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L'émergence de la conscience
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Plusieurs facteurs pointent vers un rôle fonctionnel de la synchronisation neuronale.

La rapidité de nos systèmes de perception qui fonctionnent en temps réel et exigent un mécanisme de liaison capable d’opérer très rapidement plaide en faveur d’une intégration temporelle comme la synchronisation de l’activité électrique des neurones.

Un autre argument en faveur de la synchronisation découle du phénomène bien connu qui veut que deux neurones qui en stimulent un troisième vont avoir un effet plus grand sur celui-ci si leurs potentiels d’action l’atteignent en même temps. Par conséquent, des neurones faisant feu en synchronie auront tendance à avoir une «visibilité» et une force associative plus grande.

Enfin, les neurones de nombreuses aires cérébrales ont déjà une activité oscillatoire spontanée. Coordonner cette activité pour faire en sorte qu’elle devienne en phase (les pics d’activité synchronisés entre eux) serait un moyen efficace et peu coûteux pour générer une synchronisation sur de grandes distances dans le cortex.

Christof Koch, un “réductionniste romantique”

Samir Zeki et ses collègues ont démontré que les différents attributs d’une scène visuelle, pourtant présentés simultanément, ne sont pas perçus exactement en même temps. La couleur est perçue avant l’orientation des lignes, qui elle-même est perçue avant le mouvement, la différence entre la couleur et le mouvement étant de l’ordre de 60 à 80 millisecondes.

Les expériences de Zeki sur la perception visuelle des différentes propriétés d’un objet l’ont amené à suggérer que la conscience d’un individu serait en fait constituée de plusieurs micro-consciences correspondant aux différents niveaux de traitement dans le cerveau. L’information resterait inconsciente jusqu’à ce qu’elle atteigne un « noeud » dans le système qui la rendrait alors consciente.

Notre conscience serait alors constituée d’une multitude de micro-consciences éventuellement intégrée dans une «super-conscience» plus globale grâce au langage. Cette conception des multiples consciences permettrait, selon ses promoteurs, de concevoir la conscience comme quelque chose de réellement décentralisé, sans aucun centre cérébral d’où jaillirait la conscience. D’autres ont objecté que l’idée même qu’il y ait dans chacun des sous-systèmes une ligne d’arrivée où le stimulus devient soudainement conscient nous ramène directement à cette idée du théâtre cartésien mise à mal par des philosophes comme Daniel Dennett.

Lien : We think therefore I amLien : The Multiplicity of Consciousness and the Emergence of the Self



LES ASSEMBLÉES DE NEURONES ET LA SYNCHRONISATION D'ACTIVITÉ

Le problème de liaison pose la question de savoir comment on peut avoir une perception consciente cohérente et unifiée d’un objet sachant que ses différents attributs sont traités dans des régions distinctes du cerveau ? Une première solution serait de dire que tous ces différents signaux vont converger vers un groupe ou même une cellule unique qui représenterait cette perception consciente.

Car il faut bien reconnaître qu’on observe dans le cerveau, malgré la prépondérance des circuits en parallèle, une certaine forme de convergence à mesure que l’on s’éloigne des aires corticales primaires pour aller vers les aires dites « associatives » du cortex. Plusieurs de ces aires ont été identifiées dans le cortex frontal, temporal antérieur ou pariétal inférieur. Mais on s’entend pour dire qu’il ne s’agit pas de lieux où des représentations seraient emmagasinées, tout au plus y aurait-il certains « codes » capable de reconstruire les fragments d’activations distribuées ailleurs dans les aires sensori-motrices du cortex.

De même, il est vrai que l’on retrouve certains neurones situés au sommet de la hiérarchie du cortex visuel qui répondent spécifiquement aux visages et même aux visages vus selon un certain angle. Ces neurones nous aident certainement à reconnaître les visages puisque lorsqu’un accident cérébro-vasculaire les détruit, l’individu souffre de prosopagnosie, c’est-à-dire qu’il devient incapable de reconnaître les visages, même de ses proches.

Mais l’unification de nos perceptions par la convergence, outre quelques cas particuliers comme la reconnaissance des visages qui a eu de tout temps une immense importance adaptative, s’avère une voie trop fragile, coûteuse et en bout de ligne inefficace qui ne semble pas avoir été retenue par l’évolution (voir la capsule outil ci-contre).

Alors s’il n’y a pas un seul lieu où toute l’information relative à un objet converge pour devenir consciente, peut-être y aurait-il un seul temps ? C’est l’autre grande voie, qui semble plus prometteuse pour solutionner le problème de liaison, celle qui pose, grosso modo, que des neurones qui sont actifs en même temps «perçoivent la même chose». En termes plus précis, c’est tout le domaine de la synchronisation temporelle de l’activité neuronale.

(d’après Francis Crick, 1994)

Christof von der Malsburg fut l’un des pionniers, au début des années 1980, à explorer l’hypothèse qu’une activité synchronisée des neurones traitant différentes propriétés d’un objet pourrait être la clé du problème de liaison.

Andreas Engel et Wolf Singer ont par la suite confirmé le bien-fondé de cette hypothèse. Plusieurs de leurs expériences semblent en effet indiquer que les objets représentés dans le cortex visuel le sont effectivement par des assemblées de neurones faisant feu simultanément.

Pour reprendre l'exemple d'une valise verte posée à côté du chapeau bleu, chacun des deux objets sera représenté par une vaste assemblée de neurones dans le cerveau. Chaque assemblée comprendra des neurones capables de détecter différents attributs de chaque objet, comme la couleur, le mouvement ou l’orientation de ses lignes et contours, etc. Et c’est par la synchronisation de ces différents neurones codant pour ces différents attributs que serait obtenue l’image cohérente et unifiée de la valise.

Quant aux neurones codant les différents attributs du chapeau (N4, N5, et N6 dans la figure ci-dessous), ils feront également feu en synchronie pour fournir une image unifiée du chapeau mais, comme l'illustre la ligne pointillée, le feront de manière décalée dans le temps par rapport à l'assemblée de neurones codant pour la valise (N1, N2, et N3). Et c’est ainsi que nous pourrions percevoir consciemment deux objets distincts qui se détachent d’un fond lui aussi distinct (qui serait représenté par une troisième assemblée de neurones), et non un amalgame de lignes et de couleurs indifférencié.

Francis Crick et Christof Koch allaient pousser encore un cran plus loin l’idée de la synchronisation temporelle en proposant que cette activité synchronisée, lorsqu’elle se fait entre 35 et 75 hertz (Hz), pourrait être le corrélat neuronal de la perception visuelle consciente.

Dans les années 1980, l’étude du cortex visuel du chat avait en effet révélé qu’un grand nombre de neurones pouvaient faire feu en même temps avec un rythme allant de 35 à 75 Hz environ, rythme que l’on désigne généralement par l’expression « oscillations gamma » ou simplement « oscillations à 40 Hz ».

De nombreuses études subséquentes tant chez l’animal que chez l’être humain ont démontré que cette fréquence élevée d’oscillation de l’activité neuronale est reliée de près à l’intégration perceptuelle, à la construction de représentations cohérentes et à des processus d’attention sélective. Crick et Koch ont donc développé une théorie où la clé de la perception consciente se trouve non seulement dans la synchronisation de l’activité neuronale mais dans la synchronisation d’activité neuronale oscillant à des fréquences avoisinant les 35 à 75 Hz.

En résumé, selon cette hypothèse :

  • si deux neurones oscillent de manière synchrone dans le spectre gamma (autour de 40 Hz), alors ces deux neurones contribuent à une même représentation consciente;
  • si deux neurones oscillent de manière synchrone en dehors du spectre gamma, alors ils contribuent à une même représentation qui n’est pas consciente (par exemple, un objet du champ visuel auquel on ne porte pas attention);
  • si deux neurones sont actifs mais ne montrent pas de cycles oscillatoires ou oscillent mais ne sont pas synchronisés, alors ils représentent des attributs qui ne sont pas liés ou qui sont liés à différentes représentations.

Crick et Koch pensent aussi que cette formation d’assemblées transitoires de neurones oscillant à l’unisson autour de 40 Hz ne s’effectuerait pas qu’au niveau du cortex visuel mais pourrait recruter des neurones dans tout le cortex. Dans ce cas, la couleur et la forme de l’objet ne seraient pas les seuls paramètres qui seraient associés. Il y aurait également toutes sortes d’autres caractéristiques rattachées à l’objet comme l’odeur, le goût, les émotions, etc., l’ensemble formant ainsi une représentation consciente complète de l’objet observé.

Voilà donc un mécanisme élégant par lequel le cerveau pourrait distinguer, parmi toutes les représentations ayant été liées, celles qui sont conscientes de celles qui ne le sont pas.

Crick et Koch avaient d’abord proposé, à la fin des années 1980, que la synchronisation des oscillations proches de 40 Hz était un mécanisme suffisant pour assurer l’émergence d’une perception consciente. Au début des années 2000, ils ont nuancé leur position en affirmant que les phénomènes conscients semblent être issus d’une compétition entre différentes « coalitions » de neurones (voir l'encadré ci-bas) où les coalitions gagnantes déterminent le contenu de la conscience à un instant donné. Et ce qui leur semble plus plausible maintenant à propos de la synchronisation des oscillations à 40 Hz, c’est qu’elle pourrait être le mécanisme par lequel se résout cette compétition, en favorisant la sélection d’une assemblée particulière. Cette notion de compétition de tous les instants entre assemblées de neurones rejoint d’ailleurs le plus récent concept de « noyau dynamique ».

Engel et Wolf croient eux aussi que la synchronisation, bien que nécessaire, ne serait pas suffisante pour générer la conscience. Pour eux, l’information devrait aussi entrer dans une forme de mémoire à court terme, une suggestion qui renvoie ici à quelque chose de semblable à un espace de travail global.

On le voit, l’hypothèse de la synchronisation des oscillations autour de 40 Hz, bien qu’elle apporte indéniablement quelque chose de plus à notre compréhension de la conscience, n’est pas le fin mot de l’histoire. Elle a par exemple connu d’autres développements intéressants, notamment en ce qui concerne le mécanisme de sélection des représentations conscientes parmi les représentations inconscientes.

 

Parmi les données expérimentales les plus intéressantes concernant l’activité neuronale et la conscience figurent les expériences de Nikos Logothetis. En enregistrant l’activité de cellules isolées du cortex visuel du macaque, Logothetis a démontré que l’activité de certains neurones pouvait être corrélée avec le caractère conscient ou inconscient d’un stimulus chez ce primate.

La technique employée ici est la même qui a permis de mettre en évidence les différentes régions spécialisées dans le traitement de différents aspects des stimuli visuels (forme, couleur, mouvement, etc.). Mais lorsque l’on découvre que les neurones d’une région donnée répondent systématiquement à une propriété particulière d’un stimulus, cela ne nous dit pas si l’animal perçoit consciemment cet aspect du stimulus. On sait d’ailleurs que plusieurs propriétés visuelles extraites par les aires visuelles les plus primaires ne correspondent à aucune perception consciente puisque ces neurones conservent leur réponse même chez l’animal sous anesthésie générale, et donc inconscient.

L’originalité des expériences de Logothetis est qu’elles permettaient justement de faire cette distinction entre ce qui est simplement représenté par l’activité neuronale et ce qui est perçu consciemment. Pour ce faire, il utilisa des stimuli rivaux, c’est-à-dire des stimuli qui ont des interprétations mutuellement exclusives.

Dans le cas qui nous intéresse ici, c'est la direction du mouvement du stimulus qui pouvait être interprétée comme allant tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Lors d'un entraînement préalable, on apprend au singe à indiquer avec la main la direction du mouvement qu'il perçoit, vers le haut ou vers le bas.

Dans l’aire MT, responsable de la détection du mouvement, Logothetis a par la suite trouvé des neurones ayant une réponse qui fluctue en accord avec la réponse comportementale apprise par le singe. Certains neurones répondaient par exemple fortement quand le singe signifiait à ce moment-là qu’il percevait un mouvement apparent vers le haut. Les mêmes neurones étaient beaucoup moins actifs quand le singe indiquait qu’il percevait un mouvement apparent vers le bas.

Cette découverte était importante car elle établissait clairement que l’activité de neurones situés dans les aires sensorielles du cortex ne correspond pas toujours uniquement aux propriétés d’un stimulus extérieur. Si l’on compare par exemple pour un neurone donné les essais où il était très actif versus les essais où il l’était moins, on constate qu’absolument rien n’avait changé dans le stimulus extérieur ou dans les conditions générales de l’expérience. La seule différence qui correspond au changement d’activité de ce neurone est la perception du mouvement rapportée par le singe grâce à une réponse comportementale apprise auparavant.

Certains pourraient objecter que ces neurones ne font qu’accompagner l’output moteur de cette réponse comportementale, mais considérant leur localisation et leur connectivité, c’est une hypothèse qui s’avère pour le moins difficile à soutenir.

Ce type d’expérience sur l’activité de neurones isolés semble donc montrer un effet direct des processus attentionnels d’ordre supérieur sur les centres de traitement sensoriels. Quant à savoir si l’activité de ces neurones de l’aire MT forme à elle seule les corrélats neuronaux de la conscience du mouvement, la question reste ouverte…

Expérience : Visual Sense of MotionLien : METAPHORS OF CONSCIOUSNESS AND ATTENTION IN THE BRAIN
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