Si l'on montre à un grand
joueur d'échecs un échiquier avec une partie en cours dessus, il
peut mémoriser en quelques secondes la position exacte de toutes les pièces.
En revanche, si l'on distribue le même nombre de pièce n'importe
comment sur les cases de l'échiquier, il ne fera pas mieux que vous et
moi à ce second test de mémoire. Pourquoi ? Simplement parce que
leur mémoire se sert de leur excellente connaissance des règles
du jeu pour éliminer rapidement les positions impossibles. Les nombreux
souvenirs de parties antérieures les aident aussi à faire des rapprochements
avec des situations de jeu bien connues.
MÉMOIRE ET APPRENTISSAGE
L'apprentissage est
un processus permettant de conserver des informations acquises, des états
affectifs et des impressions capables d'influencer le comportement. L'apprentissage
est la principale activité du cerveau, c'est-à-dire modifier constamment
sa structure pour mieux refléter les expériences rencontrées.
On peut dire aussi que l'apprentissage correspond à l'encodage, première
étape du processus de mémorisation.
Son
résultat, la mémoire, est la persistance de données
autobiographiques aussi bien que de connaissances générales.
La mémoire n'est toutefois pas entièrement fidèle et subit
des transformations suite aux reconstructions tributaires du traitement en parallèle
de l'information dans le cortex.
En effet, quand on
perçoit quelque chose, notre cerveau relie la forme, la couleur, l'odeur,
le son, etc. d'un objet. Et c'est la relation entre ces
assemblées de neurones réparties à différents endroits
dans le cerveau qui constitue notre perception de cette chose. Et son souvenir
n'est pas différent : nous devons reconstruire à chaque fois ces
relations pour se rappeler cette chose.
Aussi, dans
nos systèmes mnésiques, les informations isolées se mémorisent
moins bien que les informations associées à des connaissances existantes.
Plus il y a d'associations entre nouveautés et ce qui est déjà
connu, meilleur est l'apprentissage. Il est plus facile de retenir que le cortex
entorhinal est relié à l'hippocampe par le gyrus dentelé
si l'on a déjà quelques notions de neuroanatomie.
Les
psychologues ont mis en évidence certains facteurs susceptibles d'influencer
le fonctionnement mnésique :
1)
le degré de vigilance, d'éveil, d'attention et de concentration.
On
dit souvent que "L'attention est le burin de la mémoire".
Ainsi, des troubles de l'attention peuvent diminuer radicalement les performances
mnésiques. L'effort conscient de répétition ou d'intégration
de l'information améliore les capacités mnésiques.
2)
l'intérêt, la force de motivation, le besoin ou la nécessité.
Apprendre est plus facile lorsque le sujet vous passionne. La motivation
est donc un facteur qui favorise la mémoire. Des jeunes qui ne réussissent
pas toujours très bien dans les matières scolaires imposées
ont souvent des mémoires phénoménales pour les statistiques
de leur sport favori.
3)
les valeurs affectives attribuées au matériel à mémoriser,
l'humeur et le degré d'émotion de l'individu.
L'état
émotionnel lors d'un événement peut influencer grandement
son souvenir. Ainsi, devant
un événement bouleversant, le transfert est très efficace.
Beaucoup de gens se rappellent par exemple où ils étaient quand
ils ont appris l'assassinat du président Kennedy ou l'attentat du 11 septembre
2001. Le traitement mnésique des événements chargés
d'émotion fait intervenir la noradrénaline, et ce neurotransmetteur
est libéré en plus grande quantité lorsque nous sommes excités
ou tendus. " Ce qui touche le coeur se grave dans la mémoire ",
disait déjà Voltaire
4)
le lieu, l'éclairage, l'odeur, les bruits, bref tout le contexte présent
lors de la mémorisation s'enregistre avec les données à mémoriser.
Nos systèmes mnésiques sont donc contextuels. Par conséquent,
si l'on a un trou de mémoire, on peut s'aider en se remémorant le
lieu de l'apprentissage ou encore l'endroit dans le livre où était
l'information. Y'avait-il une image sur cette page ? Etait-ce en haut ou en bas
de la page ? On appel ces éléments des "indices de rappel".
Et comme le
contexte est toujours enregistré avec ce que l'on apprend, son rappel
nous amène bien souvent, par association successive, à l'information
pertinente.
Un autre
aspect important dans les phénomènes de mémorisation est
l'oubli. L'oubli permet de nous débarrasser de l'énorme quantité
d'informations que nous traitons tous les jours et qui est jugée sans utilité
pour l'avenir.
"La mémoire
du passé n'est pas faite pour se souvenir du passé, elle est faite
pour prévenir le futur. La mémoire est un instrument de prédiction."
Un spécialiste de la mémoire
de travail,
Alan Baddeley, propose une mémoire de travail à plusieurs composantes:
elle comprend un système de contrôle, le processeur central, et un
certain nombre de systèmes auxiliaires "esclaves". L'un de ceux-ci
est spécialisé dans le traitement du système linguistique
(boucle phonologique ou articulatoire) et un autre dans le traitement de l'information
visuo-spatiale.
La boucle articulatoire ou phonologique
joue un rôle important dans la vie de tous les jours. C'est elle que l'on
activerait lorsqu'on se répète intérieurement un numéro
de téléphone. Elle serait aussi grandement impliquée dans
la lecture et l'écriture. D'autre part, la rotation mentale d'objets mis
en évidence dans certains tests indique que la mémoire de travail
peut aussi manipuler des images mentales d'objets visuels. Enfin, peut-être
le plus important mais le moins bien compris de ces sous-sytèmes, le processeur
central, serait responsable de la sélection, de l'initiation, et de l'arrêt
des routines de ses " systèmes esclaves ".
MÉMOIRE SENSORIELLE, À COURT ET
À LONG TERME
La mémoire
sensorielle est cette mémoire automatique, fruit de nos capacités
perceptives, s'évanouissant généralement en moins d'une seconde.
On y connaît deux sous-systèmes : la mémoire iconique de la
perception visuelle et la mémoire échoïque de la perception
sonore.
La mémoire à court terme
dépend de l'attention portée aux éléments de la mémoire
sensorielle. Elle permet de garder en mémoire une information pendant moins
d'une minute environ et de pouvoir la restituer pendant ce délai. Typiquement,
elle est utilisée dans une tâche qui consiste à restituer,
dans l'ordre, une série d'éléments qui viennent d'être
énoncés. En général, nos facultés nous permettent
de retenir entre 5 et 9 éléments (ou, comme on l'entend souvent,
7±2).
La mémoire de
travail est une extension plus récente au concept de mémoire
à court terme. En effet, avec le raffinement des techniques, il devient
de plus en plus évident que la conception initiale d'une mémoire
à court terme qui n'agit que comme un réceptacle temporaire à
la mémoire à long terme est trop simpliste. En fait, ce que l'on
constate de plus en plus, c'est qu'il n'y a pas de ligne de démarcation
claire entre une pensée et un souvenir. La mémoire de travail est
donc un concept mis de l'avant pour tester des hypothèses susceptibles
de mieux cerner ce phénomène complexe.
La mémoire de travail permet
d'effectuer des traitements cognitifs sur les éléments qui y sont
temporairement stockés. Elle serait donc plus largement impliquée
dans des processus faisant appel à un raisonnement, comme lire, écrire
ou calculer par exemple. Une tâche typique qui la met à contribution
consiste à restituer, dans l'ordre inverse, une série d'items qui
vient d'être énoncée. Un autre bon exemple est la traduction
simultanée d'un interprète qui doit faire la traduction tout en
retenant les informations qui lui parviennent en même temps dans l'autre
langue.
La mémoire de travail serait constituée
de plusieurs systèmes indépendants, ce qui impliquerait que nous
ne sommes pas conscients de toute l'information qui y est stockée à
un instant donné. Par exemple, lorsque nous conduisons une auto, nous effectuons
plusieurs tâches complexes simultanément et il est peu probable que
ces différents types d'information soient pris en charge par un système
de mémoire à court terme unique.
La mémoire à long terme
comprend la mémoire des faits récents, où les souvenirs sont
encore fragiles, et la mémoire des faits anciens, où les souvenirs
ont été consolidés. Elle peut être schématisée
comme la succession dans le temps de 3 grands processus de base : l'encodage,
le stockage et la restitution (ou récupération) des informations.
L'encodage
vise à donner un sens à la chose à remémorer. Par
exemple, le mot "citron" peut être encodé de la manière
suivante : fruit, rond, jaune. Si ce mot n'est pas spontanément restitué,
l'évocation d'un indice issu de l'encodage (par exemple : fruit) permettra
de le retrouver. De la profondeur de l'encodage, donc de l'organisation des données,
dépendra l'efficacité de la récupération. Le processus
d'encodage fait également référence non seulement à
l'information ciblée, mais également sur son contexte environnemental,
cognitif et émotionnel. De plus l'association
d'idées ou d'images par des moyens mnémotechniques (comme le
fameux "Mais où est donc Ornicar ?") contribuent à créer
des liens qui facilitent l'encodage.
Une information, même bien
encodée, est toujours sujette à l'oubli.
Le stockage peut être considéré comme le processus actif de
consolidation rendant les souvenirs moins vulnérable à l'oubli.
C'est cette consolidation qui différencie le souvenir des faits récents
du souvenir des faits anciens qui, eux, sont associés à un plus
grand nombre de connaissances déjà établies. Le
sommeil, dans sa
phase paradoxale notamment, ainsi que les révisions (scolaires, par
exemple) jouent un grand rôle de consolidation.
Finalement,
la restitution (ou récupération) des souvenirs, volontaires ou non,
fait appel à des mécanismes actifs qui vont utiliser les indices
de l'encodage. L'information est alors copiée temporairement de la mémoire
à long terme dans la mémoire de travail pour être utilisée.
Plus un souvenir sera codé, élaboré, organisé, structuré,
plus il sera facile à retrouver. On comprend alors que l'oubli peut
être causé par des ratés à chacune de ces étapes
: mauvais encodage, trace insuffisamment consolidé ou difficulté
de récupération.
La restitution de l'information
encodée dans la mémoire à long terme est traditionnellement
subdivisée en deux types. Le rappel implique une restitution active de
l'information, alors que la reconnaissance requiert seulement de décider
si une chose parmi d'autres a été préalablement rencontrée.
L'activation pour le rappel est plus difficile car elle doit se faire globalement
dans toute l'assemblée de neurones impliqués dans ce souvenir. Par
contre, une activation partielle du réseau neuronal déclenchée
par une partie d'un objet pourrait suffire à activer tout le réseau
dans le cas de la reconnaissance.
La mémoire sémantique peut être
considérée comme le résidu des expériences emmagasinées
dans la mémoire épisodique. Elle met en exergue des traits communs
aux divers épisodes et les détache de leur contexte. Une transition
progressive s'effectue donc de la mémoire épisodique à la
mémoire sémantique. À ce moment, la mémoire épisodique
atténue sa sensibilité vis-à- vis d'un événement
particulier afin de procéder à une généralisation
de l'information.
À l'inverse, la compréhension
de nos expériences personnelles est nécessairement due aux concepts
et aux connaissances de la mémoire sémantique. On voit donc que
ces deux types de mémoire ne sont pas des entités isolées
mais interagissent constamment l'une avec l'autre.
DIFFÉRENTS TYPES DE MÉMOIRE À
LONG TERME
Si la mémoire
à long terme peut être subdivisée en mémoire
explicite et implicite, et même si cette dernière peut être
subdivisée à son tour en
différents types de mémoire, il ne faut pas perdre de vue que
la mémoire humaine constitue une association de différents sous-systèmes
en constante interaction. Les mémoires épisodiques et sémantiques,
deux formes distinctes de mémoire explicite, en offrent peut-être
le meilleur exemple (voir l'encadré).
La mémoire épisodique,
parfois appelée autobiographique, permet à un sujet de se rappeler
des événements qu'il a personnellement vécus dans un lieu
et à un instant donné. C'est le souvenir de ce qu'on a mangé
la veille, le nom d'un ancien camarade de classe ou encore la date d'un événement
public marquant.
La caractéristique la
plus distinctive de la mémoire épisodique est que l'individu se
voit en tant qu'acteur des événements mémorisés. Par
conséquent, le sujet mémorise non seulement un événement
qu'il a vécu, mais tout le contexte particulier de cet événement.
C'est
cette composante de la mémoire qui est le plus souvent touchée par
les amnésies. De plus, la charge émotionnelle vécue par le
sujet au moment des faits conditionne la qualité de la mémorisation
épisodique.
La
mémoire sémantique est le système par lequel l'individu
stocke sa connaissance du monde. C'est une base de connaissances que nous possédons
tous et dont une grande partie nous est accessible rapidement et sans effort.
C'est la mémoire du sens des mots, celle qui nous permet de se souvenir
du nom des grandes capitales, mais aussi des coutumes sociales, de la fonction
des choses, de leur couleur ou de leur odeur.
C'est
aussi la mémoire des règles et des concepts qui permet la construction
d'une représentation mentale du monde sans la perception immédiate.
Ce contenu est donc abstrait et relationnel, et il est associé à
la signification des symboles verbaux.
La mémoire
sémantique est indépendante du contexte spatio-temporel de son acquisition.
Comme il s'agit d'une mémoire de référence qui renferme des
informations accumulées de façon répétée durant
toute notre vie, la mémoire sémantique est habituellement épargnée
par les amnésies. Mais certaines démences peuvent l'affecter (voir
l'encadré).
Dans la "maladie
d'Alzheimer", les patients présentent rapidement un manque du
mot ou ont des difficultés à retrouver des connaissances générales.
Il a été mis en évidence dans des tâches de description
d'items, de dénomination, etc. qu'il existe une perte des connaissances
des caractéristiques spécifiques des catégories sémantiques
d'abord à un degré élaboré (catégories fines
comme les espèces d'animaux, les catégories d'objets) puis à
un degré de plus en plus général et grossier. Le patient
dira d'un épagneul : " c'est un chien ", puis " c'est une
bête ".