La rétine n’utilise pas seulement
la neurotransmission classique avec synapse chimique pour transmettre l’information
dans ses réseaux. Beaucoup d’information se transmet en effet rapidement
par des synapses
électriques, surtout dans les voies partant des bâtonnets. De
plus, on a découvert aussi beaucoup de neuromodulation
dans la rétine, c’est-à-dire de substances diffusant à
distance et influençant un grand nombre de neurones à la fois.
Les cellules ganglionnaires sont donc le dernier
maillon de la chaîne neuronale rétinienne. L’information recueillie
par 125 millions de photorécepteurs par oeil est canalisée dans
un million de cellules ganglionnaires.
Les potentiels d’action
qui sortent de l’oeil par le nerf optique après leur passage dans
les quelques synapses de cette chaîne sont donc porteurs d’une information
beaucoup plus sophistiquée que la représentation point par point
du monde encodée par les photorécepteurs. La rétine n’est
donc pas un simple feuillet de cellules photosensibles, mais véritablement
un petit cerveau à l’extérieur du gros ! Elle se détache
d’ailleurs de celui-ci lors du développement embryonnaire.
LA RÉTINE
À l’instar
des cônes et des bâtonnets dont la
structure et la
fonction sont toutes entières orientées vers la transformation
de l’énergie lumineuse en influx nerveux, chaque
type de cellule de la rétine possède une localisation et une
connectivité visant à effectuer un premier traitement de l’information.
Source
: University of Kansas Medical Center
Alors
que les autres neurones de la rétine n’émettent que des potentiels
électriques gradués, les cellules ganglionnaires
sont les seules à transmettre le signal nerveux sous forme de potentiels
d’action. Considérant que ce sont leurs axones qui forment le
nerf optique et transmettent donc l’information à de grandes distances
de la rétine, la génération de potentiels d’action
dans ces cellules prend alors tout son sens. Ces potentiels d’action sont
d’ailleurs générés de façon spontanée
et c’est donc leur fréquence de décharge qui est amplifiée
ou diminuée par l’apparition de lumière dans leur champ récepteur.
Bien que la plupart des cellules ganglionnaires ont soit
des champs récepteurs de type centre ON – périphérie
OFF, soit l’inverse, il existe d’autres critères définissant
d’autres catégories. Leur aspect général, leurs connexions
et leurs caractéristiques électrophysiologiques ont permis de distinguer
au moins trois types de cellules ganglionnaires dans la rétine des macaques,
une rétine très semblables à la nôtre.
De petites cellules ganglionnaires de type P (pour
parvus, petit en latin) qui représentent environ 90% de la population
totale de cellules ganglionnaires; de grandes cellules de type M (pour magnus,
grand en latin) qui constituent environ 5% de la population; et des cellules ganglionnaires
non M-non P qui ne sont pas encore bien caractérisées et qui forment
le 5% restant.
Les cellules de type M
présentent aussi de plus grands champs récepteurs, propagent les
potentiels d’action plus rapidement dans le nerf optique, et sont plus sensibles
aux stimuli à faible contraste. De plus, la réponse positive d’une
cellule M à une stimulation est une brève salve de potentiels d’action,
alors que les cellules P ont une réponse plus tonique et maintenue aussi
longtemps que le stimulus agit.
L’idée la plus couramment
admise est que les cellules M sont particulièrement impliquées dans
la détection du mouvement du stimulus alors que les cellules P, avec leur
petit champ récepteur, seraient plus sensibles à la forme et aux
détails de celui-ci.
Autre
distinction essentielle pour la détection de la couleur : les cellules
P et quelques cellules non M-non P sont sensibles aux différences
de longueur d’onde de la lumière. La majorité des cellules
P sont en fait des « cellules à opposition simple de couleur »,
c’est-à-dire que la réponse à une longueur d’onde
donnée au centre de leur champ récepteur est inhibée par
la réponse de la périphérie à une autre longueur d’onde.
Dans le cas d’une cellule à centre rouge ON et périphérie
verte OFF, ce sont des cônes rouges qui occupent le centre du champ et des
verts la périphérie. Même chose pour les cellules à
opposition bleu-jaune, où ce sont des cônes bleus versus des cônes
sensibles au rouge et au vert. Les cellules ganglionnaires de type M n’ont
pas d’opposition à la couleur tout simplement parce qu’à
la fois le centre et la périphérie reçoivent de l’information
de plus d’un type de cône. Les cellules de type M ne se retrouvent
pas non plus dans la fovéa ce qui confirme l’absence de rôle
dans le traitement de la couleur pour ces cellules.
Les
cellules ganglionnaires apportent donc au cerveau de l’information en partie
déjà traitée en ce qui a trait à la comparaison régionale
des processus d’opposition lumière-obscurité, rouge-vert et
bleu-jaune .
Comme dans plusieurs systèmes cérébraux,
le système visuel traite l’information en parallèle.
Nos deux yeux apportent d’abord deux flux d’information parallèles
que notre cerveau va comparer pour avoir une
estimation de la profondeur d’un objet donné dans une scène.
Il semble qu’il y ait également des flux d’information
indépendants sur la quantité de lumière à chaque point
de l’espace transmis par les cellules ganglionnaires.
Les cellules
ganglionnaires de type M peuvent aussi détecter des contrastes subtils
grâce à leur vaste champs récepteurs et les cellules P, avec
leurs petits champs récepteurs, semblent mieux adaptées à
la discrimination de petits détails. Enfin, les cellules P et non M-non
P sont spécialisées dans le traitement des couleurs.
LES CHAMPS RÉCEPTEURS, DE LA RÉTINE
AU CORTEX
L’organisation
centre-périphérie des champs récepteur
des neurones rétiniens naît de la connectivité
des cellules horizontales avec les phororécepteurs et
les cellules bipolaires. Cette organisation permet d’augmenter
les contrastes des objets dans le champ visuel. Une rétroaction
en provenance de la couche
plexiforme interne influence aussi l’activité
des cellules horizontales. Celles-ci, en retour, modulent les
signaux des photorécepteurs sous différentes conditions
d’éclairage, rendant la
transduction moins sensible sous de fortes lumières
et plus sensible en lumière atténuée.
Les cellules bipolaires, comme tous les neurones de la rétine
sauf les cellules ganglionnaires, transmettent l’influx
nerveux non pas avec des potentiels d’action mais sous
la forme de simples potentiels gradués. On parle tout
de même de réponse ON lorsqu’une dépolarisation
amène une augmentation de la relâche de neurotransmetteurs
et de réponse OFF quand une hyperpolarisation diminue
la quantité de neurotransmetteurs relâchés.
La question que l’on peut alors se poser est celle de
la nature, excitatrice ou inhibitrice, de la connexion reliant
les photorécepteurs aux cellules bipolaires.
Les photorécepteurs émettent en permanence leur
neurotransmetteur, du glutamate, en l’absence de lumière.
Par conséquent, les récepteurs
au glutamate des cellules bipolaires à centre OFF
sont excitateurs, puisque l’absence de lumière
doit les stimuler. De même, on constate que les récepteurs
des cellules bipolaires à centre ON sont inhibiteurs,
puisque la lumière qui frappe les photorécepteurs
au centre de leur champ récepteur va les hyperpolariser
et diminuer la relâche de glutamate. Moins de ce neurotransmetteur
qui est ici inhibiteur (dû au type de récepteur
métabotropique sur lequel il se fixe) amènera
donc une plus grande excitation du neurone bipolaire. C’est
donc la nature excitatrice ou inhibitrice des récepteurs
au glutamate qui détermine le type de champ récepteur
des cellules bipolaires.
Cellules ganglionnaires à centre ON
Les
cellules ganglionnaires ont le même type de champs récepteurs circulaire
à opposition centre-périphérie que les cellules bipolaires.
De plus, le caractère ON ou OFF d’une cellule bipolaire est transmis
à la cellule ganglionnaire qui lui est connectée. La plupart des
cellules ganglionnaires ne sont pas très sensibles aux stimuli lumineux
qui touchent à la fois le centre et la périphérie du champ
récepteur. Ainsi, une obscurité totale ou un éclairage uniforme
leur fait émettre peu de potentiels d’action. Ces cellules sont toutefois
très sensibles aux différences d’éclairement survenant
à l’intérieur du champ récepteur, comme lorsqu’une
zone d’ombre ou de lumière balaie leur champ récepteur d’un
côté à l’autre par exemple.
L’information
portée par les potentiels d’action des cellules ganglionnaires souligne
donc davantage les contrastes d’éclairement entre les zones éclairées
et obscures plutôt que le degré absolu de luminosité. La
perception de la lumière et de l’obscurité n’est
donc pas absolue, mais relative.
Outre
les cellules simples
et complexes
de l’aire visuelle primaire (aire 17 ou V1 ou encore cortex strié)
ou de l’aire secondaire (aire 18 ou V2), on trouve dans l'aire visuelle
secondaire V5 ou (aire 19 ou MT) des cellules qui ne répondent que si un
stimulus lumineux présente un rapport surface éclairée/surface
sombre donné, ou bien si un angle lumineux donné est présent,
ou encore à des formes en mouvement. Certaines de ces cellules dites hypercomplexes
ne sont également sensibles qu’à des lignes de longueur définie,
de sorte que l'allongement du stimulus au-delà de cette limite réduit
la réponse.
Les cellules hypercomplexes résultent
de la convergence sur un même neurone des axones de plusieurs cellules complexes
d'orientations différentes et de champs visuels voisins. Elles constituent
encore un autre niveau de traitement de l'information. A chacun de ces niveaux,
chaque cellule «voit» plus que celles de niveau inférieur et
les cellules les plus hautes ont le pouvoir d'abstraction le plus élevé.
Ce dernier est généré par la connectivité neuronale
à chaque
relais des voies visuelles jusqu’aux différents
cortex visuels.
On peut résumer ceux-ci de la façon
suivante : la rétine et le CGL « voient » la position, les
cellules simples l’axe d’orientation, les cellules complexes le mouvement
de l’axe et les cellules hypercomplexes les bords et les angles.
En plus de sortir du cortex visuel primaire,
les axones des cellules pyramidales de toutes les couches se ramifient et forment
des connexions locales entre elles. La plupart de ces connexions se font perpendiculairement
à la surface corticale, passant ainsi à travers les différentes
couches. En demeurant dans la même colonne, ces connexions radiales préservent
ainsi la rétinotopie.
Les axones de certaines cellules pyramidales de la couche III se ramifient
également mais forment plutôt leurs connexions horizontalement, à
l’intérieur même de la couche III. Ces connexions radiales
et horizontales jouent des rôles distincts dans l’analyse
de l’information visuelle.
Dans le système visuel, les
afférences qui véhiculent l'information venant des deux yeux convergent
initialement sur les mêmes cellules cibles. Quelques semaines après
la naissance cependant, une ségrégation survient et les connexions
se font alors en fonction de l'origine oculaire de l'influx. Chaque
couche du corps genouillé latéral ou chaque colonne de dominance
oculaire du cortex strié reçoit alors des afférences d'un
seul il suite à la réorganisation synaptique.
Plusieurs
expériences visant à étudier les effets de la privation sensorielle
durant des périodes critiques du développement ont été
réalisées chez le chat et le singe en suturant une ou deux paupières,
ou encore en créant chirurgicalement un strabisme artificiel. Il ressort
de ces études que le développement normal de la connectivité
du cortex
visuel ne dépend pas tant de l'activité absolue d'une voie nerveuse
particulière, mais bien d'une compétition entre l'activité
relative de différentes voies.
Après que l'il droit
d'un jeune chat ait été suturé durant la période critique
de l'établissement des colonnes de dominance oculaire dans le cortex visuel
primaire, un processus de compétition fait en sorte que la superficie des
colonnes innervée par les voies visuelles de l'il suturé diminue
par rapport à celle de l'il intacte. Il semble que les cellules du
corps genouillé latéral recevant des connexions de l'il fermé
voient dans un premier temps leur axone allant au cortex régresser. Les
neurones corticaux ainsi laissés vacants se voient dans un deuxième
temps innervés par des collatérales s'étant développées
à partir des axones des cellules du corps géniculé latéral
de l'il intact.
L'ORGANISATION CELLULAIRE DU CORTEX VISUEL
Le
grand nombre de travaux sur le cortex
visuel primaire nous permet d’appréhender toute la complexité
et la beauté de son organisation cytoarchitecturale. D’abord une
stratification
horizontale en différents types de neurones spécialisés
dans la réception ou l’envoi de l’information nerveuse.
Ensuite une autre fragmentation, radiale celle-là, en une multitude
de colonnes où les neurones qui s’y trouvent répondent
tous à une même caractéristique d’un point donné
du champ visuel. Les colonnes forment donc une unité fonctionnelle perpendiculaire
à la surface corticale.
D’ailleurs, si on introduit une
microélectrode perpendiculairement à travers les différentes
couches du cortex visuel, on ne rencontrera par exemple que des neurones qui ont
la même préférence d’orientation, qu’ils aient
des champs
récepteurs simples ou complexes. Le corollaire étant qu’une
microélectrode pénétrant parallèlement à la
surface du cortex, donc progressant dans une seule couche corticale mais traversant
plusieurs colonnes, va voir la préférence d’orientation changer
au fur et à mesure qu’elle avance. Hubel et Wiesel ont montré
que la préférence d’orientation était ainsi inversée
de 180 degrés en moyenne lorsque l’électrode se déplace
de 1 millimètre environ dans la couche III.
On
peut dire que les colonnes de dominance oculaire constituent
un troisième niveau d’organisation cellulaire dans le cortex visuel
primaire. Ces colonnes, situées au niveau de la couche IV C, se présentent
en fait sous forme de bandes de 0,5 millimètres de large régulièrement
espacées. En fait, des expériences de marquage (voir capsule expérience
intermédiaire à gauche) permirent de constater que ces bandes correspondaient
aux terminaisons nerveuses de l’œil gauche et de l’œil droit
et qu’elles alternaient ainsi d’un œil à l’autre,
se disposant un peu comme les rayures d’un zèbre.
Comme si ce n’était pas
suffisant, d’autres chercheurs ont mis en évidence à la fin
des années 1970, à l’aide d’un colorant appelé
cytochrome oxydase, un autre type de colonnes localisées à intervalles
réguliers et traversant les couches II, III, V et VI. Ces colonnes qui
ont l’aspect des taches de la robe d’un léopard lorsque vues
tangentiellement reçurent donc le nom de taches. Ces taches
sont donc disposées en lignes et centrées sur une bande de dominance
oculaire de la couche IV C. Entre les taches se trouvent forcément des
zones intermédiaires dites « intertaches » dont les neurones
ne possèdent pas les caractéristiques de ceux des taches.
Les cellules des taches ont ceci de particulier qu’elles sont sensibles
à la longueur d’onde du stimulus, autrement dit à sa couleur.
De plus, elles sont monoculaires, n’ont pas de spécificité
d’orientation et présentent plutôt des champs récepteurs
à symétrie circulaire. Dans certaines d’entre elles, on retrouve
même l’organisation centre-périphérie à opposition
de couleur des cellules ganglionnaires de types P qui sont à l’origine
de cette voie (voir encadré ci-bas).
Hubel
et Wiesel ont également montré que chaque point du champ visuel
produit une réponse dans une région de 2 x 2 millimètres
dans le cortex. Or une telle surface corticale peut contenir deux groupes complets
de colonnes de dominance oculaire, 16 taches et des zones intertaches pouvant
contenir plus de deux fois toutes les orientations possible sur 180 degrés.
Ils appelèrent hypercolonne (ou plus généralement
module cortical) cette région du cortex qui semble à la fois
nécessaire et suffisante à l’analyse de l’image d’un
point dans l’espace visuel. Comme le cortex est une couche cellulaire continue
et qu'il est très difficile d'établir concrètement les frontières
de tels modules, l'existence de ceux-ci d'un point de vue fonctionnel est encore
débattue.
Au début des années soixante, David
Hubel et Torsten Wiesel (Prix Nobel de médecine 1981) furent les premiers
à explorer les champs récepteurs des neurones du corps genouillé
latéral et du cortex visuel à l’aide de microélectrodes.
Ils ont d’abord montré que les neurones du corps genouillé
latéral se comportaient pratiquement comme les cellules ganglionnaires
de la rétine. Puis, ils ont mis en évidence trois voies relativement
indépendantes dans le traitement de l’information visuelle qui prennent
en charge chacune un aspect différent de la vision.
Le premier
est le canal M pour « magnocellulaire » qui commence
avec les cellules ganglionnaires magnocellulaires
de la rétine, fait un relais dans le corps
genouillé latéral et rejoint la couche IV C alpha du cortex
strié. À ce niveau, les champs récepteurs des neurones de
la couche IV C alpha ne sont plus circulaires (comme c’était le cas
dans la
rétine et dans le CGL), mais sont
plutôt allongés.
Les cellules de la couche IV C
alpha projettent aux neurones de la couche IV B qui ont eux aussi des champs récepteurs
simples mais répondent souvent à des stimulations des deux yeux
contrairement aux cellules de la couche IV C dont les champs récepteurs
sont monoculaires. Les neurones de la couche IV B commencent donc le travail d’intégration
nécessaire à notre vision binoculaire.
Les cellules de
la couche IV B sont aussi sélectives à la direction, mais à
condition que le stimulus rectiligne se déplace dans une direction précise.
Pour cette raison, le canal M est considéré comme spécialisé
dans l’analyse du déplacement des objets.
La seconde voie
de transmission de l’information visuelle est le canal P-IB
pour «parvocellulaires-intertaches» (ou interblob, en anglais),
qui débute dans la rétine avec les
cellules ganglionnaires parvocellulaires, passe par le CGL et aboutit
sur les cellules de la couche IV C bêta qui réagissent comme les
cellules du CGL parvocellulaires d’où elles proviennent : elles présentent
des petits champs récepteurs monoculaires de configuration circulaires
dont la plupart sont à opposition centre-périphérie rouge-vert.
Les axones des cellules de la couche IV C bêta rejoignent ensuite
les régions intermédiaires situées entre les zones de tache
de la couche III. Les
cellules complexes qui s’y trouvent, encore plus spécifiques
que les cellules simples pour l’orientation des stimuli, portent à
croire que l’analyse de la forme des objets une spécialité
du canal P-IB.
La troisième voie de transmission du signal visuel
est le canal des taches, qui passe à travers les couches
parvocellulaires et coniocellulaires du CGL et converge ensuite sur les zones
de tache de la couche III. Outre certains neurones de la couche IV C, les cellules
des taches contiennent les seuls neurones sensibles à la couleur du cortex
strié et ces zones de tache servent donc probablement à l’analyse
de la couleur des objets.