(le « de » en avant, c’est parce que ça fait plus philosophique…)

 

Durant la demi-heure qui suit, je vais donc vous parler du cerveau et de quelques concepts utiles pour comprendre un peu mieux son fonctionnement.

 

L’une des choses qui nous vient immédiatement à l’esprit quand on parle du cerveau, c’est qu’on n’utiliserait qu’environ 10% de ses capacités. Vous avez sûrement déjà entendu ça ? La grande question que j’aimerais vous poser ce soir est la suivante : pensez-vous que cette « règle du 10% » s’applique aussi au cerveau des philosophes ?

 

Est-ce qu’il y en a qui pensent que les philosophes doivent bien en utiliser au moins 50% de leur cerveau ? Y’en as-tu qui monterait jusqu’à 90% ? Des abstentions ?

 

J’avoue que la question était un peu piégée et montre que le mythe du 10% est très tenace. J’ai bien dit le mythe, parce qu’affirmer qu’on n’utilise que 10, 50 ou même 90 % de notre cerveau n’a pas plus de sens pour un neurobiologiste que de dire que la terre est plate ou que Georges W. Bush veut le bien du peuple irakien…

 

Or le fait que ce mythe a pu être intériorisé par une grande partie de la population est un exemple de ce que j’appellerais avec un tantinet de provocation : « l’analphabétisme neurobiologique ».

 

Dans cet esprit, le véritable titre de ma présentation serait plutôt :

 

 

Je ne suis pas sûr que l’on puisse donner une définition objective et opérationnelle de « l’analphabétisme neurobiologique », mais en gros ce serait par exemple de ne pas savoir distinguer le tronc cérébral du cortex ou de ne pas avoir la moindre image mentale qui surgit lorsqu’on entend les mots neurone, synapse ou neurotransmetteur, mots qui sont l’équivalent de maison, table ou chaise pour la personne le moindrement neurobiologiquement lettrée !

 

Comment alors essayer de comprendre comment on voit le monde, comment on en prend conscience et comment on s’en souvient quand l’explication neurobiologique la plus simple que l’on peut imaginer va forcément faire appel à cet alphabet de base qui nous est peu familier ?

 

Une des raisons qui explique cette négligence, c’est, je crois, que les gens ne s’imaginent pas tous ce que les sciences cognitives, et en particuliers les neurosciences, ont accumulé comme savoir sur le cerveau depuis les dernières décennies, même si c’est encore très peu devant la complexité de l’objet en question.

 

Ce que je voudrais donc faire avec vous durant le demi-heure qui vient, c’est d’essayer de vous présenter quelques uns de ces concepts neurobiologiques qui sont aussi certains que la terre est ronde… Pour m’aider, je vais utiliser le site web que je rédige maintenant depuis 4 ans et qui s’appelle :

 

 

dont l’adresse est indiquée ici, ainsi que sur les dépliants que vous pourrez prendre là-bas si vous voulez y retourner après la présentation, ce que je vous encourage évidemment à faire.  Parce que en une demie-heure, vous vous doutez bien que je ne pourrai qu’effleurer le sujet, mais j’espère que ça vous donnera le goût de retourner lire sur le site pour en savoir plus.

 

On va donc aller ici sur le vrai site ici :

 

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https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/index_i.html 

 

Comme vous le voyez, le site est subdivisé en 12 grands thèmes qui couvrent à peu près tous les aspects des comportements humains : mémoire, plaisir, douleur, émotions, etc.  

 

Voilà donc une première chose sur laquelle j’aimerais attirer votre attention : l’incroyable diversité et dextérité des comportements humains, tous issus des commande de notre système nerveux central.

 

Prenons le seul fait de marcher par exemple : avez-vous déjà vu les robots qui essaient de marcher ? C’est assez catastrophique. On est pas mal loin de La La La Human Step... Ça n’a rien à voir avec la souplesse et la précision du geste humain.

 

C’est vrai que certaines fonctions qui font appel à des opérations logiques ont été égalées et même dépassées par les ordinateurs et leur vitesse de calcul devenue  très grande, mais il y a énormément de choses que l’on fait sans même en avoir conscience et qui tienne du miracle technologique encore jamais égalé.

 

Par exemple, en ce moment même, vous êtes en train de me regarder

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_02/a_02_cr/a_02_cr_vis/a_02_cr_vis.html#2

 

Les cellules de la rétine de vos yeux captent donc différentes intensités lumineuses qu’elles transmettent sous forme d’influx nerveux à certains relais qui vont vous permettre par exemple de me suivre des yeux, ou encore d’envoyer ces signaux tout en arrière du cerveau, au cortex visuel qui va décoder l’information et vous faire prendre conscience de la scène visuelle.

 

Vous êtes aussi en train de m’écouter,

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_10/d_10_cr/d_10_cr_lan/d_10_cr_lan.html#2

 

c’est-à-dire que votre cerveau décode les vibrations aériennes produites par ma voix que votre oreille interne traduit en impulsions nerveuse, impulsions qui parviennent d’abord à une région cérébrale impliquée dans la compréhension du discours. Si vous voulez ensuite poser une question sur ce que vous venez d’entendre, vous devrez solliciter une autre aire corticale plus frontale impliquée dans la production du langage ici, et ensuite l’aire motrice qui va éventuellement faire se contracter vos muscles respiratoires et vos cordes vocales pour poser votre question. Je vous invite d’ailleurs à activer ces aires de la parole dans la deuxième demi-heure consacrée à un échange avec vous.

 

Peut-être aussi la compréhension de mes propos activera-t-elle une petite structure appelée amygdale cérébrale

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_04/d_04_cr/d_04_cr_peu/d_04_cr_peu.htm

 

que l’on voit ici en rouge

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_04/a_04_cr/a_04_cr_peu/a_04_cr_peu.htm

 

ou encore ici, et qui vous fera, en tant que philosophe, me percevoir comme une menace sur votre territoire intellectuel. Votre cerveau ne fera alors pas de  différence entre un mammouth de l’époque de l’âge de pierre et ma chétive personne et commandera rapidement, par l’entremise d’autres structures cérébrales, une réponse émotionnelle accompagnée de changements hormonaux dans tout votre corps pour fuir ou lutter contre cette source d’agression. J’espère juste que vous allez réussir à inhiber votre action juste assez pour me laisser finir mon speech, mais pas plus longtemps car on va voir que ce n’est pas bon pour la santé de rester longtemps dans un état d’inhibition de l’action…

 

On va donc choisir le premier thème ici qui donne un aperçu général de l’anatomie du cerveau,

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_cr/d_01_cr_ana/d_01_cr_ana.html

 

 pour mentionner au passage une particularité de ce site web qui est de s’adapter au niveau de connaissance de son utilisateur grâce à la boîte des niveaux d’explication ici. Tous les sujets traités dans le site sont donc toujours expliquées trois fois : d’abord au niveau débutants, puis intermédiaires, puis avancés.

 

Ici on est au niveau débutant, celui qui correspond en gros à notre fameux « analphabétisme neurobiologique », où on se limite à vous présenter quelques concepts simples comme le fait que le cerveau est formé de deux hémisphères qui s’occupent en générale chacun d’un côté du corps (Sauf que le contrôle est croisé : l'hémisphère droit s'occupe du côté gauche du corps et vice versa !)

 

Votre cerveau est donc pas plus gros que ça (mettre mes 2 poings ensemble).

Sa partie extérieure toute plissée, c’est ce qu’on appel le cortex. Si on pouvait déplier le cortex, sa surface serait à peu près grande comme les deux pages d’un journal. (sortir le Couac) Alors si je prends un journal quelconque, comment je peux faire pour le rentrer dans notre boîte crânienne ? En le repliant sur lui-même, tout simplement… (le chiffonner)

 

Maintenant, vu de côté, un cerveau ça ressemble à peu près à ça : (l’animation et les 4 lobes). On y distingue 4 grands lobes : le lobe frontal qu’on a vu tantôt en parlant de la motricité; le lobe pariétal impliqué entre autre dans le toucher ou la douleur; le lobe temporal, fortement impliqué par exemple dans la mémoire; et le lobe occipital, impliqué comme on l’a vu dans la vision.

 

Ce qui m’amène à introduire un premier concept neurobiologique utiles pour les philosophes qui causent ontologie, à savoir que :

 

 

 

C’est-à-dire que pour exécuter ses nombreuses fonctions, le cerveau possède  différentes structures bien distinctes et reliées entre elles.

 

Pour élaborer un peu là-dessus, on va maintenant passer au niveau intermédiaire où se trouve un schéma d’une coupe sagittale de cerveau

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_01/i_01_cr/i_01_cr_ana/i_01_cr_ana.html

 

On voit donc que, même au niveau macroscopique, le cerveau possède de nombreuse structures (qui viennent pour la plupart par paires…) aux noms et aux formes aussi bizarre que : (cliquer sur chacune)

 

Le thalamus, l’hypothalamus, le cortex (que l’on a vu tout à l’heure), le corps calleux, le cervelet ou le tronc cérébral.

 

La moelle épinière, qui est coupée ici, est cette partie du système nerveux central qui descend au centre de votre moelle épinière et d’où partent les nerfs sensoriels et moteurs. Donc le corps et le cerveau sont intimement reliés. Mais ça on y reviendra…

 

Donc, comme un enfant de 4 ans sait distinguer les différentes parties du corps (bras, coude, épaule, etc), l’honnête citoyen « en voie d’être neurobiologiquement lettré » ne devrait pas être surpris de constater, à plus forte raison pour un organe aussi complexe que le cerveau, qu’il est formé de nombreuse structures identifiables…

 

 

Si on va au niveau avancé maintenant, c’est-à-dire en rouge suivant notre code de couleur :

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_01/a_01_cr/a_01_cr_ana/a_01_cr_ana.html

 

On peut voir l’objet en question… La vraie affaire… 

Un cerveau c’est un peu plus de 1 kilogramme, donc environ 2 % du poids du corps, mais environ 20 % de sa consommation de glucose et d’oxygène, et ce à tout moment de la journée, même la nuit.

 

On a donc ici un premier indice de la fausseté du mythe du 10% : si le cerveau déciderait d’utiliser les 90 % restant, il devrait augmenter de 180 % l’énergie nécessaire à son fonctionnement. Je me demande bien où il irait chercher ça…

 

Passons maintenant au :

 

 

C’est-à-dire du milieu du 18e, au milieu du 19e siècle à l’époque de Franz Joseph Gall où l’on pensait comprendre les fonctions du cerveau à partir des bosses sur le crâne, et dont il ne reste rien à part l’expression « avoir la bosse des maths ». Même si, il faut bien le dire quand même, on doit à la phrénologie d’avoir établi le principe que les différentes fonctions cérébrales pouvaient être localisées à différents endroits dans le cerveau.  

 

De nos jours, on dispose de nombreuses techniques d’investigation des fonctions cérébrales, des outils comme l’imagerie cérébrale qui permettent maintenant de voir non seulement à l’intérieur du cerveau, mais de voir le cerveau en train de travailler lorsqu’il exécute différentes tâches.

 

L’imagerie cérébrale, c’est donc, pour le neurobiologiste, l’équivalent du télescope pour Galilée ou du microscope pour Pasteur…

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/experience_jaune04.htm

 

Vous voyez ici, comme le disait un de mes amis, « mon encéphale disponible sur Internet », alors que j’ai participé à une étude de cartographie fonctionnelle il y a quelques années à l’Institut neurologique de Montréal.

 

[Descendre jusqu’aux tâches de main et de verbe]

Les études d’imagerie cérébrale ont entre autre permis de révéler les grandes variations inter-individuelles dans le fonctionnement du cerveau. Ça veut dire que pour une même tâche, différents sujets peuvent solliciter différemment leurs circuits de neurones, en particulier ceux du cortex. (comme on voit ici)

 

On en arrive au troisième concept qui est :

 

 

Autrement dit, ce cerveau a une longue histoire qui permet entre autre de comprendre ses formes bizarres et la position particulière de ses différentes parties les unes par rapport aux autres.

 

Pour comprendre d’où vient notre cerveau

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_05/i_05_cr/i_05_cr_her/i_05_cr_her.html

 

on peut regarder le cerveau des autres espèces animales existantes, qui sont apparues depuis plus longtemps que nous, et voir ce qui a changé. Déjà on voit certaines tendances qui se dessinent, par exemple au niveau de l’augmentation des circonvolutions du cortex qui traduit une plus grande surface corticale.

 

Maintenant, si notre cerveau est construit sur le même modèle que celui des autres animaux, on peut se demander qu’est-ce qui est spécifiquement humain dans le cerveau humain ?

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_05/d_05_cr/d_05_cr_her/d_05_cr_her.html

 

Au début des années 1970, le neurobiologiste américain Paul MacLean propose son fameux modèle du cerveau triunique qui met en évidence la cohabitation à l’intérieur de la boîte crânienne de structures plus ou moins anciennes phylogénétiquement.

 

En gros pour MacLean, le cerveau humain comporterait en fait 3 cerveaux : un cerveau « reptilien », comprenant le tronc cérébral et le cervelet et assurant les fonction physiologique de base comme la respiration, le rythme cardiaque, l’équilibre, etc; un cerveau « limbique » ou mammalien, apparu avec les premiers mammifères et permettant une mémoire détaillée des événements gratifiants et douloureux, donc un affect, des émotions; et finalement un « néocortex » ou simplement cortex, qui est le siège des fonctions humaines dites supérieures comme le langage, le raisonnement logique, la créativité ou la conscience.

 

Si l’on regarde maintenant un peu plus en détail comment a évolué ce cortex,

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_05/i_05_cr/i_05_cr_her/i_05_cr_her.html

 

on observe une importance croissante des aires associatives du rat à l’humain, en passant par le chat. On appelle « aires associatives », toutes les régions qui ne sont ni sensorimotrice (en vert); ni visuelle (en rouge), ni auditive (en bleu).

 

Donc de plus en plus on voit émerger du cortex qui ne fait ni du traitement sensoriel, ni du contrôle moteur, mais du cortex dit « associatif » qui s’émancipe de ces fonctions de base et va pouvoir servir à des fonctions « supérieures » comme le langage et la rationalité si chère aux philosophes.

 

Si l’on regarde maintenant encore plus dans le détail l’évolution de ce cortex,

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_05/a_05_cr/a_05_cr_her/a_05_cr_her.html

 

on peut voir que c’est la région la plus frontale du cortex, qui est dédiée au contrôle moteur volontaire chez les autres espèces, qui connaît le développement le plus spectaculaire lors du passage des grands singes à l’humain. C’est ce cortex préfrontal très développé qui nous confère les capacités d'abstraction, d’imagination et de planification que n'ont pas les autres espèces.

 

Chez les gens qui sont atteint de dépression sévère par exemple, un état qui nous enlève toute initiative, des études d’imagerie cérébrale ont montré non seulement une baisse de l’activité du cortex préfrontal, mais que la sévérité de la dépression était proportionnelle au degré de la baisse d’activité du cortex préfrontal.

 

 

C’est bien beau de parler d’augmentation de la surface corticale mais « kess ça donne ? » Eh bien ça se traduit par une plus grande quantité de cellules nerveuses et donc par une plus grande capacité de traitement de l’information. Parce qu’on ne peut pas parler de traitement de l’information dans le cerveau sans parler de l’élément de base à l’origine de ce traitement, j’ai nommé le neurone. Pour vous en parler, je vais :

 

Et là on va utiliser ici l’autre boîte de navigation qui permet de se promener dans ce site web, c’est-à-dire la boîte des niveaux d’organisation. En cliquant sur le niveau cellulaire, c’est comme si on prenait un microscope et qu’on faisait un espèce de zoom in pour voir comment sont faites les cellules qui constituent notre cerveau,  i.e. les neurones.

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_cl/d_01_cl_ana/d_01_cl_ana.html

 

On voit donc ici un neurone comparé à une cellule quelconque du reste de notre corps. Qu’est-ce qu’on remarque de particulier du côté du neurone ?

D’abord des dendrites (les « cheveux ») et puis l’axone (seul et unique) qui peut être très long. Si l’on prend par exemple un motoneurone d’un muscle du mollet dont le corps cellulaire est dans la moelle épinière, l’axone peut avoir près de 1m de long. Cela veut dire que si corps cellulaire de ce neurone aurait la taille de mon porte-clé ici, son axone aurait à peu près  400 m de long, soit environ 2-3 coins de rue de long…

 

Ce sont les deux particularités importantes des neurones qui les distinguent des autres cellules de notre corps. Mais pourquoi des dendrites et un axone ? (vous vous en doutez sans doute…)

 

 

À date on était dans pas mal juste dans l’anatomie (la forme), maintenant on va aller dans un autre sous-thème explorer la fonction des neurones (comment ça fonctionne)

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_cl/d_01_cl_fon/d_01_cl_fon.html

 

La fonction première des neurones, c’est de communiquer entre eux, de s’échanger de l’information sous forme d’influx nerveux. C’est ce qu’on voit ici : les neurones peuvent s’échanger de l’information en envoyant leur axone faire des connexions avec les dendrites d’un autre neurone.

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_01/i_01_cl/i_01_cl_fon/i_01_cl_fon.html

 

(A) Parfois l’influx nerveux d’un seul neurone n’est pas assez fort pour se propager dans un autre neurone et ça lui prend l’aide d’un camarade (B) : mais à deux, il réussissent à faire passer l’influx nerveux ! On voit donc ici comment (non seulement l’union fait la force, mais qu’…) un neurone peut être une unité d’intégration de différents signaux et donner un output positif (un influx nerveux) ou négatif (pas d’influx nerveux) vers d’autres neurones.

 

Il faut maintenant que je vous révèle l’un des grands secrets du cerveau (!): c’est que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les axones et les dendrites ne se touchent pas pour faire passer l’influx nerveux. Il y a un tout petit espace entre eux qu’on appelle la synapse, et pour la voir, on va utiliser notre boîte de navigation ici pour zoomer encore davantage jusqu’au niveau moléculaire, c’est-à-dire au niveau des molécules avec lesquelles sont fabriquées les cellules.

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_07/i_07_m/i_07_m_tra/i_07_m_tra.html

 

On a ici un dessin du bout de l’axone d’un neurone, et là le bout d’un dendrite. Quand l’influx nerveux arrive, regardez bien ce qui se passe : des petites molécules qu’on appelle des neurotransmetteurs vont être relâchées dans l’espace entre les deux et certaines vont se fixer sur des grosses molécules qu’on appelle des récepteur, exactement comme une clé va rentrer dans sa serrure. Et comme la clé ouvre une porte, la molécule de neurotransmetteur va ouvrir le canal au centre du récepteur et d’autres petites molécules vont pouvoir rentrer et ce sont elles qui vont faire repartir l’influx nerveux de l’autre côté. Encore une fois ? Voilà.

 

La grosse différence entre l’influx nerveux qui se propage le long de l’axone et ce qui se passe au niveau de la synapse, c’est que la propagation de l’influx nerveux est un phénomène électro-chimique qui est « tout ou rien » et qui ne subit aucune modification avec l’expérience. C’est tout le contraire au niveau de la synapse : si l’on peut apprendre des choses, c’est parce que la transmission synaptique est très malléable, que son efficacité se modifie avec son utilisation plus ou moins fréquente.

 

 

Qu’en est-il maintenant de la nature exacte de la trace  physique d’un souvenir dans le cerveau. Autrement dit, qu’est-ce qui, au niveau moléculaire, au niveau de la synapse elle-même, facilite le passage de l’influx nerveux ?

 

Eh bien on connaît des mécanismes, comme la potentialisation à long terme, qui permettent ce renforcement de la synapse. Tout ce que ça prend souvent, c’est une stimulation répétée avec une fréquence assez élevée au niveau de la synapse en question. Cette stimulation répétée va permettre l’expulsion de plus de neurotransmetteurs, qui vont permettre d’ouvrir d’autres types de canaux qui vont faire rentrer cette fois-ci du calcium dans l’autre neurone. Or ce calcium va déclencher toutes sortes de réactions chimiques comme par exemple

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_07/a_07_m/a_07_m_tra/a_07_m_tra.html

 

1-     la phosphorylation des récepteurs, c’est-à-dire l’ajout d’une molécule de phosphore au canal ici qui va permettre à ce canal de s’ouvrir plus facilement, ou plus longtemps, permettant une transmission d’autant plus facile de l’influx nerveux.

2-     Ou alors, grâce à une cascade de seconds messagers dont je vous fais grâce ici justement, aller remonter jusqu’aux gènes dans le noyau du neurone pour lui dire de produire carrément de nouveaux récepteurs qui vont être ajoutés ici à la synapse et vont eux aussi faciliter d’autant plus la transmission de l’influx nerveux.

 

La trace physique, concrète, de tous vos souvenirs, c’est donc ça, des boutons synaptiques hypertrophiés et des récepteurs protéiniques boostés au phosphore !

 

Par conséquent cette plasticité des synapses fait que :

Ce concept de plasticité synaptique désigne donc le phénomène par lequel les circuits de nombreuses structures de notre cerveau ont la capacité d’être modelé, au sens physique du terme, c’est-à-dire d’être  soit renforcé, soit affaibli, par l’utilisation plus ou moins fréquente qu’on en fait.

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_07/d_07_cl/d_07_cl_tra/d_07_cl_tra.html

Il se crée donc constamment dans notre cerveau de nouvelles « assemblées de neurones » qui vont s’associer et se mettre à fonctionner ensemble. Lorsqu’un nouveau groupe neuronal se coordonne ainsi, une nouvelle image mentale ou un nouvel apprentissage moteur peut surgir.

Apprendre c’est donc, pour employer le titre d’un ouvrage du philosophe Michel Onfray, faire une véritable « sculpture de soi », une sculpture au niveau de nos réseaux de neurones, par renforcement de certaines connexions synaptiques.

Il faut toutefois noter que le niveau de plasticité varie selon les structures cérébrales : La plasticité est ainsi très grande dans le cortex, région apparue plus récemment au cours de l’évolution, mais moindre dans l’hypothalamus ou le tronc cérébral par exemple, qui sont des régions beaucoup plus anciennes et impliquées dans des fonctions plus fondamentales comme la régulation de la température, la faim, la soif, etc.

 

Maintenant : votre cerveau contient 100 milliards de neurones faisant en moyenne environ 10 000 synapses chacun avec d’autres neurones. Ça donne un nombre astronomique de circuits nerveux possible, un nombre beaucoup trop élevé pour que nos quelques 30 ou 35 000 gènes puissent spécifier leur emplacement. D’où notre cinquième concept :

 

 

Comment ces dizaines de milliers de milliards de connexions font-elles alors pour se mettre en place ?

 

Eh bien c’est que nos programmes génétiques vont mettre en place seulement les grandes lignes, ou si vous voulez seulement la structure générale de notre cerveau. Durant le développement embryologique,

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_09/a_09_cl/a_09_cl_dev/a_09_cl_dev.html

 

nos gènes vont coordonner un ballet complexe de migration cellulaire qui va permettre aux différents groupes de neurones d’atteindre leur bon emplacement.

 

Mais ensuite il y a une grande part de notre développement, tout le « fine tuning » des synapses, va être sculpté par notre interaction avec le monde. On parle alors de développement épigénétique, c’est-à-dire toute la partie du développement qui se fait « après les gènes », surtout dans la petite enfance.

 

Et ce développement épigénétique se fera beaucoup par la mort des neurones, les neurones et les connexions les moins sollicitées disparaissant progressivement au profit des plus sollicitées qui vont se développer.

Donc, à la naissance, les grandes lignes de l'architecture du cerveau sont définies mais la construction du cerveau est loin d'être terminée: La grande majorité des circuits de neurones vont se former dans les 10 -15 ans suivant la naissance.

Et l’on peut même considérer nos capacités d’apprentissage que nous conservons toute notre vie comme le prolongement en permanence de ce développement épigénétique. D’ailleurs, les mêmes protéines sont souvent à l’œuvre dans les deux phénomènes.

 

À la lumière de ces notions de base du développement du cerveau humain, plusieurs vieux débats philosophiques qui ont occupé les philosophes pendant des siècles peuvent être revisités. C’est le cas de la question de l’innée et de l’acquis appliquée aux comportements humains. Autrement dit, quelle serait la part de la nature versus la part de la culture dans nos comportements.

Alors que peut répondre aujourd’hui notre honnête citoyen neurobiologiquement lettré à cette question ?

Si on lui demande : est-ce que notre comportement est fixé par notre génétique ? Il répondra non, car on vient de voir que notre cerveau, qui est à l’origine de notre comportement, se structure en grande partie grâce à des stimuli en provenance de l’environnement dans lequel il évolue.

Et si on lui demande : est-ce que notre comportement est complètement le fruit de notre apprentissage (i.e. que nous sommes tabula rasa à notre naissance) ? Il répondra également non, puisque les grandes lignes des circuits cérébraux qui nous font penser se développent suivant les plans généraux des gènes de notre espèce, qui est le fruit de centaines de milliers d’années d’évolution.

La seule réponse possible devient celle-ci : nos comportements sont À LA FOIS INNÉES et À LA FOIS APPRIS

[ pour une mise à jour et un développement intéressant sur ce sujet, voir Inné et acquis : les réponses d'Henri Atlan ]

 

 

Il y a toujours les deux composantes.

Prenons par exemple le langage, aptitude singulièrement humaine s’il en est une et outil fort utile aux philosophes.

Un être humain a besoin d’une expérience épigénétique de plusieurs années pour produire et décoder les sons qui sont à la base de sa langue. L'apprentissage d'une langue ne peut donc se faire que si l'enfant est exposé aux mots de cette langue et ce, durant une période limitée de la vie pré-pubertaire qu’on appelle « période critique ».

Il y a donc une influence certaine de l’environnement et les quelques cas d’enfants sauvages retrouvés à l’adolescence et n’ayant jamais eu de contact avec langage humain n’ont jamais réussi à parler malgré tous les efforts de leur tuteur comme le montre le beau film de François Truffault qui s’intitule justement L’enfant sauvage. 

Mais, et c’est un apport important de Noam Chomsky à la linguistique,

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/outil_rouge06.html

le langage ne peut pas être seulement un répertoire de réponses apprise à des stimuli de l’environnement puisque chaque phrase que quelqu'un produit peut être une combinaison totalement nouvelle de mots. Or avant l'âge de 5 ans, les enfants sont déjà capables, sans enseignement formel, de produire et d'interpréter avec cohérence des phrases qu'ils n'ont jamais rencontrées auparavant.

C'est cette capacité extraordinaire d'accéder au langage malgré une exposition très partielle aux variantes syntaxiques permises qui amena Chomsky à formuler son argument de la " pauvreté de l'apport ". Pour lui, si les enfants développent si facilement les opérations complexes du langage c'est qu'ils disposent de principes innés qui les guident dans l'élaboration de la grammaire de leur langue. En d'autres termes, l'hypothèse de Chomsky consiste à dire que l'apprentissage du langage est facilité par une prédisposition de nos cerveaux pour certaines structures de la langue.

C’est donc ce subtil mélange de prédisposition génétique et de comportement appris qui fait l’être humain. J’insiste sur l’expression « prédisposition génétique » qui est très différente d’un « déterminisme génétique » au sens stricte. Et ce sera mon septième concept :

 

Il arrive souvent que les gens ne voient pas cette distinction importante, ce qui les amène, en constatant les nombreux comportements humains appris, à rejeter radicalement ce qu’ils appellent le « déterminisme biologique », c’est-à-dire, pour eux, toute influence de nos gènes sur nos comportements.

 

J’espère que vous voyez un peu, à lumière des quelques éléments qui viennent d’être présentés ici, comment cette position ne tient pas la route.

 

Il n’est pas très difficile de trouver des comportements humains qui subissent de tout évidence une grande influence de nos prédispositions biologiques. En général, ce sont ceux contrôlés par les structures les plus anciennes de notre cerveau qui gèrent des fonctions fondamentales pour l’espèce. C’est le cas par exemple des comportements qui mènent à la reproduction de l’espèce… Y’a-t-il un meilleur exemple de la puissance de nos prédispositions biologiques que celles qui nous poussent à nous reproduire ? C’est d’ailleurs ce genre de prédisposition fondamentale qui rejoint ce que notre ami Épicure appelait les besoins « naturels et nécessaires »…

 

Sauf qu’une prédisposition, ce n’est pas un déterminisme strict : ça se colore culturellement. D’où les nombreuses façons de se courtiser de par le monde…  

Une prédisposition ça se modifie et ça se contourne aussi. Comment ? Par l’entremise des structures plus récentes de notre cerveau, comme notre cortex, qui interagissent constamment avec les structures plus anciennes.

 

Car il faut bien voir que les parties anciennes et plus récentes de notre cerveau entretiennent un dialogue constant entre elles : des voix nerveuses les reliant se sont tissées au fil du temps, de sorte que nos comportement sont souvent le résultats d’un échange, d’un compromis, voire d’un combat incessant entre elles.

 

Si on prend par exemple un comportement comme la peur,

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_04/d_04_cr/d_04_cr_peu/d_04_cr_peu.htm#2

 

Imaginez que vous marchez dans la forêt et que vous entrevoyez une forme allongée enroulée sur elle-même à vos pieds. Cette forme, qui évoque celui d'un serpent, va très rapidement, grâce à ce qu’on appelle ici la route courte, envoyer un message à l’amygdale, une structure assez ancienne du système limbique qui va mettre en branle les réactions physiologiques de peur qui sont très utiles pour s'activer rapidement face au danger.

 

Mais ce stimulus visuel va aussi, après son relais au thalamus, parvenir au cortex, structure, vous le savez maintenant, beaucoup plus récente du point de vue évolutif. Le cortex, grâce à sa faculté de discrimination, va se rendre compte quelques fractions de seconde plus tard que ce que vous aviez pris pour un serpent n'était au fond qu'un bout de vieux boyau d'arrosage. Votre cœur va alors cesser de s'emballer et vous allez en être quitte pour une petite frousse.

 

Sur la question des prédisposition, j’ajouterais ici que plus on fait de nombreux apprentissages, donc plus on renforce les liens corticaux grâce à la grande plasticité du cortex, plus on est susceptible de s’affranchir, ou du moins d’être plus libre de choisir entre nos comportements instictifs, émotionnels, et ceux qui sont le fruit de notre raison, qui, comme tout bon philosophe le sait, est d’autant plus raisonnable qu’elle a mémorisé une grande quantité de savoirs, historiques, scientifiques, etc

 

Ce qu’on appelle couramment la conscience n’est par conséquent que la pointe de l’iceberg de nos processus cérébraux qui sont pour la plupart inconscients. Et pas inconscient au sens freudien de refoulement, mais simplement hors de notre champs de conscience, automatisés pour plus d’efficacité.

 

Plus généralement, on peut même aller plus loin en suivant Henri Laborit et dire « qu’un cerveau ça ne sert pas à penser, mais à agir. » Je suis désolé d’avoir à vous dire ça, chers amis philosophes, mais un cerveau ça s’est développé et ça sert encore surtout à agir. C’est-à-dire que les systèmes nerveux se sont développés pour assurer l’autonomie motrice des animaux qui, contrairement aux plantes, doivent se déplacer dans leur environnement pour acquérir les ressources nécessaires à leur survie.

 

Quand une action gratifiante se déroule avec succès, certaines régions du cerveau sont alors activées pour nous motiver à répéter ces expériences plaisantes.

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_cr/d_03_cr_que/d_03_cr_que.html

 

Si une situation s’avère menaçante pour l’organisme, par exemple un ours qui surgit devant soi, l’action requise peut être alors de fuir ou de combattre ce danger

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_03/a_03_p/a_03_p_que/a_03_p_que.html

 

De nombreuses modifications physiologiques se mettent alors en branle dans l’organisme pour favoriser l’action : augmentation du rythme respiratoire, de la fréquence cardiaque, augmentation de l’apport sanguin aux muscles au détriment des viscères, etc.  Si l’action est efficace (on réussit à fuir ou on sort victorieux du combat) alors l’organisme retrouve rapidement son équilibre.

 

Sinon, c’est le stress et l’inhibition chronique de son action (« on attend dans l’espoir que ça passe »), ce qui entraîne les pires effet pour l’organisme car ce vieux système de fuite ou de lutte a été sélectionné il y a fort longtemps et amène comme je l’ai dit de grands remaniements dans l’organisme, remaniements qui ne doivent pas durer trop longtemps, seulement le temps de sauver sa peau, sous peine d’épuiser l’organisme. Ces situations d’inhibition de l’action, nos sociétés modernes en regorgent, ce qui, par des mécanismes maintenant bien connus

 

https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_08/a_08_m/a_08_m_dep/a_08_m_dep.html 

 

peut amener différents problèmes liés entre autre à l’effondrement du système immunitaire et à l’hypertension artérielle, des problèmes allant des  infections mineures (grippes), aux ulcères d’estomac, aux problèmes cardiaques, et jusqu’au cancers…

 

La neuro-psycho-endocrinologie nous apprend donc que, et ce sera mon huitième et dernier concept,

 

 

ils se parlent constamment, et que ce qui affecte l’un affecte inévitablement l’autre. Ce que sécrète le corps influence le cerveau et ce que sécrète le cerveau influence le corps. 

 

De là à dire que le corps, le cerveau et l’esprit sont une même entité, il n’y a qu’un pas à franchir, pas qu’à l’instar de la majorité des neurobiologistes contemporains je franchis sans hésiter, n’en déplaise à notre bon ami Descartes…

 

 

Fin.