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Les » Alzheimers
Une percée significative
allant à contre-courant des idées reçues, bien que se situant
dans le cadre de l’hypothèse amyloïde, a été publiée
en 2006 par l’équipe de Serge Rivest. Elle
part de l’observation que les cellules de défense du cerveau, les
microglies,
s’accumulent autour des plaques amyloïdes, mais semblent incapables
de les éliminer. D’où l’idée généralement
admise d’une inflammation subséquente qui finirait par tuer les neurones.
La prescription d'anti-inflammatoires aux personnes souffrant d'Alzheimer découle
d’ailleurs de cette interprétation du phénomène. Or,
pour l’équipe de Serge Rivest, les microglies ne font pas partie
du problème, mais bien de la solution. Car si les microglies du cerveau
peinent à contenir les plaques amyloïdes, celles provenant des cellules
souches de la moelle osseuse parviennent à les détruire avec une
efficacité bien supérieure. La raison pour laquelle l’Alzheimer
se développe malgré tout n’est pas claire. D’une part,
il semble qu’au début de la formation des plaques, le processus par
lequel les cellules souches migrent par la circulation sanguine jusqu’au
cerveau pour s’y transformer en microglie n’est pas activé.
Et plus tard, lorsque les plaques sont abondantes, le processus est actif mais
ne suffit plus à les contenir. La nouvelle
approche consiste donc à cesser les anti-inflammatoires qui ne peuvent
qu’entraver ce moyen naturel de défense, et à développer
des façons de stimuler davantage le travail des microglies issues de la
moelle osseuse. C’est possible de le faire par manipulation génétique,
en prélevant des cellules souches chez la souris (et un jour chez l’humain)
et en réinjectant ses propres cellules ainsi améliorées à
l’animal, qui ne souffre de cette manière d’aucun phénomène
de rejet. Différents fronts sont à l’étude pour rendre
ces microglies plus efficaces, par exemple en augmentant leur affinité
pour les plaques ou en rendant ces mêmes plaques mieux assimilables grâce
à des enzymes digestives. | | |
LES PLAQUES AMYLOÏDES ET LA DÉGÉNÉRESCENCE
NEUROFIBRILLAIRE | | La recherche sur l’Alzheimer
a été largement dominée par ce qu’on a appelé
l’hypothèse amyloïde ou, par la suite, l’hypothèse
synaptique bêta-amyloïde. L’accumulation anormale de la protéine
bêta-amyloïde, sous forme de plaque
amyloïde ou d’oligomères,
est, dans cette hypothèse, considérée comme le mécanisme
principal à l’origine de l’Alzheimer. Par conséquent,
la majorité des médicaments et des vaccins expérimentaux
visent les plaques amyloïdes. Dans le milieu,
on appelle « BAPtistes » (pour « Beta-Amyloid
Peptide », en anglais) les chercheurs dont les travaux s’appuient
sur cette hypothèse. L’opposition principale aux BAPtistes vient
des « TAUistes », c’est-à-dire ceux qui pensent
plutôt que l’Alzheimer se développe suite à l’apparition
des dégénérescences
neurofibrillaires.
À gauche, les filaments de la substance amyloïde;
à droite, les PHF avec leurs éléments constitutifs, les
protéines tau. |
Mais
les détracteurs de l’hypothèse amyloïde ne sont pas que
des « TAUistes ». De plus en plus d’autres voix alternatives
se font entendre. Pour justifier leurs explorations hors des sentiers battus,
leurs promoteurs rappellent qu’en un quart de siècle, peu de progrès
tangibles et beaucoup d’échecs ont jalonné les recherches
s’inspirant de l’hypothèse amyloïde. En voici un bref
aperçu. Il y a d’abord le peu de corrélations
observées entre le degré des déficits cognitifs d’un
patient Alzheimer et la quantité de plaques amyloïdes dans son cerveau.
Une anomalie majeure au paradigme dominant connu depuis au moins le début
des années 1990. Il y a aussi la présence
de plaques amyloïdes chez les sujets normaux, que les défenseurs de
l’hypothèse amyloïde ont bien du mal à expliquer. En
fait, il peut arriver que des cerveaux dits normaux aient plus de plaques amyloïdes
que le cerveau de patients sévèrement touché par l’Alzheimer,
d’où l’idée
défendue par Whitehouse et d’autres que les critères de diagnostic
de la « maladie d’Alzheimer » sont trop flous et qu’il
ne s’agit peut-être que des cas particuliers du vieillissement normal. Les
relations qu’entretiennent la protéine bêta-amyloïde et
la protéine tau sont aussi pour le moins complexes. On dit que les
déments de type Alzheimer ont simultanément une pathologie corticale
bêta-amyloïde et tau et qu’il y a une synergie entre les deux.
Il ne s’agirait donc pas de choisir entre le camp des BAPtistes et celui
des TAUistes puisqu’on serait en présence d’une synergie entre
les deux. Et, de fait, certaines données vont en ce sens. Par exemple,
une souris transgénique surexprimant à la fois la bêta-amyloïde
et la protéine tau produit davantage de dégénérescences
neurofibrillaires qu’une souris transgénique ayant seulement la mutation
à la protéine tau. Mais le tableau demeure nébuleux. Les
individus normaux peuvent par exemple avoir des dépôts de bêta-amyloïde
modérés avec en même temps une dégénérescence
neurofibrillaire assez avancée, jusque dans la région temporale,
au stade
6 ou 7 de la pathologie tau. Et ici encore, on a des cas de patients avec
une pathologie tau qui peut aller jusqu’au stade 6, sans avoir de dépôts
bêta-amyloïdes. En outre, les gens âgés
de plus de 75 ans ont systématiquement une pathologie tau située
dans la région trans-entorhinale et entorhinale. Toutefois, celle-ci reste
souvent modeste et l’on trouve des nonagénaires ayant une pathologie
tau très discrète. Cela démontre une fois de plus que son
développement n’est pas lié à l’âge d’une
manière linéaire et systématique, bien que celui-ci
soit un facteur de risque important. Plusieurs
chercheurs pensent par ailleurs que les accumulations de protéines ne sont
en général que les manifestations finales de maladies dont les causes
sont en amont, et que les plaques amyloïdes ou les dégénérescences
neurofibrillaires ne font pas exception à cette règle. Certains
questionnent même directement le caractère nocif des plaques et des
dégénérescences neurofibrillaires, arguant que cela pourrait
être au contraire une réponse défensive du cerveau à
des processus délétères en amont, comme le stress oxydatif,
l’inflammation ou des dysfonctions dans le cycle cellulaire. Ainsi,
contrairement à l’absence de fonction physiologique particulière
de la protéine bêta-amyloïde selon l’hypothèse
dominante, plusieurs études rapportent que la bêta-amyloïde
se lie spécifiquement à des récepteurs ou peut induire des
réactions inflammatoires. Un rôle protecteur antimicrobien a par
exemple été démontré in vivo pour cette protéine.
Toutefois, bien que la bêta-amyloïde puisse
participer à une réponse immunitaire normale et utile à court
terme, on ne peut exclure la possibilité que son activation prolongée
pourrait tout de même avoir des conséquences pathologiques.
Crédit : Delphine Bailly, http://www.neur-one.fr | Si
c’est le cas, cela nous ramène à la toxicité postulée
de la bêta-amyloïde dans l’hypothèse du même nom,
et donc à l’idée de favoriser des stratégies d’élimination
de celles-ci. Tout le contraire, finalement, de ceux qui croient que la réponse
inflammatoire est bénéfique et qu’au lieu d’essayer
de l’amoindrir avec des médicaments, il faudrait plutôt chercher
à potentialiser le travail des cellules microgliales (voir l’encadré
à gauche). |
Et qu’en est-il
aussi des propriétés anti-oxydantes protectrices qui ont été
démontrées pour la bêta-amyloïde
à 40 acides aminés? Une donnée qui, comme bien d’autres,
va à l’encontre des dommages oxydatifs de l’Alzheimer attribué
à la bêta-amyloïde dans l’hypothèse amyloïde
(voir l'encadré ci-bas). Toutes ces données
« anormales », au sens kuhnien du terme, viennent en
tout cas fragiliser l’hypothèse amyloïde qui avait pris, selon
certains, des allures de dogme. Le dogmatisme étant généralement
une mauvaise idée, particulièrement en science, nombre de chercheurs
voient plutôt d’un bon œil le foisonnement naissant d’hypothèses
alternatives pour mieux comprendre et traiter ce qu’on appelle l’Alzheimer.
Ils espèrent, du reste, que les organismes subventionnaires et les journaux
scientifiques vont en favoriser l’émergence, ce qui est loin d’avoir
toujours été le cas. Au-delà
de son intérêt sociologique, voilà donc un enjeu de société
important considérant les ressources investies dans le développement
de traitements basés sur l’hypothèse amyloïde, et l’espoir
qu’ils suscitent chez les
personnes atteintes et leur famille.
Le stress oxydatif
est l’un des mécanismes nocifs attribués aux plaques selon
l’hypothèse amyloïde, bien que des résultats contradictoires
aient ensuite été rapportés. Les plaques libéreraient
des molécules de peroxyde H2O2 qui se scindent rapidement
en deux molécules OH. Celles-ci sont appelées
radicaux libres car ils cherchent à coupler leur électron
libre en arrachant un atome d'hydrogène à la membrane du neurone.
Cette membrane est en effet composée de molécules carbonées
comprenant de nombreux atomes d'hydrogène. La membrane ainsi "trouée"
va ensuite laisser pénétrer d'autres radicaux libres qui vont s'attaquer
cette fois-ci à l'ADN du neurone, perturbant les fonctions cellulaires
associées à cette information génétique. Radicaux
libres et vieillissement : plus compliqué quon pensait |
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