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«
Les » Alzheimers
Selon le Dr. Judes Poirier,
spécialiste du vieillissement, l’état du cerveau d’une
personne atteinte de démence de type Alzheimer correspond, si l’on
extrapole l’évolution du vieillissement normal, au cerveau d’une
personne « en santé » qui aurait vécu jusqu’à…
150 ou 160 ans ! « À partir de l’âge de 30 ans
ou de 40 ans, on perd en moyenne entre 4 % et 10% de nos neurones tous
les dix ans. Si l’on avait la chance de vivre 150 ou 160 ans,
il est quasiment certain que nous aurions tous la maladie d’Alzheimer. Et
aussi la maladie de Parkinson. Parce que, d’un point de vue biologique,
lorsqu’on perd de 70 % à 80 % des neurones d’une
région du cerveau, on déclenche soit la maladie de Parkinson, si
les pertes se font dans les régions impliquées dans le mouvement,
soit la maladie d’Alzheimer, si les régions touchées sont
celles de la mémoire. [...] Comme on ne vit pas si longtemps, on
peut présenter la maladie d’Alzheimer comme une forme très
accélérée de vieillissement. La maladie émerge alors
à 60 ou 65 ans plutôt qu’à 150 ou 160 ans. »
- Judes Poirier |
Il existe plus d’une cinquantaine
de sortes de démence dont les causes sont très diverses. Parmi les
plus fréquentes, outre l’Alzheimer, on retrouve : La
démence vasculaire, souvent créditée d’environ
20% des démences. Elle survient suite à des accidents cérébraux
vasculaires dont le nombre et l’ampleur peuvent varier. La localisation
des lésions, corticales, sous-corticales, ou les deux, varie aussi. Quand
elle est associée à une démence de type Alzheimer, ce qui
est fréquent, on parle de démence mixte. La démence
frontotemporale, causée par la maladie de Pick ou par une dégénérescence
frontale d’une autre origine. Si l’atteinte est surtout au lobe orbito-frontal,
l’un des symptômes est souvent une tendance à la désinhibition;
si c’est le lobe frontal dorso-latéral qui est le plus touché,
il y a davantage prédominance d'apathie. Dans les deux cas, contrairement
à la démence de type Alzheimer, la
mémoire épisodique est préservée pendant longtemps.
La démence à corps de Lewy, difficile à
diagnostiquer puisque se présentant sous une forme intermédiaire
entre la démence de type Alzheimer et la maladie de Parkinson. Et qui plus
est, elle partage également un certain nombre de symptômes avec les
démences vasculaires, comme les hallucinations visuelles. Certaines
démences sont réversibles, comme celles causées
par une réaction toxique à des médicaments, qui sont les
plus courantes. D’autres toxiques (alcool,
métaux lourds, drogues diverses, etc) peuvent les provoquer, ainsi que
des carences nutritionnelles, des infections, des inflammations, des tumeurs,
des dysfonctionnements hormonaux, etc. |
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LES DÉTÉRIORATIONS COGNITIVES ASSOCIÉES
À L'ALZHEIMER | | Notre cerveau, comme le reste
de notre corps, se transforme tout au long de notre vie. Après le
développement rapide et spectaculaire des premières années,
la plasticité
cérébrale ralentit mais perdure tout au long de la vie adulte.
À mesure que l’on vieillit cependant, il n’est pas rare de
constater un déclin progressif de nos facultés intellectuelles,
notamment de notre mémoire. Il
s’agit là d’un phénomène naturel associé
au vieillissement cérébral normal (voir capsule outil à
gauche). Mais il arrive que ce déclin soit beaucoup plus rapide chez certaines
personnes, entraînant des conséquences désastreuses sur leur
vie et celle
de leurs proches. On utilise alors le terme général
de démence, apparu au début du XIXe siècle,
pour décrire ce phénomène. Les démences faisaient
alors partie de ce que l’on appelait à l’époque « l'aliénation
mentale », qui comprenait aussi les schizophrénies et les oscillations
de l'humeur. Et comme ce sont les gens âgés qui présentent
la plupart du temps les symptômes les plus graves, on parlait de démences
« séniles », expression de moins en moins utilisée.
De nos jours, on distingue différents
types de démence (voir le deuxième encadré à gauche),
mais toutes partagent une définition commune que l’on peut formuler,
à la suite de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme
« une altération progressive de la mémoire ainsi que de la
formation et de l'enchaînement des idées, suffisamment marquée
pour handicaper les activités de la vie quotidienne depuis au moins six
mois ». Les problèmes cognitifs et sociaux
associés aux démences ne découlent pas de troubles psychiatriques,
mais ont des causes organiques bien caractérisées. Autrement dit,
un nombre anormalement élevé de neurones
dégénèrent et meurent dans
certaines parties du cerveau. En ce sens, les démences font partie
de la grande famille des maladies neurodégénératives (voir
l’encadré ci-bas).
 | La
fonction
de communication des neurones s’en trouve ainsi perturbée, provoquant
les nombreux symptômes des démences. Ceux-ci apparaissent
à l’âge adulte et, dans la plupart des cas, s’accentuent
progressivement de façon irréversible. | Sur
le plan cognitif, le sujet peut éprouver des problèmes
de mémoire. Il peut répéter souvent la même question
ou effectuer deux fois le même achat. Il peut être désorienté,
errer plusieurs heures dans son quartier, ou ne pas bien se situer dans le temps.
Si la tâche demande une planification abstraite, comme faire des courses
ou effectuer un trajet en transport en commun avec des transferts, la personne
peut paraître désemparée face à la tâche. Au
niveau du langage, elle a tendance à compenser l’oubli
de termes spécifiques par des mots passe-partout comme « truc »,
« chose », etc. Les problèmes de mémoire peuvent
s’étendre aux dates importantes comme les anniversaires, aux noms
de personnages célèbres. Les compétences motrices avec des
appareils ménagers familiers peuvent aussi être affectées.
Au niveau émotionnel, la personne
peut devenir triste, instable, voire agressive verbalement ou physiquement. On
aura tantôt une désinhibition sociale avec une familiarité
excessive, tantôt des comportements craintifs ou de la suspicion. Ou alors
des épisodes d’euphorie, de dépression ou d’anxiété. Au
niveau comportemental, il y a une baisse d’intérêt
pour les autres, une perte de contact avec ses amis, un abandon progressif des
loisirs. On note souvent un ralentissement de la vitesse des mouvements, amenant
par exemple des difficultés à conduire une voiture ou à faire
simplement sa toilette. La plus connue des démences,
et la plus répandue, est la démence de type Alzheimer
(couramment appelée « maladie d’Alzheimer »).
Elle représente à elle seule autour de 60 % à 65 % des cas
de démence. La démence de type Alzheimer
touche uniquement le cerveau. Et dans le cerveau, ce n’est que la fine couche
externe de matière grise, le
cortex, qui est affecté. Débutant dans une région évolutivement
ancienne du cortex impliquée dans la mémoire, l’hippocampe
et le cortex entorhinal, les premiers déficits observables de ce type
de démence sont donc des troubles mnésiques. D’autres
fonctions vont ensuite être altérées, comme le langage, l’orientation
dans le temps et dans l’espace, la planification d’actions, la reconnaissance
des visages ou des objets, etc. La personne atteinte peut aussi avoir des sautes
d’humeur, devenir apathique ou dépressive. À un stade
avancé, sa confusion et ses mouvements laborieux lui font perdre l’autonomie
nécessaire à la vie quotidienne (se laver, s'habiller, manger).
Bien que l’on ne sache pas encore comment arrêter
l’évolution ou même guérir la démence de type
Alzheimer, différents médicaments et approches thérapeutiques
peuvent soulager certains symptômes et améliorer la qualité
de vie des patients (voir la capsule outil avancé à gauche). C’est
également un domaine où il se fait beaucoup de recherches. Celles-ci
ont d’ailleurs permis de mettre à jour deux
grands processus dégénératifs que l’on associe à
la mort neuronale. Deux processus dont les marques à l’extérieur
et à l’intérieur des neurones avaient été décrites
pour la première fois par le médecin allemand Alois Alzheimer en
1906 (voir la capsule histoire débutant à gauche).
On parle de maladies neurodégénératives
pour désigner diverses pathologies conduisant progressivement à
la mort des neurones et à la destruction du système nerveux. Si
certaines de ces maladies touchent l'enfant ou l'adulte jeune, la majorité
survient après 65 ans. Les atteintes peuvent être à prédominance
cognitive comme pour la démence de type Alzheimer, à prédominance
motrice comme pour la maladie de Parkinson, ou encore l'association des deux comme
dans la chorée de Huntington ou la maladie de Creutzfeldt-Jakob. On
retrouve certaines similarités entre les différentes maladies neurodégénératives.
Pour la plupart, des facteurs génétiques à l’origine
d’une forme héréditaire de la maladie sont connus, mais la
maladie survient également sous une forme dite « sporadique »,
chez des gens qui n'ont pas d'antécédents familiaux, ce qui n'exclut
toutefois pas l'implication de facteurs génétiques. Les types
de neurones ainsi que les zones cérébrales touchées varient
grandement selon les différentes maladies neurodégénératives.
Les neurones pyramidaux du cortex temporal sont durement touchés par la
démence de type Alzheimer. Avec la maladie de
Parkinson, ce sont les neurones de la
substance noire qui sécrètent la dopamine qui dégénèrent.
Chez les patients souffrant de la maladie de Huntington, l’atrophie
survient au niveau du striatum,
dans le noyau caudé et le putamen, chez ceux souffrant de sclérose
latérale amyotrophique, au niveau des neurones
moteurs du cortex cérébral et les motoneurones de la moelle épinière,
tandis que chez ceux atteints de sclérose en plaques,
c’est la gaine
de myéline entourant les axones du système nerveux central
qui est touchée. |
Les chercheurs tentent depuis des
décennies de découvrir un marqueur biologique qui permettrait de
distinguer l’Alzheimer de l’état de vieillissement normal et
des autres maladies neurodégénératives (voir l’encadré
précédent). La simplicité d’un test sanguin où
l’on détecterait certaines molécules révélant
la présence d’une démence de type Alzheimer se fait toutefois
encore attendre. Ce diagnostic demeure donc difficile
à établir, entre autres parce que les
symptômes de l’Alzheimer peuvent ressembler à des pertes
de mémoire bénignes ou aux symptômes
d’autres maladies comme la dépression. De plus, il ne s’agit
toujours que d’un diagnostic « probable » qui se fait
par élimination des autres causes possibles (démarche dite de « diagnostic
différentiel »). Seule l’observation dans le cerveau du
patient après son décès d’une atrophie corticale
en présence des deux types de lésions caractéristiques de
l’Alzheimer, les plaques
amyloïdes et de dégénérescences neurofibrillaires
confirmera les soupçons. Dans un premier temps, le médecin
va donc interroger le patient et tenter de voir s’il souffre réellement
d’une démence en éliminant les autres affections pouvant causer
des symptômes semblables (réaction à certains médicaments,
tumeur au cerveau, accident cérébrovasculaire (ACV), problème
de thyroïde, infection chronique, etc). Comme il existe une grande incertitude
diagnostique à cause de l’hétérogénéité
des symptômes de l’Alzheimer, le médecin questionne aussi les
proches du patient pour tenter de mieux comprendre l’évolution des
pertes de mémoire et les autres difficultés vécues au quotidien.
Des tests standardisés, comme le MMS (pour « Mini Mental
Status », en anglais), permettent ensuite d’évaluer
la sévérité des atteintes à diverses capacités
cognitives du patient (repérage dans le temps et l'espace, mémorisation,
attention, calcul, etc). Si nécessaire, le médecin peut aussi conseiller
au patient de passer un examen d’imagerie cérébrale pour renforcer
la probabilité du diagnostic. Ces techniques, malheureusement pas toujours
accessibles à cause de leur coût élevé, permette d’évaluer
par exemple l'atrophie corticale dans diverses régions cérébrales,
l’augmentation de taille des ventricules
cérébraux ou encore la baisse du métabolisme de régions
impliquées dans la mémoire. Elles permettent également d’éliminer
d'autres causes comme les tumeurs cérébrales, les méningiomes,
les ACV multiples, etc. |
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