Quelques mots sur Henri Laborit
Par Marc Accadia
  (ce texte fut publié le 9 septembre 2012 sur le blogue de l'auteur au 
  http://marc.accadia.free.fr/blog/?p=2188 )
Je ne savais pas bien où mettre ce texte. Et puis, je me suis dit quune des phrases que cet auteur aimait à répéter était : « nous ne sommes que les autres ». Et il se trouve que dans ces autres qui me constituent, donc, il a lui-même pris beaucoup de place. Jai ainsi décidé de mettre ce texte dans « le gars », puisque parler de lui cest parler de moi. Ou linverse
Henri Laborit est né le 21 novembre 1914 à Hanoï
Non, ce nest pas ce que je voulais faire. Je ne veux pas retracer une vie linéaire dans sa chronologie. Dailleurs, la réflexion se bonifiant avec le temps, il est même préférable de commencer par la fin. Car cest ce quil y a de plus subtile.
Donc, reprenons
 Henri Laborit est mort le 18 mai 1995. Triste jour pour 
  ceux qui, comme moi, ont trouvé, grâce à ce grand homme, 
  les réponses quils cherchaient sur le comportement (tristement) 
  humain. Je me souviens comme si cétait hier de Philippe Jullian 
  qui ma fait part de sa sympathie sous cette forme : « Jai 
  appris que tu as perdu ton mentor, tu dois être triste
 ».
  Il est vrai que jai peut-être soûlé pas mal de monde 
  à toujours parler de Laborit depuis quun jour de 1985, un interne 
  en psychiatrie - Pierre Valadier, qui doit être maintenant pédopsychiatre 
  quelque part (Salut cher Pierre, si un jour tu tombes sur ce texte !) - avait 
  ouvert lesprit de lexterne que jétais. Il mavait 
  dit : « Il faut absolument que tu lises Henri Laborit, tu verras, ça 
  te plaira ! » Et il avait raison. Il avait probablement senti que ma personnalité 
  profonde était parfaitement adaptée à la réception 
  de ces idées totalement anticonformistes. En effet, la lecture des ouvrages 
  de celui qui fut un maitre pour moi, a été une promenade délicieuse, 
  où je découvrais dans une expression écrite parfaite (pour 
  moi, au moins) tout ce que je sentais intuitivement sans arriver à me 
  le formuler. Cétait comme un rêve : je nen croyais 
  pas mes yeux ! Et le plus fort, dans tout ça, cest que ces écrits 
  nétaient pas les divagations dun esprit échafaudant 
  des théories à partir de pures idées, mais étaient 
  le résultat dun travail scientifique extrêmement sérieux, 
  ce qui est beaucoup plus difficile à démolir. Mais laissons là 
  mon histoire, et revenons à lui, un peu avant sa mort
Dans son dernier livre qui est le recueil dentretiens avec son ami Claude 
  Grenié (Henri Laborit : une vie, édité en 1996), on peut 
  lire dans les toutes dernières pages ces mots dune incroyable portée 
  - surtout quand on connait luvre immense de cet homme -, et dune 
  humanité rare (p 185) :
  « Depuis 1993, jai changé. Je me rends compte quon 
  ne fait rien dans une vie dhomme, et quon na jamais rien fait 
  : ne pas se croire profondément ignorant est un manque de lucidité 
  complète. [...]
  Que lon se dise quon na pas fait grand chose, ou quon 
  a rien fait dans sa vie, nest pas dramatique. On nest pas là 
  pour faire quelque chose. On est là, autant que possible, pour être 
  bien dans sa peau. »
  Arriver à une telle simplicité après avoir passé 
  une vie à progresser dans la découverte de la complexité 
  du cerveau humain me sidère. Dailleurs, à propos de ses 
  découvertes, il a consacré une grande partie de son temps à 
  vulgariser les résultats de ses travaux pour les rendre accessibles aux 
  non initiés à la biologie. La diffusion de la connaissance aux 
  Hommes était un principe auquel il était très attaché.
Avant daborder luvre, je voudrais rester un peu sur la personnalité du monsieur. Ce que jaime, moi, cest ce mélange de bienveillance vis à vis de ses semblables (il disait, par exemple, que la violence est avant tout la manifestation dune souffrance) - ce qui fait de lui, selon moi, un utilitariste -, mais aussi sa perspicacité et sa lucidité dans lanalyse de sa propre personne. Jai été impressionné par son explication concernant létiquette de rebelle quon lui prêtait. Il en fait un événement mineur, déterminé non par sa volonté, mais par lextérieur. Daprès lui, quelquun ne devient rebelle que parce quil pense nêtre pas reconnu à sa juste valeur par une société quil veut, de fait, changer pour une société qui le reconnaisse. En effet, une personne qui se sent reconnue par une société na aucune raison de vouloir la changer, disait-il.
Pour comprendre luvre, il faut comprendre les motivations. Les siennes furent dabord de reprendre le flambeau de son père médecin des armées (décédé quand lui navait que 5 ans), et il a donc été médecin militaire. Attiré par la chirurgie, il a exercé cet art pendant plusieurs années. Il a pu ainsi sinterroger sur les échecs de la chirurgie, et sest intéressé à lagression que constitue lacte chirurgical. Enfin, plus exactement à la réaction de lorganisme à lagression. En effet, une réaction excessive peut être parfois néfaste (un peu comme une réaction immunitaire qui, se voulant défensive peut finir par nuire à lorganisme). Lutilisation de substances chimiques pour apaiser les patients avant lintervention et lutilisation des « cocktails lytiques » pendant lintervention ont constitué les bases de lanesthésie moderne, et en particulier de la neuroleptanalgésie. Il a également travaillé sur « lhibernation artificielle » consistant à ralentir le fonctionnement cellulaire de tout lorganisme en le refroidissant, tout en bloquant les réactions de défense (toujours sur le même principe de limitation de la réaction de lorganisme à lagression), qui se pratique pour les opérations nécessitant une circulation extra-corporelle (à cur ouvert, par exemple).
Lidée dutiliser certaines de ces drogues sur les malades psychiatriques a ouvert une nouvelle voie : celle de lutilisation et du développement des médicaments en psychiatrie. Tout naturellement, létude des effets de ces substances lont amené à sintéresser au fonctionnement du cerveau humain. Dès lors, sa motivation essentielle fut de comprendre ce fonctionnement. Ce quil en tira lui permit de dégager des grandes lignes permettant dimaginer la possibilité dun changement de comportement : seule la connaissance permet dagir autrement que par automatisme (« Tant quon naura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils lutilisent et tant que lon naura pas dit que jusquici cela a toujours été pour dominer lautre, il y a peu de chance quil y ait quoi que ce soit qui change. » est la conclusion du film Mon oncle dAmérique). Connaissance des mécanismes de fonctionnement de tous les niveaux dorganisation, de la molécule à lorganisme entier, et jusquà linfluence du milieu sur lorganisme.
Esprit curieux de tout, il a toujours refusé de senfermer dans un domaine de compétence. Cest dailleurs cette interdisciplinarité qui lui a permis douvrir de nouvelles voies et davancer autant sur la connaissance du cerveau humain.
Le désir de comprendre les mécanismes intimes des échecs 
  de ses opérations chirurgicales pourtant techniquement réussies, 
  lon poussé à se mettre à la physiologie, la physiopathologie, 
  puis la biochimie (et même la physique des particules
) pour aller 
  toujours vers le plus intime. Il a compris limportance du système 
  nerveux dans toutes les « agressions », quelles soient physiques 
  ou psychiques, ce qui la amené à approfondir la neurologie, 
  dun point de vue anatomo-physiologique mais aussi psychologique. Il a 
  été le premier à avoir lidée dutiliser 
  les psychotropes, comme nous lavons vu. Il était alors impossible 
  de ne pas procéder par « englobement » : en allant vers le 
  plus intime, il a compris que chaque niveau dorganisation (de fonctionnement) 
  est contrôlé à un niveau sus-jacent, par un régulateur 
  lui-même régulé (autrement dit, par un servomécanisme) 
  : les réactions chimiques sont contrôlées par les enzymes, 
  elles-mêmes contrôlées par la machinerie cellulaire, cellule 
  elle-même contrôlée par des systèmes (ensemble dorganes 
  concourant à la même fonction) assurant léquilibre 
  interne de lorganisme. Mais cet organisme est lui-même dépendant 
  des conditions du milieu extérieur.
  Laborit a bien compris que lenvironnement ce nest pas seulement 
  les espaces verts, mais surtout les autres, qui recherchent les mêmes 
  « objets gratifiants ». Cest la compétition, qui ne 
  peut entrainer quinsatisfaction (il y a toujours quelquun à 
  « combattre »). Changement de niveau encore une fois, et la sociologie 
  devient un nouveau terrain dexploration. Comme pour chaque niveau détude, 
  il est toujours question de cybernétique, cest à dire de 
  létude de léchange et du contrôle de linformation 
  entre les éléments dune structure.
La partie probablement la plus intéressante des travaux de Laborit concerne le comportement de lhomme en société. Car un homme qui grandit hors dune société humaine nest rien dautre quun animal sauvage. Les capacités mentales dun homme ne sont que le résultat dun apprentissage. Il écrira souvent que « nous ne sommes que les autres ». Il a démonté les mécanismes de lapprentissage par la récompense et la punition, dabord, puis par léducation qui nest quun formatage - ce quil dénonçait régulièrement en arguant du fait que la particularité du cerveau humain était sa capacité dimaginer, et que ce quon appelle léducation consistait essentiellement à surtout ne pas laisser limagination se développer chez lenfant - qui permettra à un système contrôlé par des dominants de se maintenir dans lintérêt des mêmes dominants, bien sûr. Récompense et punition seront source de gratification : en cherchant la récompense et en évitant la punition, cela produit le même résultat qui est du plaisir.
« Un système nerveux, ça sert à agir. » Lorsquil y a un danger, les réponses possibles sont la fuite ou la lutte. Mais il existe une troisième possibilité : lorsquil ne peut pas agir, un organisme se met en inhibition de laction. Il ne bouge plus. Cest lattente en tension, en attendant que « ça passe ». Autrement dit, tout lorganisme se prépare à la fuite ou la lutte en provoquant des bouleversements dans lorganisme (redistribution de la vascularisation, accélération cardiaque, etc.) qui, sils durent trop longtemps seront à lorigine de véritables maladies (hypertension artérielle, infarctus, accidents vasculaires cérébraux, etc.). La socioculture interdisant dagir dans certaines circonstances peut provoquer les mêmes effets, car cela constitue une inhibition de laction. De même quand il y a déficit en informations, ou excès dailleurs, car le résultat est le même : limpression de ne pas contrôler son environnement, ce qui saccompagne dangoisse.
Mais je ne vais pas reprendre tout ce quil a écrit - et avec talent 
  ! Je voulais juste donner envie daller regarder tout cela de plus près, 
  en parlant de ma rencontre avec son uvre, et de lessentiel de ce 
  que cet homme ma apporté. Il y a ses livres « grand public 
  » à lire, et aussi lexcellent film Mon oncle dAmérique, 
  dAlain Resnais, à voir absolument
 Je ne voulais pas non plus 
  reprendre tout ce quil a fait, avec notamment sa participation au « 
  groupe des dix », à la formation des urbanistes, etc. Tout cela 
  est facile à trouver sur Internet.
  Inutile de dire, à ce propos dInternet, quil voyait comme 
  une « ouverture » majeure (lui qui ne voyait la possibilité 
  de progrès que dans les systèmes ouverts
) le jour où 
  les humains pourraient communiquer directement entre eux sans passer par les 
  médias officiels contrôlés par les dominants
 Visionnaire, 
  quoi.
Dans ce tableau extrêmement respectueux et élogieux que jai dressé du personnage, une ombre vient pourtant sinscrire. Une question à laquelle je narrive pas à répondre, et qui restera comme une contradiction inexplicable entre sa pensée et ses actes : pourquoi diable a-t-il accepté la Légion dhonneur ? (citation, au passage, de son créateur, Napoléon 1er : « On prétend que la Légion dhonneur est un hochet. Eh bien, cest avec des hochets que lon mène les hommes. ») Curieux de la part de celui qui a écrit lÉloge de la fuite, invitation à fuir un système malsain (toujours plus de production, de croissance, de bénéfices, de compétitions, et de pouvoir aux dominants, mais ne se préoccupant pas du bien-être des humains).
PS : Napoléon a eu cette autre phrase : « Bien analysée, la pensée politique est une fable convenue, imaginée par les gouvernants pour endormir les gouvernés. » Cela aurait pu être de Laborit (Beaucoup dintuition ce Napoléon )
PPS : Javais déjà écrit quelque chose sur Laborit, 
  à propos dune réflexion sur les grades (sortes de hochets
) 
  en aïkido : ici