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Le
sentiment d'être soi |
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La
discussion (informelle) des modèles en (neuro)science
Le prix Nobel de physique de Roger Penrose comme prétexte pour causer conscience
Le célèbre théorème
d'incomplétude en mathématique,
ou «théorème de Gödel», énoncé par Kurt
Gödel (1906-1978), joue un rôle dans
la théorie de Penrose. Ce théorème
montre qu'aucun système d’axiomes n'est assez
puissant pour générer toutes les vérités
mathématiques. Selon Penrose, cela montre que l'esprit
humain doit avoir des capacités non-algorithmiques
allant au-delà des axiomes et des règles.
En effet, l'esprit humain peut reconnaître comme
vraie les parties de l'arithmétique qui transcendent
les systèmes d'axiomes.
Tous les logiciens ne sont pas d'accord
avec cette interprétation, mais cela n'empêche
pas Penrose de suggérer que cet aspect non algorithmique
de la conscience vient de ses connexions avec la physique
quantique. |
Karl Pribram a élaboré
un modèle «holographique» du fonctionnement
du cerveau inspiré de la découverte des premiers
hologrammes au milieu des années 1960. Dans un hologramme,
l'ensemble des informations enregistrées sous forme
de patterns d'interférence sur chaque fragment du support
photographique permet de reconstituer l'ensemble de l'image
et donc d'en offrir une vue globale en trois dimensions. Par
analogie, Pribram pense que la mémoire ne serait pas
stockée dans les cellules à des endroits précis
du cerveau, mais contenue dans les motifs d'interférences
des ondes qui le parcourent.
Développé avec le physicien
quantique David Bohm, ce modèle suggère
entre autre que la conscience pourrait émerger par
le traitement de l'information entre dendrites et que les
potentiels d'action le long des axones seraient plutôt
derrière nos activités non conscientes.
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DES EFFETS QUANTIQUES
À LA BASE DE LA CONSCIENCE? |
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On peut distinguer deux grands niveaux
d'explication en physique : le niveau familier que nous utilisons
tous les jours pour décrire les objets à grande échelle;
et le niveau quantique utilisé pour décrire l'infiniment
petit gouverné par l'équation
de Schrödinger. Ces deux niveaux sont complètement
déterministes et calculables. Toutefois, au niveau quantique,
des états superposés sont possibles, alors qu'à notre
niveau macroscopique, un seul de ces multiples états ne
peut exister. Ce qui explique pourquoi, quand nous faisons une
observation à notre niveau familier, les niveaux superposés
doivent «s'effondrer» en une seule et unique possibilité.
C'est en s'appuyant sur cette interprétation
classique de la mécanique quantique que des physiciens
comme Wigner en sont venus à une proposition étonnante, à savoir
que c'est
la conscience qui pourrait provoquer cet effondrement de la fonction
d'onde et déterminer ainsi les contenus conscients.
Plusieurs auteurs comme Henry
Stapp ont par la suite élaboré des modèles
sophistiqués autour de cette idée. Mais d'autres,
comme le physicien et mathématicien anglais Roger
Penrose, prennent leurs distances d'avec ces interprétations
conventionnelles de l'effondrement de la fonction d’onde.
Pour Penrose, elles ne sont que des approximations qui devront être
raffinées par des développements futurs de la théorie
quantique.
C'est donc dans cette optique qu'il
propose sa théorie de la « réduction
objective ». Il s'agit d'un nouveau processus
décrit comme étant de nature gravitationnelle mais
non locale, c'est-à-dire avec la possibilité d'effets à distance.
Pour ces raisons, il serait capable de lier des choses éloignées
dans l'espace, rendant possible une cohérence quantique à grande échelle
et des phénomènes « non computables » que
notre cerveau pourrait exploiter.
Mais où exactement
ces phénomènes pourraient-ils avoir lieu dans
notre cerveau ? Penrose s'appuie ici sur la proposition de
l'anesthésiologiste américain Stuart
Hameroff selon laquelle la conscience émerge
de la cohérence quantique au niveau des microtubules.
Ces derniers sont, comme leur nom l'indique, de minuscules
petits tubes faits de protéines que l'on retrouve
dans toutes les cellules de notre corps, y compris les neurones.
Les microtubules forment en quelque sorte le cytosquelette
des cellules, participent à la division cellulaire
ainsi qu'au transport des organites à l'intérieur
des cellules.
Les
microtubules sont composés de dimères de
tubuline dont l’enroulement en spirale produit
un petit tube d'environ 25 nanomètres de diamètre.
Ces molécules de tubuline peuvent être dans
deux états différents, soit allongé soit
contracté, ce qui pourrait provenir, selon Hameroff,
d'une superposition d'états quantiques.
Penrose et Hameroff s’intéressent aux microtubules
parce que leur petite taille et leur structure protéinique
en spirale fournirait les conditions essentielles pour orchestrer
les effondrements quantiques. Les processus de cohérence
quantique doivent en effet demeurer raisonnablement isolé de
l’environnement extérieur pour se produire,
une condition que rempliraient selon eux les microtubules. |
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Ce modèle pourrait expliquer,
affirment leurs auteurs, plusieurs caractéristiques
fondamentales de la conscience. La possibilité d'effets à distance
de la
« réduction objective » pourrait ainsi rendre
compte de l'unité
de la conscience et l'indétermination quantique serait à l’origine
du libre
arbitre.
Penrose ajoute que sa théorie
pourrait même aider à comprendre les
étranges résultats de l'expérience
de Libet. Car pour lui, lorsque le raisonnement classique
au sujet de la séquence temporelle des événements
nous mène à des conclusions contradictoires
(comme d'avoir l'impression d'influencer le passé pour
des
échelles de temps de l'ordre de la demie seconde),
cela constitue
à ses yeux une forte indication que des effets quantiques
sont à l'œuvre. |
Le modèle de Penrose et Hameroff
a subi de sérieuses critiques, notamment des philosophes Rick
Grush et Patricia
Churchland. Ces derniers soulèvent plusieurs
objections qui les amènent à rejeter le modèle
dans son ensemble. Ils rappellent d'abord que les microtubules
se retrouvent dans toutes les cellules animales et végétales,
et pas seulement dans les neurones du cerveau humain. Ils affirment
aussi que des substances chimiques qui sont connues pour détruire
les microtubules semblent ne pas avoir d’effets importants
sur la conscience. Ils rappellent que plusieurs substances anesthésiantes
agissent sans affecter les microtubules. Et soulignent finalement
qu’il n'y a aucune évidence que les microtubules
sont impliqués dans d'autres phénomènes
provoquant des changements majeurs dans les états de conscience
comme le
cycle éveil – sommeil.
Au plan strictement de la physique,
une critique classique est celle de Max Tegmark qui
affirme que la température est trop élevée
dans le cerveau pour que les particules élémentaires
demeurent dans des états superposés suffisamment
longtemps pour que les processus neuronaux puissent en bénéficier.
Grush et Churchland ajoutent que les microtubules ne peuvent
atteindre les conditions de pureté et d'isolation requis
par la théorie de Penrose. Pas plus, selon eux, que les
effets quantiques ne pourraient être transmis d’un
microtubule à l'autre comme il le faudrait pour expliquer
l'unité de la conscience. La théorie de Penrose
ne fournit pas non plus d'explications valables aux yeux de Grush
et Churchland sur la manière dont les effets quantiques
pourraient interagir avec les neurones ou les neurotransmetteurs
quand les microtubules sont supposés être isolés
de leur environnement.
Une autre objection s'adresse à
l'une des forces du modèle de Penrose et de Hameroff qui
est, selon ses auteurs, de pouvoir rendre compte de l'unité
de la conscience. Mais si cette impression de l'unité de
notre conscience s'avérait une
illusion comme d'autres le croient, encore une fois les explications
fondées sur la non localité et la cohérence
quantique perdraient de leur pertinence.
D'autres se sont demandés si
la théorie de Penrose et Hameroff avait finalement vraiment
quelque chose à voir avec la conscience ou si elle ne
se contentait pas de remplacer le mystère de l'expérience
subjective par un autre mystère, celui de la cohérence
quantique dans les microtubules.
Grush et Churchland sont même
allés jusqu'à se demander si la popularité du
modèle de Penrose et Hameroff ne viendrait pas du fait
que la réduction de la conscience à de simples corrélats
neuronaux a toujours eu quelque chose de dégradant
pour certaines personnes alors que l'alternative quantique permet
de conserver une part de mystère réconfortant dans
la conscience.
Ceci dit, il est de mise de rappeler
ici une célèbre citation de Niels Bohr. Le père
de la physique quantique et professeur de Werner
Heisenberg dit un jour à un jeune physicien : « Nous
reconnaissons tous que votre théorie est folle. La question
qui nous divise est de savoir si elle est assez folle pour avoir
une chance d'être vraie. »
Une autre approche impliquant la physique
quantique remonte aux travaux de Ricciardi et Umezawa
dans les années 1960. Elle consiste à traiter
les états mentaux, particulièrement les souvenirs,
en terme « d'états de vide du champ quantique
» (« vacuum state of the quantum field »,
en anglais). L'hypothèse tient compte des travaux en
neurobiologie de la conscience dans la mesure où ce
sont des assemblées
de neurones correspondant à des contenus de mémoire
qui sont considérées comme ces « états
de vide ». Et ce serait leur activation, initiée
par des stimuli extérieurs, qui mènerait à
des états d'excitation permettant la remémoration
du contenu de mémoire encodé dans « l'état
de vide ».
Comme si cela n'était pas
déjà assez compliqué, Giuseppe
Vitiello a bonifié cette hypothèse à partir
du milieu des années 1990 pour y inclure les notions
de structure dissipative, de chaos et
de bruit quantique. Le fait que le cerveau
est un système ouvert en constante interaction avec
son environnement serait ici à l'origine de ses
grandes capacités mnésiques. Mais des ambiguïtés
conceptuelles, notamment entre les états mentaux
et matériels de ce modèle, demandent à être
clarifiées.
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