Capsule histoire : La découverte
des premiers gènes de l’horloge biologique chez la mouche L’étude
de nos rythmes endogènes doit beaucoup aux mouches drosophiles (ou mouches
du vinaigre). C’est en effet chez cet insecte qu’ont été
découverts les premiers gènes impliqués dans le fonctionnement
de notre horloge biologique. L’avantage des mouches pour faire de
la recherche en génétique, c’est qu’elles sont petites,
se reproduisent rapidement, et que l’on peut donc les faire se reproduire
par milliers en laboratoire jusqu’à ce que des mutations intéressantes
surviennent. C’est ce qu’ont fait Ron Konopka et Seymour Benzer
au début des années 1970. Après avoir administré une
substance mutagène à leurs mouches, Konopka et Benzer ont examiné
l’activité de 2000 de leurs descendants. La plupart de ceux-ci avaient
un cycle circadien normal de 24 heures, soit environ 12 heures d’activité
et 12 heures de repos. Mais trois mouches mutantes avaient des cycles très
différents : l’une d’elles avait un cycle de 19 heures,
une autre de 28 heures, et une troisième n’avait apparemment pas
de rythme circadien, s’activant et se reposant apparemment de manière
aléatoire. Ce n’est qu’une dizaine d’années
plus tard, au milieu des années 1980, que des recherches menées
dans d’autres laboratoires permirent de conclurent que ces trois mutations
affectaient un même gène que l’on appela per
(pour « period », en anglais). Ce gène, situé
sur le chromosome X, servait à fabriquer une protéine nucléaire
qui se retrouve chez la drosophile dans beaucoup de cellules intervenant dans
l’expression du rythme circadien. Le gène per semblait donc
non seulement jouer un rôle dans le rythme circadien, mais il semblait en
quelque sorte en déterminer la durée. En 1990, Michael Rosbash
et son équipe démontrent que les mouches normales présentent
une variation circadienne de l’ARN messager per et de la protéine
PER, tandis que les mouches mutantes dépourvues de rythme circadien ne
manifestaient pas cette périodicité de 24 heures de l’expression
du gène. À la même époque, soit près
de 20 ans après la découverte du gène per, un second
gène aux propriétés semblables est identifié par Michael
Young, sur le chromosome 2 cette fois. Il reçoit le nom de tim,
pour « timeless » en anglais, puisque les mouches ayant
ce gène muté ne présentaient plus de cycles circadiens. Au
milieu des années 1990, on s’aperçu que les protéines
PER et TIM produites par ces gènes avaient la propriété de
se lier l’une à l’autre. Les travaux de Rosbash et Young permirent
de mettre en évidence une boucle de rétroaction très sophistiquée
impliquant ces deux gènes, boucle dont un cycle complet dure 24 heures.
On peut schématiser cette boucle de rétroaction en disant
que les gènes per et tim sont actifs jusqu’à
ce que la concentration de leur protéine dans le cytoplasme devienne suffisamment
élevée pour que celles-ci puissent s’associer. Cette association
permet aux protéines d’entrer dans le noyau de la cellule et de faire
cesser leur propre production par les gènes per et tim.
Après quelques heures, des enzymes dégradent les protéines
entrées dans le noyau, ce qui permet aux gènes de reprendre leur
activité, et le cycle s’enclenche une fois de plus. Mais
qu’est-ce qui active initialement les gènes per et tim
? En 1997, Joseph Takahashi et son équipe apportent une partie de
la réponse en découvrant le gène Clock chez
la souris. Ce gène, dont la mutation homozygote entraîne en quelques
semaines la perte du rythme circadien, permet de fabriquer un facteur de transcription,
c’est-à-dire une protéine capable de se fixer sur un bout
d’ADN pour en fabriquer des copies en ARN messagers. Chez la souris, ce
sont les gènes per qui sont la cible de cette protéine
Clock et qui sont donc activés par elle. Chez la mouche, c’est à
la fois le gène per et tim. Rosbash et ses
collègues ont aussi trouvé un gène qu’ils ont appelé
cycle et dont la protéine se lie à la protéine CLOCK
pour activer les gènes per et tim. Puis, en 1998,
c’est au tour de la protéine Doubletime d’être
mise en évidence. Il s’agit d’une kinase, c’est-à-dire
une protéine qui, par une réaction de phosphorylation, peut ajouter
un groupement phosphate sur d’autres protéines. En l’occurrence,
elle phosphoryle la protéine PER, que ce changement de structure rend instable
et incapable d’entrer dans le noyau pour inhiber sa propre production. D’autre
part, on a découvert que le niveau de la protéine TIM était
directement affecté par l’intensité lumineuse via une protéine
appelée CRY. Cette protéine appartient à
la famille des cryptochromes, molécules initialement décrites comme
des récepteurs de la lumière. Chez la drosophile, CRY, en réponse
à la lumière, interagit avec TIM et cause sa dégradation,
ce qui l’empêche de former un complexe avec PER. Encore ici, il y
a un effet global activateur des gènes PER et TIM par diminution de l'inhibition. Doubletime
et CRY agissent donc toutes deux en modifiant la disponibilité de deux
des protéines centrales de l’horloge. Notons que CRY a été
décrite ci-dessus comme s’associant à TIM. C’est certes
le cas chez la drosophile. Mais chez la souris, CRY se lie à PER, pour
donner un complexe PER-CRY fonctionnellement analogue au complexe PER-TIM de la
drosophile. En d’autres termes, selon que l’on étudie la drosophile
ou la souris, CRY assume deux fonctions quasiment opposées : activateur
indirect de la transcription du gène per chez la première
ou inhibiteur du même gène chez la seconde ! Problème inhérent
à la comparaison de résultats entre systèmes d’études
différents…
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