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Quel
chemin trace le désir ? La piste de locytocine
Plusieurs noyaux hypothalamiques montrent
un dimorphisme sexuel. Cela veut dire qu’un
même noyau n’aura pas la même taille, le
même nombre de neurones ou la même fonction selon
qu’on le considère dans un cerveau d’homme
ou de femme. Certaines de ces différences peuvent être
visibles au microscope tandis que d’autres, plus subtiles,
consistent en des changements dans la connectivité
et dans la sensibilité à certaines molécules.
Considérant les
différences importantes reliées à la reproduction et aux
comportements sexuels, il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi.
Les hommes et les femmes répondent par exemple différemment aux
hormones sexuelles (comme l’œstrogène ou la progestérone)
circulant dans le sang en partie à cause du caractère dimorphique
des noyaux hypothalamiques qui expriment les récepteurs membranaires de
ces hormones. On sait que les hormones sexuelles,
dont les taux diffèrent très tôt selon le sexe, agissent durant
certaines périodes
critiques durant le développement pré et post-natal d’un
individu. Il en résulte une différenciation sexuelle non seulement
des organes génitaux externes et, à l’adolescence, des caractères
sexuels secondaires, mais également de certains noyaux hypothalamiques
et de leur connectivité entre eux et avec d’autres régions
du cerveau. Parmi ces noyaux hypothalamiques qui montrent
un dimorphisme sexuel, il y a tout d’abord le noyau préoptique :
il est deux fois plus grand chez l’homme et contient environ deux fois plus
de neurones. Ce dimorphisme n’apparaîtrait toutefois qu’autour
de l’âge de 4 ans. Chez l’adulte, on sait que les neurones de
ce noyau sécrètent le facteur de libération des gonadotrophines,
ces hormones libérées par l’hypophyse pour contrôler
plusieurs fonctions sexuelles distinctes chez l’homme et la femme par l’entremise
de leurs glandes sexuelles, elles aussi bien différentes (ovaires chez
la femme, testicules chez l’homme). On peut
concevoir assez aisément que le caractère cyclique de l’ovulation
chez la femme par exemple, qui n’a pas de contrepartie chez l’homme,
implique également, dans ses mécanismes de contrôle cérébraux,
des différences morphologiques et fonctionnelles. On
sait par ailleurs que chez les primates mâles, l’activité du
noyau préoptique, en particulier de sa partie médiane, est fortement
associée au comportement sexuel : sa stimulation électrique
augmente l’attirance pour la femelle, la fréquence des érections,
des copulations et des éjaculations; sa lésion élimine les
comportements sexuels et amène l’atrophie des gonades. Le
noyau ventromédian est également une région
de l’hypothalamus qui montre un dimorphisme sexuel. Ce noyau, impliqué
dans la sensation de satiété, va également, dans un
contexte sexuel, encourager la lordose caractéristique qui expose les parties
génitales chez les femelles de mammifères. Le
noyau suprachiasmatique, qui joue un rôle central dans
le contrôle des rythmes
circadiens, mais intervient également dans les comportements sexuels,
démontre lui aussi un dimorphisme sexuel : il est plutôt sphérique
chez l’homme et plus allongé chez la femme. Une différence
de forme qui pourrait sous-tendre une différence de connectivité. |
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LES VOIES DÉSIRANTES DE L'HYPOTHALAMUS |
| L’hypothalamus est
une structure complexe du diencéphale
qui permet de maintenir les
fonctions vitales de l’organisme à l’intérieur de
certaines limites physiologiques (ce qu’on appelle l’homéostasie).
Il est intimement
lié à l’hypophyse par l’entremise de ses neurohormones
qui modulent les sécrétions hormonales hypophysaires et leurs multiples
effets sur le corps. L’hypothalamus est également
connecté à de nombreuses autres régions du cerveau afin d’assurer
ce rôle de centre d’intégration des signaux pour la survie
générale de l’organisme. Bien que la plupart de ces connexions
soient bidirectionnelles, il est pratique de distinguer les faisceaux de fibres
hypothalamiques afférentes et efférentes. Du
côté des fibres afférentes, celles qui arrivent
par exemple dans les corps mamillaires représentent une voie ascendante
importante pour l’hypothalamus. Elles proviennent entre autres du tegmentum
du mésencéphale et de la moelle épinière. Le
faisceau corticohypothalamique provient pour sa part, comme son nom l’indique,
de diverses régions du cortex et se projette dans plusieurs noyaux hypothalamiques.
On connaît plusieurs des routes spécifiques qui forment cette « autoroute » :
celle qui part de la région corticale 6 pour aboutir dans les noyaux postérieurs
et latéraux de l’hypothalamus; celle du cortex préfrontal
qui se projette directement au noyau supraoptique, et indirectement en passant
par le thalamus; celle qui part de la partie postérieure du cortex orbital
olfactif pour se rendre jusqu’aux noyaux paraventriculaire et ventromédian;
etc. Il ne fait pas de doute que c’est par l’entremise
de ces voies que nous pouvons consciemment influencer notre activité viscérale,
par exemple avoir mal au ventre à cause de l’anxiété
ou avoir des réponses physiologiques d’excitation sexuelle par de
simples pensées érotiques. Cela dit, il est certain aussi que l’hypothalamus
n’est pas entièrement sous contrôle cortical, comme en fait
foi notre incapacité à augmenter ou diminuer notre pression sanguine
à volonté, par exemple. L’hypothalamus
reçoit évidemment plusieurs fibres afférentes du thalamus
situé juste au-dessus de lui. Ces fibres thalamohypothalamiques comprennent
celles qui partent des noyaux antérieurs du thalamus et qui se terminent
dans les corps mamillaires, ainsi que celles qui viennent surtout de la région
dorsomédiale du thalamus et aboutissent dans le noyau antérieur
de l’hypothalamus. L’hippocampe
et l’amygdale
envoient aussi des axones dans l’hypothalamus, le premier par un long faisceau
recourbé appelé fornix, et la seconde par un faisceau semblable
appelé la stria terminalis. La cible du fornix est constituée des
corps mamillaires, tandis que celle de la stria terminalis comprend les noyaux
préoptique, antérieur et ventromédian. Le tout fait partie
d’une composante importante du système
limbique appelé circuit
de Papez. Le « medial
forebrain bundle » (ou MFB) est un faisceau important de fibres nerveuses
qui traverse le noyau hypothalamique latéral en se prolongeant tant rostralement
que caudalement. Pour l’hypothalamus, il contient à la fois des fibres
afférentes et efférentes qui le mettent en relation autant avec
certaines aires corticales qu’avec le tronc cérébral. Du
côté des sorties, l’hypothalamus dispose de deux moyens pour
influencer d’autres parties du cerveau et du corps : les projections
nerveuses, bien sûr, mais aussi les
sécrétions neuroendocrines vers l’hypophyse. Parmi
les voies nerveuses, on retrouve le faisceau thalamohypothalamique
déjà décrit dans les afférences. Celui-ci est en effet
bidirectionnel et possède en son sein des fibres nerveuses qui vont de
la région mamillaire de l’hypothalamus au noyau thalamique antérieur.
De là, d’autres neurones prennent le relais et projettent leur axone
au cortex cingulaire dont l’activité peut ainsi être influencée
par l’hypothalamus. D’autres fibres nerveuses
quittent les corps mamillaires de l’hypothalamus pour descendre dans les
noyaux de la
formation réticulée du tronc cérébral. Un
autre faisceau important, celui des fibres périventriculaires, est constitué
de fibres nerveuses qui partent notamment des noyaux postérieur et supraoptique
de l’hypothalamus. Bien qu’il y ait une petite composante ascendante
vers des noyaux thalamiques, la plupart de ces fibres descendent vers différents
noyaux du tronc cérébral responsables entre autres de la respiration
et de la pression sanguine, et même plus bas dans la moelle épinière.
Les relations neurosécrétoires
que l’hypothalamus entretient avec l’hypophyse sont de deux types.
D’une part, la voie hypothalamo-hypophysaire, où des neurones des
noyaux paraventriculaires et supraoptiques projettent leur axone dans le
lobe postérieur de l’hypophyse. Ceux-ci y déversent deux
neurohormones : l’ocytocine et la vasopressine. La première
est sécrétée
lors de l’accouchement et participe au sentiment
amoureux ainsi qu’au lien
social, et la seconde est impliquée dans le contrôle de la réabsorption
de l’eau par les reins. D’autre part,
la région périventriculaire de l’hypothalamus, par l’entremise
de ses neurones dits parvocellulaires, est la source d’un second type de
sortie neurosécrétoire de l’hypothalamus, cette fois-ci en
direction du lobe
antérieur de l’hypophyse. Ces neurones projettent leur axone
dans le système porte hypothalamo-hypophysaire, un réseau de capillaires
sanguins grâce auquel les facteurs de libération hypothalamiques
vont atteindre les cellules glandulaires du lobe antérieur de l’hypophyse. Le
noyau arqué, situé à la base de la région
périventriculaire de l’hypothalamus, est un exemple de région
hypothalamique possédant plusieurs sous-populations de ces neurones parvocellulaires
ayant une fonction neuroendocrine. Les axones de ces
neurones, situés surtout dans la région ventrolatérale du
noyau arqué, forment ce qu’on appelle la
voie tubéro-infundibulaire qui déverse de la dopamine
dans le système porte hypothalamo-hypophysaire. Des cellules glandulaires
hypophysaires qui possèdent des récepteurs à la dopamine
vont alors diminuer leur libération de prolactine, une hormone qui a plusieurs
effets : croissance des glandes mammaires et production du lait chez la femme,
sensation de bien-être après l’orgasme
chez les deux sexes. Comme les neurones dopaminergiques
du noyau arqué sont eux-mêmes inhibés par la succion du bébé
qui tète, l’inhibition d’un effet inhibiteur sur les cellules
hypophysaires de prolactine va produire une augmentation de la production de celle-ci,
et donc plus de lait pour le bébé (voir l’encadré
sur les boucles de rétroaction).
Certaines études tentent
de mettre le dimorphisme sexuel observé dans l’hypothalamus
(voir l’encadré à gauche) en relation avec l’orientation
et l’identité sexuelle des individus. En
effet, des chercheurs comme Swaab et Hofman ont constaté, dès 1990,
que chez les hommes homosexuels, le volume du noyau
suprachiasmatique est presque le double de ce qu’il est chez les hétérosexuels.
D’où leur hypothèse que la différence de taille de
ce noyau chez les hommes homosexuels par rapport aux hétérosexuels
pourrait être lié à l’orientation sexuelle. La
même équipe avait publié, en 1995, les résultats d’une
expérience où l’on injectait une substance capable de bloquer
l’action de la testostérone à des rats, avant ou après
leur naissance. Une fois devenus adultes, ces rats avaient un noyau suprachiasmatique
plus gros et un comportement bisexuel. L’étude
de Simon LeVay en 1991 avait pour sa part fait parler d’elle en montrant
que le troisième noyau interstitiel de l’hypothalamus antérieur
(NIHA-3) est au moins deux fois plus gros chez les hommes hétérosexuels
que chez les hommes homosexuels ou les femmes hétérosexuelles. En
2004 et 2006, Berglund et ses collègues ont procédé à
des études d’imagerie cérébrale pour observer l’activité
de l’hypothalamus lorsqu’une personne sent la testostérone
présente dans la sueur des hommes et les oestrogènes présentes
dans l’urine des femmes. Ces études ont montré que l’hypothalamus
des hommes hétérosexuels, mais également des femmes homosexuelles,
s’activait avec l’odeur des oestrogènes. Et qu’à
l’inverse, la testostérone activait l’hypothalamus des femmes
hétérosexuelles et des hommes homosexuels. Dans
l’ensemble, ces résultats sont cohérents avec le continuum
observé dans la sexualité humaine. Ces dimorphismes cérébraux
pourraient se mettre en place sous l’effet précoce des hormones agissant
sur ces noyaux hypothalamiques qui influencent divers aspects de la sexualité.
Durant le développement, de faibles taux d’androgènes circulants
pourraient par exemple « féminiser » le cerveau
de certains hommes qui deviendraient homosexuels, tandis que des taux élevés
d’androgènes pourraient « masculiniser » le
cerveau des femmes homosexuelles. Mais les facteurs
à l’origine de l’orientation sexuelle sont multiples et complexes
(voir la capsule sur l’homosexualité ci-bas). Les taux hormonaux
précoces ne semblent pas être le fin mot de l’histoire, car
les circuits nerveux adultes conservent une certaine plasticité de sorte
que l’expérience vécue pourrait être à l’origine
d’un dimorphisme plus tardif. Comme la plupart du temps avec le développement
du cerveau, on est sans doute en présence d’une combinaison de facteurs
intrinsèques et extrinsèques, génétiques et épigénétiques. |
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