Dans une célèbre série
d’expériences, John Tooby et Leda Cosmides ont montré qu’un
même problème logique était résolu avec un taux de
succès fort différent selon qu’il était posé
en termes abstraits de logique pure ou en terme de tricherie dans une situation
d’échange social. Dans le premier cas, moins de 25 % des gens réussissent
le test, alors que dans le second le taux de réussite oscille entre 65
et 80 %. De plus, ces résultats sont constants peu importe la culture des
individus testés, ce qui appuie l’idée d’un module
universel de détection de la tricherie qui aurait été
sélectionné pour sa grande utilité pour une espèce
sociale comme la nôtre.
Des activités humaines n’ayant à première
vue aucun rapport avec la survie ou la reproduction prennent
une tout autre dimension quand on les considère à
la lumière du concept de mème
(ou gène mental) mis de l’avant par le biologiste
Richard Dawkins. Un tel mème (par exemple un concept,
une image, une mélodie, etc.) issu d’une activité
artistique, littéraire ou intellectuelle peut ainsi
conférer à son porteur un avantage évolutif
si la société dans laquelle il se trouve valorise
ce type de concept, d'idée, de processus, etc..
L'APPROCHE DE LA PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIVE
Le postulat central de
la psychologie évolutive est que nos mécanismes psychologiques sont
une collection d’entités spécialisées qui ont évolué
pour résoudre des problèmes spécifiques. Plus précisément
des problèmes qu'ont rencontré nos ancêtres
pendant les millions d’années d’évolution de notre espèce.
Autrement dit, et contrairement à
certaines critiques qui lui ont été formulé, la psychologie
évolutive utilise surtout le concept de « Environment of Evolutionary
Adaptedness (EEA) » pour essayer de trouver des caractéristiques
encore méconnues de l’esprit humain, et pas tant pour expliquer celles
que l'on connaît déjà.
Bien que la valeur heuristique
d’une perspective évolutive soit de plus en plus reconnue, les écoles
de pensées dominantes en sociologie et en psychologie depuis plus d’un
siècle n’en ont peu ou pas tenu compte. Les psychologues évolutionnistes
remettent donc en question ce qu’ils appellent le modèle standard
de la conception de l’esprit par les sciences humaines.
Le tableau
comparatif suivant permet de mieux saisir les différences entre les deux
approches :
Selon
le modèle traditionnel des sciences sociales…
Selon
le modèle de la psychologie évolutive…
Il existe plusieurs types de disciplines scientifiques
comme les sciences naturelles (botanique, zoologie, etc.), les sciences sociales
(sociologie, psychologie, économie, etc.) La psychologie est une science
sociale. Elle s’intéresse à la culture et à l’expérience
individuelle qui produisent les variations de comportement individuel. Le rôle
de l’évolution n’est pas pris en compte dans cette démarche.
L’être humain naît avec quelques réflexes élémentaires
innés et une grande capacité d’apprentissage générale.
Celle-ci nous permet d’écrire sur la « page blanche »
de notre esprit grâce à la culture et à l’expérience.
La culture détermine ce qu’un individu acquiert et apprend
durant sa vie.
On peut trouver
consciemment la meilleure solution aux problèmes qui se posent à
nous chaque jour.
Toutes les disciplines qui utilisent la méthode scientifique forment une
entité unique et cohérente formée de différentes spécialités
comme la biologie, la psychologie, la sociologie, etc.
La psychologie
est une branche de la biologie qui est une science naturelle bâtie sur la
théorie de l’évolution. Par conséquent, la psychologie
doit tenir compte de l’évolution.
L’esprit
humain est constitué de modules spécialisés innés
qui ont évolué grâce à la sélection naturelle
et sexuelle pour résoudre les problèmes adaptatifs particuliers
rencontrés par les premiers êtres humains.
L’environnement
interne et externe d’un individu joue un rôle important dans l’expression
des modules qui produisent la culture. Plusieurs des motifs à l’origine
de nos comportements sont inconscients.
Source
: SALMON, University of Plymouth
Si la psychologie évolutive
insiste sur l’influence de circuits cérébraux façonnés
par l’évolution, elle n’affirme toutefois pas que notre
comportement est génétiquement déterminés. Elle
reconnaît au contraire que l’environnement joue un rôle crucial
sur le développement de nos facultés.
De plus, parce qu’elle
s’intéresse à des aspects délicats du comportement
humain (viol, agression…), la psychologie évolutive subit régulièrement
des attaques au nom de la morale. La psychologie évolutive n’établit
cependant en rien ce qui « devrait être » mais se contente d’étudier
ce qui « est ». C’est la confusion entre ces deux positions
idéologiques qui a été à l’origine du darwinisme
social et de tous ses avatars.
D’autre part, la psychologie évolutive
n’est pas une attaque à l’égalité et à
la démocratie parce qu’elle minimise l’influence de mécanismes
généraux d’apprentissage qui permettent de penser que chacun
peut devenir n’importe qui. En fait, les modules spécialisés
mis de l’avant par les psychologues évolutionnistes sont aussi universellement
partagés par tous les êtres humains et garantissent donc eux aussi
au départ l’égalité des chances.
Ce n’est
pas non plus parce que la psychologie évolutive a mis en évidence
plusieurs différences passées jusqu’ici inaperçues
entre les hommes et les femmes qu’elle est sexiste. Pour la simple raison
qu’il ne s’agit que de différences et qu’en aucun
temps les psychologues évolutionnistes n’ont suggéré
que les adaptations d’un genre étaient supérieurs à
celles de l’autre. Ainsi, dire que les hommes sont plus habiles pour
s’orienter dans l’espace et les femmes pour déceler l’emplacement
d’objets dans l’espace est du même ordre que faire remarque
que le corps de l’homme et de la femme sont différents.
Enfin, savoir que nous avons des prédispositions comportementales issues
de notre héritage évolutif ne veut pas dire que nous ne pouvons
pas avoir de contrôle sur les effets indésirable de ceux-ci dans
notre société actuelle. La xénophobie qui provient souvent
d’une méfiance autrefois salvatrice de l’étranger peut
se raisonner rationnellement ou se prévenir en entrant délibérément
en contact avec l’étranger, en apprenant ses coutumes ou sa langue.
Malgré toutes ces mises au point, d’autres critiques, davantage fondées
scientifiquement, ont montré
les limites de la psychologie évolutive.
L’ancienneté des systèmes
émotionnels primitifs est confirmée par leur situation anatomique
dans le cerveau. En effet, il est reconnu que plus une structure a une position
caudale et médiale dans le cerveau, plus elle est ancienne. Aussi,
plus elle apparaît précocement dans le développement
de l’embryon, plus il est probable qu’elle soit apparue tôt
dans l’évolution. Or, les deux critères s’appliquent
très bien aux systèmes émotionnels primitifs.
LA PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIVE CRITIQUÉE
Certains neurobiologistes
pensent que les plus ardents défenseurs de la
psychologie évolutive poussent trop loin la logique de ce paradigme.
Ils leur reprochent d’abord de prétendre pouvoir éventuellement
élucider tous les mécanismes qui constituent la nature humaine uniquement
en faisant des raisonnements sur les
problèmes auxquels ont fait face les premiers humains.
Ils
trouvent ensuite que les psychologues évolutionnistes ne tiennent pas compte
suffisamment des données neuro-anatomiques et comportementales qui sont
abondantes chez toutes les autres espèces de mammifères.
De plus, les psychologues évolutionnistes ont tendance selon eux à
postuler trop facilement l’existence de «
modules spécialisés » sans s’attarder aux bases
neuro-anatomiques qui pourraient confirmer ou infirmer leur existence.
Par ailleurs, ces critiques soulignent que plusieurs de ces « modules »
spécialisés déterminés génétiquement
existent et sont bien caractérisés dans le cerveau. Mais ils sont
situés dans des régions sous-corticales, sont impliqués
surtout dans les émotions et la motivation, et se retrouvent chez tous
les mammifères. Par conséquent, ce serait pour eux bien davantage
ces circuits sous-corticaux, façonnés par l’évolution
bien avant l’hominisation, qui déterminerait les caractéristiques
essentielles de l’esprit humain.
Ainsi, le déclenchement
d’une émotion pourrait être le principe premier qui pourrait
par la suite être transformé par les nombreuses possibilités
cognitives du cortex, sans que n’interviennent de «modules corticaux»
sélectionné pour répondre à une situation suscitant
un état d’esprit particulier, comme de la jalousie par exemple.
Faut-il voir derrière ces deux visions
diamétralement opposées de l’évolution de la femme
la sélection de deux modules distincts dans le cerveau des caricaturistes
?…
La nécessité pour la psychologie
évolutive de considérer les caractéristiques neuro-anatomiques
présentes chez tous les mammifères s’appliquerait aussi à
des capacités spécifiquement humaines comme le langage. Pour les
spécialistes de la neuro-anatomie comparée, il semble probable que
le langage humain se soit constitué à partir non seulement de l’expansion
corticale mais aussi des systèmes sous-corticaux à l’origine
du besoin de communication sociale que l’on retrouve chez tous les animaux.
Les prédispositions humaines à l’acquisition du langage ne
nécessiteraient donc pas nécessairement l’existence de modules
corticaux entièrement façonnés durant l’hominisation,
mais simplement un couplage des capacités cognitives accrues du cortex
avec des motivations de communication non-verbales très anciennes.