Capsule outil: L'expérience de " sortie du corps " et de " mort imminente " Il n'est pas rare que l'on entende des histoires rapportant des expériences humaines exceptionnelles. Certaines, comme les expériences mystiques (voir capsule outil ci-bas), sont vécues comme des rencontres avec Dieu. D'autres suggèrent qu'il serait possible de sortir de notre point de vue habituel sur le monde, celui de notre corps physique dans le monde réel comme lors de rêves lucides, d'expériences de " sortie du corps " ou de " mort imminente ". Il arrive fréquemment que ces manifestations exceptionnelles soient brandies comme des preuves de l'existence des phénomènes paranormaux, d'une âme immatérielle ou même de Dieu. Mais comme nous le verrons, à ces explications surnaturelles s'opposent de nombreuses hypothèses naturelles qui demeurent dans le cadre matérialiste que propose la science contemporaine. Parmi ces hypothèses, certaines tendent à ramener ces manifestations exceptionnelles à de simples effets subjectifs d'états cérébraux particuliers liés, par exemple, à des substances psychogènes, au manque de sommeil, ou encore à des états pathologiques, comme des crises d'épilepsie. En les réduisant ainsi à des phénomènes déjà connus, on ne voit pas trop ce que leur étude pourrait nous apporter de plus. Mais certains scientifiques, tout en reconnaissant que ces phénomènes ne peuvent provenir que d'une forme d'activité cérébrale singulière, pensent qu'ils sont néanmoins susceptibles d'apporter des éléments de compréhension au phénomène de la conscience humaine ou de ce que l'on appelle les " théorie du soi " (voir capsule outil ci-bas). C'est dans cette optique que nous allons survoler ici deux de ces expériences humaines exceptionnelles : l'expérience de " sortie du corps " et celle de " mort imminente ".
Bien que souvent mis dans le même sac, l'expérience de sortie du corps et de mort imminente diffèrent. L'impression de sortir de son corps peut être une composante des multiples sensations d'une expérience de mort imminente. Ceci dit, plusieurs personnes ont expérimenté l'impression de sortir de leur corps dans des circonstances qui n'ont rien à voir avec la mort. Dans l'expérience de " sortie du corps ", aussi appelée décorporation, ou encore " voyage astral " (" out-of-body experience ", en anglais), la personne a la sensation de flotter dans les airs et de voir son propre corps de l'extérieur, souvent d'un point de vue surélevé comme celui du plafond par exemple. On a donc ici au moins trois caractéristiques distinctes qui peuvent être identifiées : 1) l'impression d'être désincarné, c'est-à-dire que de son "soi" est situé à l'extérieur de son propre corps; 2) celle de voir le monde d'un point de vue extérieur, souvent surélevé; et 3) celle de voir également son propre corps de cette perspective extérieure.
Les gens qui l'expérimentent affirment que le monde leur semble alors tout à fait normal, ou même " plus vrai que vrai ", et qu'ils n'ont pas du tout le sentiment d'être dans un rêve. Plusieurs expériences de sortie du corps ont d'ailleurs lieu alors que la personne est éveillée, et infirment donc l'idée qu'ils ne seraient que de simples rêves. Il ne semble pas y avoir non plus de corrélation avec l'âge, le sexe, le niveau d'éducation ou la religion, mais les gens qui en vivent souvent sont plus facilement hypnotisables, se souviennent mieux de leurs rêves et ont plus souvent des rêves lucides (voir capsule outil ci-bas). Les recherches confirment aussi que les personnes qui ont vécu des expériences de sortie du corps obtiennent de meilleurs résultats aux tests d'imagerie spatiale et de changement de point de vue mental. Il n'y a pas non plus d'indices pointant vers une association avec une psychopathologie quelconque. Et même si les expérience de sortie du corps peuvent parfois susciter la peur, elles laissent généralement à ceux qui les vivent un sentiment positif et moins d'anxiété face à leur propre mort. Les expériences de sortie du corps ne sont pas faciles à induire. La relaxation et des exercices d'imagerie sont des conditions favorables, de même que le prise de certaines drogues, particulièrement le LSD, la psilocybine, la mescaline ou la kétamine. Les expériences de sortie du corps semblent survenir quand l'intégration des inputs sensoriels avec l'image mentale de son propre corps est perturbé. En effet, le traitement de la vision, de l'audition ou du toucher s'effectue dans les cortex primaires respectifs, mais sont ensuite intégrés dans certaines régions communes pour nous donner le sentiment global de nos perceptions. Un chien est par exemple reconnu plus rapidement si son image est accompagnée du bruit de son jappement. De l'information de la position du corps dans l'espace et des sensations affectives viscérales convergent également dans ces régions multisensorielles. Or il semblerait que le sentiment d'intégrité du " soi " associé à notre corps puisse facilement être dupé si l'activité électrique de ces régions multisensorielles est perturbée. En réponse à cette perturbation, notre système cognitif tenterait de compenser en construisant une autre image corporelle dans un monde plausible basé sur nos souvenirs et notre imagination.
Près d'un demi siècle plus tard, en 2002, avec des électrodes plus fines et donc une plus grande précision, le neurochirurgien suisse Olaf Blanke a déclenché une impression similaire chez une patiente épileptique de 43 ans en stimulant son gyrus angulaire droit. Dans le but d'identifier le foyer épileptique à l'origine de ses crises, des électrodes avaient été implantées directement sur son hémisphère cérébral droit. Lorsque Blanke fit passer du courant dans l'électrode située sur son gyrus angulaire droit, la femme eut d'abord l'impression de s'enfoncer dans son lit ou de tomber de haut. Puis, après avoir augmenté l'intensité de la stimulation, elle déclara se voir de haut, étendue sur le lit, mais n'être capable de voir que ses jambes et son tronc.
Pour Blanke, cette sensation serait liée à un trouble de la perception résultant d'un conflit entre le cortex visuel, informant que le corps est couché sur un lit, et le cortex vestibulaire proche du gyrus angulaire indiquant un mouvement du corps vers le haut. Autrement dit, ces chercheurs font l'hypothèse que la stimulation électrique empêche une intégration correcte de l'information somatosensorielle et vestibulaire, ce qui déclenche l'étrange sensation décrite par la patiente. Fait intéressant, Blanke ne provoqua pas la même sensation chez une autre patiente, âgée de 22 ans celle-là, lors qu'il l'examina en 2006 en vue d'une procédure chirurgicale destinée à la soulager de ses crises d'épilepsie. Cette fois-ci, c'est le gyrus angulaire gauche que Blanke put stimuler électriquement. La jeune femme eut alors une vive sensation que quelqu'un était tout près, juste derrière elle sur sa droite. La sensation semblait si réelle que la patiente se retourna pour voir s'il n'y avait pas réellement quelqu'un derrière elle. De plus, fait remarquable, ce double illusoire changeait de position pour suivre celle de la patiente, exactement comme si c'était son ombre.
Ce qu'il y a de remarquable également, c'est qu'un phénomène subjectif aussi complexe semble être associé au dysfonctionnement du traitement multisensoriel du corps et du " soi " associé à cette région corticale particulière du gyrus angulaire gauche. Dans ce cas-ci, c'est la stimulation électrique qui provoquait ce dysfonctionnement, mais l'on peut faire l'hypothèse que la même région cérébrale connaît des ratés chez les schizophrènes ou même temporairement chez les sujets normaux qui peuvent expérimenter ce type de dédoublement. Le même genre de stimulation avec une électrode implantée sur la région temporopariétale droite du cortex a pu être réalisé par le neurochirurgien belge Dirk De Ridder et son équipe. L'étude publiée en 2007 rapporte que l'électrode avait été implantée sur le cortex d'un patient souffrant d'acouphènes (bourdonnement d'oreilles sans source sonore extérieure). Mais au lieu de soulager ses acouphènes, la stimulation électrique provoqua de manière répétitive chez le patient une expérience qu'il décrivait comme une sortie de son propre corps. Le sentiment de décorporation décrit par le patient était toujours le même : il se sentait à environ un demi mètre derrière lui sur sa gauche. Contrairement à la patiente de 22 ans de Blanke, c'est bien son propre corps qu'il sentait derrière lui, et non pas une présence étrangère. Comme elle cependant, la sensation reflétait la position de son corps : couché sous lui s'il était couché, debout derrière lui s'il était debout. Par ailleurs, ce patient n'a jamais eu la sensation d'observer son véritable corps du point de vue de ce corps imaginé. Au contraire, durant chaque stimulation, il avait l'impression de percevoir visuellement le monde comme d'habitude du point de vue de son corps réel, mais en même temps il avait cette sensation que son corps était situé derrière lui. Le patient ne vivait donc qu'une composante partielle de la " sortie du corps " classique qui s'accompagne normalement de d'un changement de point de vue au profit du corps imaginé et souvent surélevé. Le PET scan durant ces stimulations a révélé deux régions temporopariétales où l'activité augmentait : à l'intersection du gyrus angulaire et du gyrus supramarginal, et à l'arrière du cortex temporal supérieur. La première région est associée à l'intégration multisensorielle permettant au corps de s'orienter dans l'espace, tandis que la seconde est reconnue comme étant essentielle à la formation d'une carte de la perception de soi, un ingrédient essentiel à la conscience de soi. Ces résultats sont aussi intéressants à plusieurs titres. D'abord à cause du grand recoupement anatomique des structures impliquées par rapport aux études similaires, notamment celles de Blanke. Ensuite parce que d'autres recherches sur la proprioception ont démontré que la stimulation des récepteurs proprioceptifs dans les muscles peut donner des illusions semblables. Celle par exemple d'avoir un membre dans une position impossible, comme le bras plié par en arrière au niveau du coude. À un autre niveau, ces résultats sont riches parce qu'ils montrent que notre sentiment d'être nous-même, notre " soi ", n'est pas seulement relié à nos habiletés cognitives et à nos émotions, mais également à notre sens de l'espace. Dans le cas de l'expérience de De Ridder en particulier, toutes les composantes n'étaient pas réunies pour parler d'une véritable expérience de " sortie du corps ", mais il s'agissait à n'en pas douter d'une expérience perceptuelle atypique et révélatrice des effets du dysfonctionnement de la région temporopariétale de notre cerveau.
Source : Dirk De Ridder et al., http://content.nejm.org/cgi/content/full/357/18/1829 Sur la partie A de la figure, les carrés représentent la position des électrodes sur la région temporopariétale de l'hémisphère droit. Les carrés bleus représentent les électrodes inactives et les carrés verts les électrodes actives durant l'effet ressenti par le patient. Les zones en jaune illustrent l'activité cérébrale maximale enregistrée par le PET scan durant l'expérience (la jonction du gyrus angulaire et du gyrus supramarginal dans le cas de la flèche). La partie B montre l'électrode de stimulation utilisée.
Par ailleurs, le neurologue Kevin Nelson et ses collègues ont publié, toujours en 2007, une étude démontrant que les expériences de sortie du corps et de mort imminente sont plus susceptibles de survenir chez les personnes qui vivent des expériences inhabituelles à l'endormissement ou à l'éveil. Ces personnes semblent avoir un système de l'éveil prédisposé à la fois à l'intrusion soudaine de sommeil paradoxal (paralysie du sommeil), et à la fois aux expériences de sortie du corps. Par exemple, un sondage auprès de 264 personnes ayant expérimenté des paralysies du sommeil rapportait que 28 d'entre elles (11 %) avaient vécu une forme d'expérience de sortie du corps durant ces paralysies. Nelson suggère donc qu'une activité particulière dans le système d'éveil du cerveau, qui règle nos différents états de conscience incluant le sommeil paradoxal et l'éveil, pourrait être à l'origine de ces impressions de sortie du corps. Des hallucinations et des associations libres sont très fréquentes durant la période où l'on s'endort et celle où l'on se réveille. De nombreux artistes ou visionnaires tout au long de l'histoire ont d'ailleurs trouvé diverses sources d'inspiration dans ces phases de sommeil atypiques.
Au fil du temps et à travers différentes cultures, les personnes qui ont frôlé la mort décrivent souvent leur expérience de manière similaire. On parle d'un long tunnel, de lumière vive, d'expérience de sortie du corps, d'un sentiment d'émotions positives et même d'amour, de la vision d'un autre monde où l'on rencontre des proches décédés, de l'impression de revoir l'ensemble de sa vie et, finalement, de la décision de revenir à la vie. Les expériences de " mort imminente " (" Near Death Experience " ou NDE, en anglais) peuvent difficilement être attribuées aux médicaments fréquemment administrés aux patients sur le point de mourir puisqu'elles tendent alors à être moins complexes que sans médication. De plus, elles surviennent également chez des gens qui ont soudainement l'impression qu'ils vont mourir, comme les alpinistes qui sortent indemnes de chutes importantes.
Ceci dit, on sait peu de chose sur les conditions physiologiques à l'uvre durant une NDE. Nous ne savons pas encore, par exemple, si les expériences de mort imminente surviennent juste avant, pendant, ou juste après un arrêt cardiaque. Il est même envisageable qu'elles se vivent au fond durant le processus où la personne essaie de décrire son expérience à quelqu'un d'autre. L'explication physiologique naturaliste (ou matérialiste au sens philosophique, c'est-à-dire qui exclut l'existence possible d'une âme, d'un esprit ou d'un corps astral) de l'expérience de mort imminente est " l'hypothèse du cerveau mourant " (" dying brain hypothesis ", en anglais). Un stress sévère, une peur extrême et une anoxie cérébrale transitoire pourraient être à l'origine d'une désinhibition corticale et d'une activité cérébrale incontrôlée à l'origine des impressions vécues lors d'une expérience de mort imminente. Ainsi, l'impression d'être dans un tunnel et de voir une grande lumière est fréquemment causée, dans d'autres circonstances, par la désinhibition du cortex visuel. Les expériences de sortie du corps et l'impression de revivre sa vie peuvent quant à elles être induites par des stimulations du lobe temporal, comme on l'a vu plus haut avec les expériences de Banke et De Ridder. L'émotion positive et l'absence de douleur sont souvent attribuées à l'action des endorphines et des encéphalines, ces opiacés endogènes largement distribués dans le système limbique lors d'une situation stressante. La vision d'un autre monde et les rencontres avec des " êtres spirituels " reflètent quant à eux bien souvent la culture de celui qui décrit cet autre monde. Par exemple, les chrétiens rapportent avoir vu Jésus Christ, des anges et la porte du paradis, tandis que les Hindous sont plus susceptibles de rencontrer le roi des morts et ses messagers, les Yamdoots. L'expérience hallucinatoire liée à la privation d'oxygène au cerveau durant un arrêt cardiaque par exemple semble donc, lorsque remémorée, passer à travers le filtre de notre conscience. Ces moments singuliers et euphorisants seraient alors interprétés selon les référents culturels et religieux de chaque individu. Pour en revenir à l'étude de Van Lommel, celui-ci conclut que les NDE de ses patients ont été vécues durant une perte fonctionnelle transitoire de toutes les fonctions corticales qu'il associe à un l'électroencéphalogramme plat. Et malgré cela, ses patients auraient eu, durant leur NDE, une conscience claire durant laquelle le fonctionnement cognitif, l'émotion, le sens de l'identité et les souvenirs de la petite enfance auraient été possibles. Voilà qui est pour le moins problématique considérant le rôle du cortex dans les processus conscients. Et qui en amènent certains à rechercher des explications en dehors des phénomènes naturels. Mais plusieurs ont fait remarquer que le postulat d'une absence d'activité corticale durant les NDE pourrait être tout simplement erroné. En effet, les techniques d'électroencéphalographie classiques ne permettent la détection d'activité que dans la moitié le plus en surface du cortex. Une activité dans les replis corticaux plus en profondeur ainsi que dans d'autres structures sous-corticales demeure toujours possible durant les NDE, rendant ainsi possible les impressions rapportées. Quant aux patients aux EEG plats qui auraient fait des expériences
de sortie du corps leur ayant permis d'entendre ou de voir des événements
impossible à entendre ou à voir par leur corps " mort "
(le cas célèbre de Pamela Reynolds, par exemple), des explications
autre que surnaturelles ont été proposées. Il est par exemple
plausible qu'une activité cérébrale suffisante permette à
ces personnes inconscientes d'enregistrer des bribes de stimuli sensoriels pouvant
par la suite être intégrés à leur connaissance des
circonstances entourant leur NDE. Ces personnes pourraient alors construire un
témoignage a priori étonnant pour quelqu'un de supposément
mort cliniquement. Si cette hypothèse peut être considéré
comme peu probable par certains, reste que le fardeau de la preuve des hypothèses
surnaturelles concurrentes est si lourd qu'il les rend à tout le moins
aussi improbables.
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