Capsule outil: Les fonctions possibles
du sommeil Comme nous passons le tiers de notre vie
à dormir, il ne fait pas de doute que le sommeil nous est nécessaire.
De même, si on nous prive de sommeil durant une nuit, on aura tendance à
"reprendre" ce sommeil perdu la nuit suivante, ce qui laisse entrevoir
l’importance fondamentale du sommeil pour l'organisme. Du point de vue évolutif
aussi, cette fonction a été universellement conservée tant
chez les oiseaux que chez les mammifères. Or étonnamment, les scientifiques
ne savent pas encore exactement pourquoi l’on dort. En dépit
de ces indices d’une grande importance fonctionnelle pour le sommeil, il
n’y a pas de consensus sur ce qui fait précisément son importance.
Plusieurs théories ont été avancées, qui ne sont d’ailleurs
pas toutes mutuellement exclusives, mais elles ont toutes montré leurs
limites ou ont été contredites par d’autres résultats
expérimentaux. Les théories de récupération
et les théories d’adaptation regroupent les idées
les plus couramment acceptées. La première catégorie
relève du bon sens : à la fin d’une journée on
est fatigué et le lendemain matin, on a récupéré.
Autrement dit, comme pour la faim et la soif, la fatigue mentale et physique entraîne
une réponse homéostasique, le sommeil, qui restaure un équilibre
dans le système nerveux central. Des expériences ont par exemple
démontré que plus un animal faisait d’exercice durant la journée,
plus ses périodes de sommeil lent s’allongeaient. Reste
à savoir à quel niveau du système nerveux central s'effectue
cette restauration. Et s’il s’agit davantage de synthèse ou
d’élimination de molécules. Du côté de la synthèse,
il ne semble pas que le sommeil soit une période de reconstitution de quelque
tissu de l’organisme. Toutefois, la baisse d’adénosine
observée durant le sommeil et son accumulation durant la journée
a inspiré une « théorie protectrice » du sommeil.
Celle-ci représente l'autre aspect de la théorie restauratrice :
nous dormirions surtout pour protéger l'organisme des inconvénients
de l'éveil prolongé. Toujours dans une perspective de
récupération, certains ont proposé que le sommeil permettrait
d'économiser de l'énergie. La logique est la suivante : s'il
a existé des animaux perpétuellement éveillés, ils
auraient eu besoin de consommer plus de nourriture que ceux qui pouvaient dormir
(ou hiberner), et la sélection Darwinienne aurait favorisé les dormeurs.
Car on sait que le sommeil à ondes lentes s'accompagne d'une diminution
de la consommation de glucose et d'oxygène, aussi bien au niveau cérébral
qu'au niveau de l'organisme. Cette hypothèse se heurte cependant
la contradiction suivante : les animaux qui hibernent sortent périodiquement
de leur hibernation pour dormir. Ce faisant, ils haussent leur température
de quelques degrés à environ 38 degrés Celcius. Étant
donné l'absence quasi totale de dépense d'énergie durant
l’hibernation, on comprend mal comment le sommeil viendrait ici faire conserver
de l'énergie. On peut aussi opposer à toutes ces théories
de récupération que le sommeil est plus que du repos. Restez allongé
sans dormir toute une nuit et vous n’aurez aucune difficulté à
admettre que vous n’êtes pas aussi bien reposé que si vous
aviez dormi ! L’autre grand groupe de théories sur le
rôle du sommeil met plutôt l’accent sur sa valeur adaptative.
Les animaux en seraient ainsi venus à dormir pour se protéger des
dangers de la nuit. L’absence de lumière et les températures
plus basses rendent l’existence de nombreux animaux plus périlleuse
et il serait plus stratégique pour bon nombre d’entre eux de rester
cacher sans bouger durant la nuit. Le sommeil ne serait alors que la condition
la plus adaptée à cet isolement qui permettrait, de plus, de se
mettre en mode d’économie d’énergie. Reste cependant
à expliquer pourquoi les animaux nocturnes bien adaptés aux conditions
de la nuit ont également besoin de dormir. L’idée
que le sommeil, et plus spécifiquement le sommeil paradoxal, pourrait contribuer
à la maturation du système nerveux est aussi très répandue.
Cette idée est bien supportée par la forte corrélation entre
le temps de sommeil paradoxal et l’immaturité des individus d’une
espèce à leur naissance. L’intense activité nerveuse
du sommeil paradoxal jouerait un rôle déterminant dans la maturation
du système nerveux central à une période où le cerveau
manque de stimulations externes. Cette thèse n’explique cependant
pas pourquoi le sommeil paradoxal persiste chez l'adulte. Le lien entre
sommeil, apprentissage et mémorisation, très étudié
lui aussi, n’en demeure pas moins ambigu. Le sommeil a d’une part
une importance certaine pour l’acquisition optimale de nouvelles tâches.
Plusieurs études suggèrent par exemple que lorsqu’on perturbe
le sommeil paradoxal de sujets, certains apprentissages se font plus lentement.
Le sommeil paradoxal semble particulièrement important pour l’acquisition
de capacités visuelles et motrices. Quand un sportif apprend une nouvelle
séquence de mouvements, par exemple un service au tennis, la durée
du sommeil paradoxal augmente notablement pendant la nuit suivante. Si on le réveille
systématiquement pendant son sommeil paradoxal, on empêche le stockage
du nouveau savoir-faire de façon beaucoup plus efficace que lorsqu’on
perturbe seulement les phases de sommeil lent en dehors des phases de sommeil
paradoxal. D’autre part, il est clair que l’on peut apprendre
et réussir à mémoriser sans sommeil paradoxal. Un argument
de taille va ici à l’encontre du rôle prédominant des
phases de sommeil paradoxal dans la formation des souvenirs : les personnes
qui ont pris pendant des années des médicaments supprimant le sommeil
paradoxal n’ont pas vu leur capacité de mémorisation perturbée
Un autre débat sur le rôle du sommeil dans l’apprentissage
concerne le type de sommeil, lent ou paradoxal, qui y participerait. Car si certaines
tâches semblent être consolidées davantage par le sommeil paradoxal
chez l’humain, d’autres, comme l’orientation spatiale, semblent
être davantage consolidées par le sommeil lent. Plusieurs
pensent donc que les deux types de sommeil pourraient contribuer à la mémoire
de façon complémentaire et que c’est leur enchaînement
au cours d’une nuit de sommeil qui permet de trier correctement les informations
accumulées durant la journée. Les longues périodes de sommeil
lent en début de nuit pourraient par exemple produire une amplification
de la trace mnésique, alors que les épisodes plus bref mais intenses
de sommeil paradoxal pourraient déclencher l’expression de gènes
nécessaires au stockage de ce qui a été traité durant
le sommeil lent. L’abondance de théories concernant le rôle
du sommeil suggère donc qu’il pourrait avoir plusieurs fonctions
mutuellement non exclusives. Le sommeil pourrait également servir différentes
fonctions selon les différents âges de la vie. Chez l’enfant
qui rêve beaucoup, l’hypothèse de la mise en place des circuits
neuronaux semble assez plausible. Chez l’adulte, le sommeil pourrait contribuer
par la suite à la sélection et la mise en mémoire à
long terme de l’information pertinente apprise durant la journée.
Finalement, on ne peut exclure un rôle du sommeil dans une fonction cellulaire
encore inconnue et qui serait à la base à la fois des processus
de maturation chez le jeune, de régulation de température ou de
fonctions cognitives supérieures comme la mémoire chez l’adulte.
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