Capsule outil: Les effets du vieillissement normal sur nos capacités cognitives

De la naissance à la mort, notre corps subit les assauts du temps. Au fil des ans, à partir de l’âge adulte, notre masse et notre force musculaire vont diminuer. Les pertes osseuses vont amoindrir la résistance mécanique de l’os. Les tendons et les ligaments vont se réparer plus lentement. La peau, attaquée constamment par les processus oxydants des radicaux libres, va perdre progressivement de son élasticité à mesure que son réseau de fibres d'élastine et de collagène va s’altérer.

Malgré cela, avec l’accroissement spectaculaire de la longévité humaine depuis un siècle, il n’est plus rare de rencontrer des octogénaires et des nonagénaires alertes et brillants. Ils sont toutefois souvent bardés de lunettes, d’appareils auditifs, ou autres prothèses sensorielles. Nos capteurs sensoriels diminuent en effet leur performance de façon marquée avec l’âge. Les seuils de sensibilité de la gustation et de l’odorat s’élèvent significativement. Au niveau de la vision, le nombre de photorécepteurs diminue, entraînant une baisse de l’acuité visuelle; le champ visuel se rétrécit; le cristallin s’opacifie; l’iris se rigidifie; etc.

L’audition ne s’en tire guère mieux, avec l’épaississement de la membrane du tympan, la diminution du nombre de cellules ciliées dans l'organe de Corti, la perte de neurones cochléaires, etc. Cette perte de souplesse de l'oreille interne liée à l'âge diminue notre capacité à distinguer une conversation d'un bruit de fond ambiant. Les entrées pertinentes d'information s’en trouvent donc restreintes, ce qui isole un peu plus la personne âgée. Le vieillissement des organes sensoriels entrave donc la saisie correcte des stimuli du monde extérieur et aura des répercussions sur l'état cognitif de la personne âgée.

Le cerveau en tant que tel n’échappe pas non plus au vieillissement. L'inflammation, les radicaux libres ou les changements hormonaux sont tous des mécanismes associés au vieillissement du tissu cérébral. Celui-ci est également soumis à l’influence néfaste de facteurs comme les maladies cardiovasculaires, les traumatismes crâniens, un mauvais mode de vie ou un stress chronique.

La diminution de la masse cérébrale est une première conséquence du passage du temps sur le cerveau. Si la taille absolue du cerveau est un mauvais indicateur de l’intelligence lorsqu’on compare les espèces entre elles ou les sexes à l’intérieur d’une même espèce, ses variations chez un même individu donnent une assez bonne idée de l’état de ses facultés intellectuelles.

Il n’est donc pas inintéressant de noter que le volume du cerveau atteint son maximum autour de 14 ans et décline ensuite graduellement durant toute la vie. On parle d’une perte de poids et de volume moyen d’environ 2% par décade. Avec, bien sûr, les exceptions encore incomprises de certains centenaires au cerveau presque pas atrophié…

Contrairement à ce que l’on a déjà cru, ce déclin observé chez la majorité des gens ne s’accélère pas après la cinquantaine, mais continue au même rythme jusqu’à un âge avancé. Autre croyance maintenant remise en question : l’association de cette perte de masse cérébrale au cours du vieillissement avec une perte massive de neurones. Autrement dit, que c’est la perte naturelle de plusieurs dizaines de milliers de neurones par jour qui serait la cause de la perte de volume et de poids. Les méthodes pour quantifier les pertes neuronales ont en effet été critiquées et plusieurs explications alternatives avancées. L'atrophie pourrait par exemple résulter principalement d'une perte de volume des neurones et de leurs dendrites, et non d'une mort neuronale.

Dans certains cas, l’atrophie pourrait être due en grande partie à une perte neuronale, mais une perte qui découle d'une pathologie neurodégénérative qui s'installe. Une étude de 2001 utilisant la technique de l’imagerie par résonance magnétique sérielle a par exemple montré que le lobe temporal médian ainsi que deux autres régions du cerveau montraient déjà une atrophie infraclinique cinq à huit ans avant le diagnostic d’une démence de type Alzheimer. Considérant la prévalence élevée des cas déclarés d’Alzheimer chez les octogénaires et les nonagénaires, une atrophie cérébrale anormale découlant de cette affection pourrait déjà être à l’oeuvre chez plusieurs personnes de 60 ou 70 ans qui souffriront plus tard de cette démence.

L’atrophie cérébrale, lorsqu’elle est manifeste, ne touche pas non plus toutes les régions du cerveau uniformément. Le lobe temporal médial où se situe l’hippocampe ainsi que le lobe frontal, deux structures importantes pour la mémoire, sont particulièrement touchés. De plus, ces altérations neuronales amènent également une baisse significative de la concentration de certains neurotransmetteurs, comme la dopamine dont la diminution est associée au déclin des fonctions motrices.

Il n’y a pas non plus que la matière grise, où se trouvent les corps cellulaires des neurones, qui subirait des détériorations avec le temps : la matière blanche s’abîme aussi. L’utilisation de la technique d’imagerie par tenseur de diffusion, qui permet d’obtenir des images de faisceaux d’axones dans le cerveau, a d’abord permis de constater que les fibres nerveuses subissaient une dégénérescence au même titre que la matière grise en vieillissant. De plus, cet amincissement des faisceaux d’axones était largement réparti dans les profondeurs des lobes frontaux, temporaux, pariétaux, ainsi que dans le corps calleux qui relie les deux hémisphères du cerveau.

Ce qui est toutefois remarquable dans l’étude de David Ziegler publiée en 2008, c’est qu’ils n’ont pas trouvé de corrélation entre l’épaisseur de la matière grise du cortex et les performances des sujets aux tests cognitifs. Par contre, ils en ont trouvé plusieurs avec l’intégrité de faisceaux de matière blanche et ces mêmes tests cognitifs. Il semble donc que l’intégrité des connexions entre les neurones soit encore plus déterminante pour les performances cognitives d’une personne que l’état des corps neuronaux dans sa matière grise.

Certains indices portent à croire que ce sont des lésions dans la gaine de myéline qui seraient à l’origine de la détérioration de la matière blanche. Des discontinuités dans ces prolongements de cellules gliales, qui entourent l’axone pour accélérer la conduction nerveuse, pourraient jouer un rôle non négligeable dans le ralentissement de la transmission nerveuse observé au cours du vieillissement.

Comme la plasticité cérébrale se maintient durant toute la vie, il existe de nombreux mécanismes de compensation dans le cerveau. Mais les tâches auparavant accomplies quasi automatiquement par ces circuits détériorés seront prises en charges par des voies neuronales alternatives généralement moins efficaces, d’où un ralentissement de certaines de nos fonctions cognitives.

Plusieurs études montrent cependant que, dans leur ensemble, nos capacités cognitives ne montrent pas de déclins importants jusque dans la cinquantaine ou le début soixantaine. Et même après, chez les personnes en bonne santé, les performances diminuent, mais très lentement. Une étude a par exemple montré qu’à 81 ans, seulement 30 à 40% des sujets démontraient un déclin significatif de leurs facultés cognitives. En d’autres termes, les deux tiers des participants de l’étude n’avaient que des baisses minimes de leurs facultés cognitives. Ou plutôt de certaines de leurs facultés cognitives, puisque plusieurs demeuraient relativement intactes et que d’autres s’amélioraient même avec l’âge.

Parmi les fonctions qui déclinent graduellement avec l’âge, la mémoire est l’une des plus souvent citées. Mais la mémoire est un phénomène complexe sous-tendu par plusieurs mécanismes, et tous ne sont pas également affectés par le vieillissement.

L’une des formes les plus affectées est la mémoire dite incidentelle, celle qui permet de retenir automatiquement et pratiquement sans effort. Cette faculté, utile par exemple de relater en détail des scènes d’un film à la sortie du cinéma, atteint son maximum à l’adolescence ou au début de la vingtaine et décroît par la suite. En vieillissant, il devient donc plus difficile de retenir de nombreux détails à moins d’en faire l’effort conscient.

La mémoire de travail, celle qui nous permet de retenir quelques secondes un numéro de téléphone ou de suivre le fil d’une conversation, est aussi fréquemment affectée par l’âge. La vitesse de traitement plus lente qui découle du vieillissement cérébral semble faire disparaître des informations de la mémoire de travail avant même qu'elles n'aient pu être consolidées dans la mémoire à long terme. Cette baisse de performance de la mémoire de travail pourrait donc également expliquer, du moins en parti, l’oubli à plus long terme de nouvelles informations.

L’étape de récupération des données est parfois aussi affectée, ce qui explique le phénomène du « mot sur le bout de la langue ». Par contre, la mémoire implicite, celle des conditionnements et des apprentissages moteurs, serait moins affectée par le vieillissement, de même que la mémoire sémantique des connaissances fréquemment utilisées durant toute la vie. Quant à notre vocabulaire, il continuerait à augmenter tout au long de notre vie.

Notre capacité à concentrer notre attention sur les aspects pertinents d’un ensemble de données s’amenuise aussi au fil des décennies chez certaines personnes. Leur capacité de raisonnement, distraite par des détails inutiles, s’en trouve ainsi ralentie.

Cette capacité générale de raisonnement est parfois scindée, chez certains auteurs, en deux types « d’intelligence » : l’intelligence fluide et l’intelligence cristallisée. L’intelligence fluide est celle qui s’appuie sur l’attention et la mémoire pour traiter rapidement une nouvelle information. L’intelligence cristallisée serait plutôt liée aux connaissances et au vocabulaire appris durant notre vie. Il n’est donc pas étonnant de constater que ces auteurs trouvent un déclin plus fréquent de l’intelligence fluide que de l’intelligence cristallisée avec l’âge.

Mais l’essentiel à retenir quand on parle du vieillissement normal du cerveau est peut-être que ses répercussions cognitives varient énormément d’un individu à l’autre. Pour la plupart des individus, elles sont souvent minimes, mais pour d’autres elles peuvent aller jusqu’à provoquer des démences de type Alzheimer, par exemple.

Le déclin intellectuel n’est donc pas inéluctable jusqu’à un âge souvent avancé. Et s’il y a un déclin, il est souvent léger, n’interfère pas avec la vie quotidienne, et n’est pas forcément le début d’une démence. De plus, aux phénomènes naturels de compensation cérébrale peuvent s’ajouter des moyens de compensation externe (calendriers, listes et autres trucs mnémotechniques). Sans parler de la légendaire sagesse qui viendrait en vieillissant, c’est-à-dire la capacité de prendre de bonnes décisions dans les domaines où nous avons accumulé beaucoup de connaissances spécialisées. Mais dans un monde où les changements sociaux et technologiques se font de plus en plus rapidement, il est peut-être sage, justement, d’avoir un adolescent sous la main pour régler ses problèmes informatiques…

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