingulaire antérieur, le cortex somatosensoriel et la substance grise périaqueducale.

Chez les acupuncteurs, rien de tout cela, mais au contraire une activation importante dans les régions cérébrales associées aux fonctions supérieures comme la régulation des émotions. Des régions comme le cortex préfrontal médial, le gyrus frontal médian, le gyrus parahippocampique et le lobule pariétal inférieur.

De plus, les acupuncteurs n’accordaient que 3 ou 4 points sur une échelle de 10 au caractère déplaisant des piqûres subies par autrui, alors que les sujets contrôles les évaluaient beaucoup plus haut, autour de 6,5 en moyenne. Les deux groupes avaient par ailleurs obtenu des résultats semblables à des tests psychologiques sur l’empathie générale et la sensibilité à la douleur, ce qui éliminait des différences préalables qui auraient pu expliquer ces résultats.

L’explication la plus plausible concernant les mécanismes derrières le contrôle de l’empathie chez les experts de la santé semble donc qu’ils réussissent à littéralement faire taire les circuits de la douleur en utilisant d’autres régions de leur cerveau associées à des fonctions cognitives de contrôle. Des régions impliquées par exemple dans des processus mnésiques sur lesquels reposent l’expérience du professionnel de la santé (le gyrus parahippocampique) ou la distinction entre soi et les autres (la jonction temporopariétale).

Lien : Doctors repress their responses to their patients’ painLien : Doctors control their own brains’ pain responses to better treat patientsLien : Empathy during Medical EducationLien : About Suffering
Lien : We Empathize, Therefore We Are: Toward a Moral NeuropoliticsLien : The quest for compassionLien : Empathy Marketing 101

Si l’empathie favorise la compréhension mutuelle, cette prédisposition qui nous rend sensibles à la détresse des autres peut parfois devenir un fardeau. C’est ce que ressentent certaines personnes exposées quotidiennement par les médias de masse à la souffrance d’un grand nombre d’êtres humains partout dans le monde. Cet état de mélancolie, de tristesse ou de pessimisme fut décrit en détail par les poètes romantiques pour rendre compte de leur impuissance ou leur refus à s’ajuster aux réalités d’un monde jugé destructeur.

L’écrivain allemand Jean Paul a créé le terme “Weltschmerz”
(littéralement “monde-douleur”) pour décrire ce que des écrivains français du début du XIXe siècle ont pour leur part appelé le “mal du siècle”. D’autres ont rapproché cette résignation devant la cruauté du monde, qui peut mener à la dépression, à l’état d’anomie décrite par Durkheim.
PARTAGER LA DOULEUR DES AUTRES

L’origine évolutive de l’empathie humaine a fait l’objet de plusieurs hypothèses. Notre capacité à nous mettre “dans le peau d’un autre” aurait permis à nos ancêtres de faire de meilleures prédictions sur les intentions et les besoins des autres. Ce faisant, elle aurait aussi favorisé les comportements de coopération et d’entraide entre les individus si interdépendants de notre espèce. Cette capacité à ressentir les états affectifs d’autrui aurait également joué un rôle crucial dans la communication.

Plus spécifiquement, comprendre la douleur d’autrui nous permet souvent d’éviter des situations dangereuses sans les expérimenter personnellement. Partager la détresse des autres amène également une inhibition des comportements agressifs ou de gratification. Cela s’observe chez de nombreuses espèces de mammifère, dont le rat qui cesse d’appuyer sur un levier lui donnant de la nourriture lorsqu’il s’aperçoit que son action donne un choc électrique à un autre rat.

L’empathie humaine pour la souffrance d’autrui pourrait bien avoir évolué à partir des circuits cérébraux nous informant de la douleur à notre propre corps. En effet, lorsque nous avons de l’empathie pour quelqu’un, de nombreuses études d’imagerie cérébrale indiquent une activation de structures cérébrales (comme le cortex cingulaire antérieur et l’insula) qui s’active également lors que nous souffrons nous-mêmes.

 Mais alors, une question fondamentale se pose: comment faisons-nous pour distinguer notre propre douleur de la douleur des autres ? Être pétri de douleur chaque fois que nous voyons une autre personne souffrir n’aurait certainement pas été adaptatif et ce n’est effectivement pas ce qui se produit non plus (voir toutefois l’encadré sur le “mal du siècle”) . Bien que nous ressentions la douleur d’autrui, nous parvenons la plupart du temps à garder un certain détachement par rapport à elle. En tout cas, nous savons que ce n’est pas notre corps qui souffre, même si la composante affective désagréable de la souffrance nous envahit.

Quels sont donc les mécanismes qui nous permettent un tel discernement ? Rappelons d’abord ce que l’on sait sur quelques autres phénomènes apparentés. On sait par exemple que la différence peut être subtile entre l’activation des aires cérébrales qui produit une action et la simple évocation mentale de cette action. À part les commandes motrices effectrices, l’imagerie mentale d’un mouvement active pratiquement les mêmes circuits neuronaux que lorsqu’on exécute réellement cette action.

On sait aussi que des régions corticales reliées à la douleur peuvent s’activer en l’absence de stimulus douloureux lorsqu’une expérience douloureuse est anticipée. De plus, l’intensité de cette activité anticipatrice est proportionnelle à l’importance de la douleur anticipée.

Une autre donnée récurrente est que l’activation cérébrale d’une personne qui éprouve de l’empathie en observant une autre exprimer une émotion est d’intensité moindre que lorsque cette personne vit réellement cette émotion.

L’intensité de l’activation semble donc jouer un rôle pour éviter la confusion entre soi et les autres lors d’un partage affectif. Mais on peut entrevoir d’autres mécanismes de discernement possibles en considérant trois autres composantes associées à l’empathie, soit la réponse affective, la régulation émotionnelle et l’influence cognitive.

La réponse affective, qui se déclenche automatiquement avec l’émotion observée, correspond à une résonance de réseaux de neurones partagés, mais à une résonance seulement partielle de ceux-ci.

Plusieurs études ont en effet montré qu’il n’y a pas une superposition parfaite des aires cérébrales activées selon que la douleur est vécue ou observée. Des régions comme la jonction temporo-pariétale droite ainsi que le précunéus et le cortex cingulaire postérieur sont par exemple davantage activées lorsqu’on adopte la perspective d’autrui plutôt que la nôtre dans l’appréciation d’une émotion ou d’une douleur. Cela correspond d’ailleurs à cette contribution déjà connue de ces régions dans d’autres tâches.

De plus, contrairement à l’adoption du point de vue d’une autre personne éprouvant une douleur réelle, lorsque le sujet ne fait que s'imaginer ressentir lui-même une douleur, sa matrice de la douleur s’activait plus largement, éveillant par exemple le cortex somatosensoriel secondaire et la partie postérieure du cortex cingulaire antérieur. Cette activation différentielle était même observable à l’échelle d’une région corticale donnée, comme dans l’insula où ce n’était pas les mêmes sous-groupes de neurones à l’intérieur de cette structure qui s’activaient durant les deux conditions.

Ces données suggèrent donc un mécanisme possible derrière la sensation différente que suscite notre propre douleur versus celle observée chez les autres. On note aussi un continuum d’activation entre ces deux situations, avec une activation de plus en plus postérieure dans des structures comme l’insula ou le cortex cingulaire antérieur plus la situation douloureuse évoquée se rapporte à soi-même.


Tableau de Paul Walsh
 

S’il est donc utile de pouvoir partager à un certain degré les souffrances d’autrui, des mécanismes sont en place pour nous permettre de garder une certaine autonomie, un certain contrôle sur cette réponse empathique qui est d’ailleurs soumise à de nombreux autres facteurs (voir l’encadré ci-bas).

Par exemple, les médecins, les infirmiers et les infirmières, qui sont en contact quotidien avec la souffrance d’autrui, doivent contrôler d’une certaine façon cette réponse empathique afin de garder la distance nécessaire pour prendre les bonnes décisions pour le patient (voir l’encadré).

L’une des stratégies psychologiques les plus efficaces pour effectuer cette régulation émotionnelle devant la douleur de l’autre consiste à tendre vers une position détachée par rapport à lui. Cette image mentale de soi-même en observateur peu affecté par ce qu’il voit permet de diminuer l’expérience anxiogène reliée à l’observation de la douleur. Des expériences en imagerie cérébrale ont identifié des régions du cortex préfrontal médian et antérolatéral qui inhiberaient cette composante automatique de la réponse empathique.

D’autres mécanismes cognitifs vont permettre de contrôler ce caractère automatique de l’empathie et de maintenir ainsi une frontière entre soi et les autres. Des mécanismes qui ne sont probablement pas à l’oeuvre dans les phénomènes de contagion émotionnelle, par exemple.

C’est ici qu’entre en jeu ce qu’on appelle par exemple la théorie de l’esprit, c’est-à-dire notre capacité de faire un travail conscient d’imagination pour se mettre du point de vue de l’autre, de tenter de voir le monde à travers ses croyances et ses modes de pensée.

Et ici, beaucoup de données supportent une implication du cortex préfrontal médian dans ces tâches nécessitant des inférences sur les états mentaux d’autrui pour les comprendre avec plus de nuance. Car s’imaginer vivre par exemple la douleur précise qu’éprouve une personne venant de perdre un membre de sa famille est un processus cognitif plus complexe que simplement reconnaître l’émotion de tristesse qui se dégage de son visage. Les données de l’imagerie cérébrale montrent d’ailleurs que, bien que ces processus aient généralement lieu de concert, ils recrutent différents réseaux neuronaux. Des réseaux qui sont cependant interconnectés, les liens entre le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire antérieur ou insulaire étant bien connus.

Les mécanismes affectifs et cognitifs de l’empathie sont donc un peu comme les deux côtés de la même médaille, le premier agissant davantage “de bas en haut” et le second “de haut en bas” selon l’information qui nous est accessible sur la situation.

Ce travail mental de d'imagination de ce que l'autre ressent va donc bien au-delà d'un mimétisme automatique reposant sur les neurones miroirs. Nicolas Danziger a ainsi démontré que des personnes insensibles à la douleur depuis leur naissance (en raison de mutations génétiques) parvenaient tout de même à évaluer le degré de souffrance d'autrui à partir de l'expression de leur visage. Comme elles le font nécessairement sans raviver des sensations douloureuses qu'elles auraient éprouvées, imaginer la douleur d'autrui requiert par conséquent pour elles un travail d’ordre cognitif.

Leur cortex préfrontal ventromédian s’active d’ailleurs lorsque ces sujets regardent des scènes évoquant la douleur, comme un marteau s'abattant sur un doigt, par exemple. On suppose qu’ils font alors intervenir tout un raisonnement pour comprendre ce que l'on doit ressentir dans de telles situations.

L’empathie humaine, qui consiste en une compréhension de l’expérience subjective d’autrui et non pas seulement en une reconnaissance superficielle, fait donc sans doute aussi appel, chez les sujets normaux, à cet apport cognitif important du cortex frontal. En d’autres termes, les neurones miroirs sont seulement une partie de l’histoire.

 

Bien que nous soyons prédisposés à avoir de l’empathie pour les autres, nous savons que cette réponse peut varier grandement selon les circonstances. Plusieurs facteurs peuvent ainsi moduler le degré d’empathie ressenti pour quelqu’un.

Plus l’intensité de l’émotion affichée par la personne observée sera grande, plus grande sera généralement l’empathie ressentie. Une aiguille enfoncée profondément dans la peau suscite plus d’empathie qu’une autre qui ne fait que gratter la surface de la peau. De même, la vue d’une personne souffrant d’une douleur aiguë active davantage la matrice de la douleur de l’observateur que la vue d’une personne souffrant de douleur chronique.

Le contexte d’une situation peut également influencer la perception de la douleur de l’autre. Les réponses empathiques sont par exemple réduites lorsqu’on dit au sujet que la personne qu’elle voit souffrir a mal parce qu’elle subit un traitement qui lui sera bénéfique.

L’empathie est aussi modulée par l’attention. Simplement observer des images de mains dans des situations douloureuses active davantage les régions du cerveau associées à la douleur que lorsqu’on distrait les sujets en leur demandant de compter les mains blessées sur les images.

Certaines caractéristiques de la personne empathique peuvent aussi moduler l’intensité de l’émotion qu’elle partage avec autrui. Le personnel soignant d’un hôpital qui est exposé quotidiennement à la douleur des autres parvient à mieux contrôler leur réponse empathique (voir l’encadré ci-contre).

Un autre facteur qui peut s’avérer déterminant pour l’empathie ressentie est la relation qu’entretient le sujet avec la personne observée. De manière plus générale, on sait tous que voir souffrir un proche suscite plus d’empathie que de voir un ennemi se plaindre d’une douleur. Une étude a aussi démontré que la réponse empathique devant une personne souffrante est moins grande (chez les hommes mais pas chez les femmes) si cette personne vient d’être jugée injuste par les sujets pour avoir triché à un jeu.

Dans la seconde partie de cette expérience publiée en 2006 par Tania Singer, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a permis d’observer une baisse d’activité des circuits de la douleur de ces hommes moins empathiques envers les tricheurs. De plus, cette technique a même permis de mettre en évidence une augmentation concomitante de l’activité nerveuse dans les circuits du plaisir, trahissant leur appréciation de voir les tricheurs punis. Une réaction qui, d’un point de vue évolutif, semble cohérente avec la valorisation de la coopération qui a de tout temps favorisé la cohésion des groupes humains.

D’autres études ont également montré que la relation qu’entretient le sujet avec la personne observée peut également modifier la propre perception de la douleur de l’observateur quand il reçoit des stimuli nociceptifs. Voir une personne sympathique recevoir des stimuli brûlants nous fait ressentir les mêmes stimuli reçus simultanément comme étant plus douloureux que lorsqu’on regarde une personne antipathique les recevoir. Et plus la personne observée est jugée sympathique, plus les stimuli reçus sont évalués comme désagréables. Cette perception douloureuse accrue se produit aussi quand les personnes sympathiques observées reçoivent des stimuli non nociceptifs. Ce qui fait dire aux auteurs de l’étude qu’il semble que ce soit la sympathie naturelle envers la personne observée qui est est à l’origine du phénomène, et non pas la situation particulière où elle exprime de la souffrance.

Une autre étude un peu contre-intuitive sur l’influence cette fois du milieu familial sur la perception de la douleur montre que celle-ci est corrélée positivement avec le degré de sollicitude du conjoint. Les épouses ayant beaucoup de sollicitude pour leur mari souffrant de mal de dos chronique amenaient une évaluation plus grande de la part de leur mari d’une douleur appliquée à leur dos que ceux dont l’épouse avait tendance attirer l’attention de leur mari sur autre chose. La douleur chronique, contrairement à la douleur aiguë, semble donc bénéficier davantage de distractions que de sollicitude.

Expérience : Empathy for another's distress affects pain perceptionExpérience : Empathy hurts: Compassion for another increases both sensory and affective components of pain perceptionLien : Social factors may deepen chronic painLien : I feel how you feel but not always: the empathic brain and its modulationLien : Terms of Empathy
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