L’origine du langage a donné lieu depuis des
siècles à de nombreux débats. En 1886,
la Société de Linguistique de Paris a même
déclaré cette question irrésoluble et
a refusé toute communication sur l'origine du langage.
Comme la parole est par essence quelque chose d’évanescent,
on ne dispose que d’indices indirects de son émergence.
D’où les innombrables hypothèses qui ont
été formulées sur l’origine du
langage, toutes plus imaginatives et spéculatives les
unes que les autres.
On distingue d’abord ce que l’on pourrait appeler
les théories vocales de l’origine
du langage. Des modifications de la bouche et du pharynx (voir
capsule outil à gauche) couplées à une
augmentation du volume cérébral auraient conduit,
il y a environ 100 000 ans, au contrôle volontaire des
productions vocales qui étaient jusque là plutôt
des cris instinctifs. On retrouve différentes variantes
de cette approche.
Certains postulent que le langage humain vient du développement
des onomatopées, c’est-à-dire de l’imitation
des bruits de notre environnement. D’autres qu’il
se serait développé à partir des cris
de joie, de douleur, et d’autres exclamations involontaires.
D’autre encore, et c’était le cas de Charles
Darwin, avancent que le langage oral proviendrait d’une
imitation avec la bouche d’un langage gestuel déjà
existant avec les mains.
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Une autre hypothèse
soutient que l’utilisation de sons symboliques
arbitraires se serait développée à
partir des cris d’alerte des primates pour informer
de la présence d’un prédateur, d’aliments
toxiques ou comestibles, etc. Certaines, plus sophistiquées
encore, avancent par exemple que le langage humain est
devenu élaboré parce que nos cris et vocalises
peuvent révéler nos états d’âmes
et qu’on peut ainsi apprendre à les imiter
pour obtenir certains privilèges et avantages
sélectifs.
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Un autre courant est celui de la
théorie gestuelle de l’origine
du langage. Elle postule que le passage à la bipédie
aurait eu pour première conséquence de libérer
les membres antérieurs et de les rendre utilisables
pour la communication gestuelle. Dans un second temps, le
langage vocal se serait à son tour développé,
rendant ainsi les mains libres pour d'autres usages.
Les travaux sur le langage des signes utilisé par les
personnes sourdes ont apporté des arguments en faveur
de la théorie gestuelle. Ces travaux ont montré
que le langage des signes était aussi sophistiqué
du point de vue grammatical que le langage oral. De plus,
il solliciterait les mêmes « aires du langage
» de l’hémisphère gauche que les
langues parlées (voir la capsule outil à gauche),
en particulier l’aire
de Broca, très proche des aires motrices des bras
et de la main. La théorie gestuelle de l’origine
du langage expliquerait aussi la capacité des chimpanzés
à apprendre les rudiments du langage des signes comparé
à leur absence de compétence pour le langage
verbal.
La théorie
gestuelle pourrait aussi expliquer pourquoi les outils
de pierre des premiers hominidés ont si peu évolué
durant une période de près de deux millions
d’années malgré une augmentation de
la taille du cerveau : si les mains étaient utilisées
pour communiquer, peut-être étaient-elles
moins disponibles pour perfectionner les outils ? |
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Pour les tenants de la théorie gestuelle, la transition
vers le langage parlé s’est probablement fait
progressivement jusqu’à il y a environ 50 000
ans, période où la parole aurait pris radicalement
le dessus, libérant ainsi définitivement les
mains pour permettre l’explosion technologique et artistique
de cette époque.
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D’autres théories voient plutôt émerger
le langage de la complexité du monde social
dans lequel évoluent les primates. Elles s’opposent
en cela aux autres théories s’appuyant plutôt
que sur l’échange d’information sur l’environnement
physique, pour augmenter l’efficacité de la chasse
par exemple.
La théorie du « gossip » de Robin Dunbar
s’inscrit dans ce courant. Vers le milieu des années
1990, l’anthropologue anglais a attiré l’attention
sur le fait que la majorité de nos échanges
verbaux sont consacrés à prendre des nouvelles
de notre interlocuteur ou d’une tierce personne (le
« gossip » des anglophones). Pour lui, la fonction
première du langage est donc d’échanger
de l’information sur l’environnement social de
l’individu : qui est fiable, qui a fait des
alliances avec qui, bref le potinage habituel…
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Chez les primates, c’est l’épouillage
mutuel qui a cette fonction sociale, consolidant les
hiérarchies et favorisant la réconciliation
après les conflits. À mesure que le nombre
d’individus dans les groupes augmentait durant
l’hominisation, Dunbar croit que le langage est
simplement devenu plus efficace que l’épouillage
comme outil de cohésion sociale.
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D’autres, comme Jean-Louis Dessalles, affirment que
c’est parce que l’homme est avant tout un animal
politique qu’il s’est mis à parler.
Convaincre un congénère de former une coalition
ou de la véracité de quelque chose qui ne se
passe pas sous nos yeux, voilà l’avantage que
le langage aurait pu apporter à nos ancêtres.
Le langage serait alors apparu parce que les hominidés
ont eu besoin d'un moyen de choisir leurs alliés dans
des groupes à l'organisation sociale de plus en plus
complexe.
D’autres encore, comme Bernard Victorri, mettent l’accent
sur la nécessité qu’a eu notre espèce,
à un certain point de son évolution, de formuler
des lois pour gérer les crises découlant
de la complexité croissante du psychisme des membres
d’un groupe social. Exprimé sous forme de mythe
que l’on retrouve dans toutes les sociétés
humaines, ces histoires racontées sous la forme «
ça s’est passé, ça pourrait se
reproduire, il ne faut pas que ça se reproduise »
auraient pu favoriser l’émergence de la complexité
narrative propre à notre espèce.
Mais peu importe les mécanismes par lesquels le langage
s’est constitué, une autre question hante les
linguistes depuis fort longtemps : celle de savoir si
le langage a été inventé une seule ou
plusieurs fois… |