Capsule outil : Neuroscience et apprentissage : 5 choses à garder à l'esprit
La mémoire est ce qui reste de nos apprentissages. C'est la trace concrète qui en est conservé dans nos réseaux de neurones. La mémoire n'est pas pour autant un concept unifié. Notre cerveau possède différents systèmes de mémoire spécialisés. Quand tout va bien, il est difficile de les distinguer puisqu'ils travaillent en harmonie et sont complémentaires. Mais des maladies ou des lésions cérébrales peuvent affecter certains de ces systèmes de manière spécifique et amener des formes d'amnésie singulières qui les mettent en évidence. On a par exemple des circuits nerveux spécialisés dans le souvenir des événements que nous avons vécus durant notre vie passée (mémoire épisodique) qui ne sont pas les mêmes que ceux qui permettent la mémoire du sens des mots, de la fonction des choses, de leur couleur ou de leur odeur (mémoire sémantique). Et ces deux mémoires diffèrent grandement de notre mémoire motrice, celle qui nous permet de retenir comment aller à bicyclette ou comment attacher nos lacets. Traditionnellement, les études se sont concentrées sur les mémoires dites explicites, c'est-à-dire celles dont on peut exprimer verbalement le contenu (comme les deux premiers exemples précédents). Mais la découverte progressive des grandes capacités de traitement inconscient de notre cerveau a imposé une autre grande catégorie : la mémoire implicite. Il s'agit de formes de mémoire qui
s'acquièrent à notre insu et où le rappel d'un souvenir se
fait automatiquement, sans les efforts nécessaires à la mémoire
explicite. En plus de la mémoire procédurale déjà
mentionnée plus haut, plusieurs autres systèmes de mémoire
implicite ont pu être identifiés comme les conditionnements émotionnels,
les réflexes conditionnés, les effets d'amorçage, etc. Tout ne s'apprend donc pas de la même façon, les apprentissages explicites nécessitant par exemple plus d'attention consciente et de répétitions qu'un apprentissage implicite qui s'installe souvent sans que l'on s'en rende compte.
La mémoire est " une faculté qui oublie ", et c'est tant mieux ! En effet, loin d'être une faiblesse déplorable, l'oubli est un phénomène normal, essentiel même. L'oubli nous permet de nous débarrasser de l'énorme quantité d'informations que nous traitons tous les jours et qui est jugée sans utilité pour l'avenir. Sans oubli, notre conscience deviendrait vite encombrée d'un tas de détails inutiles. L'oubli se chargera donc de faire disparaître spontanément tout ce qui n'a pas été encodées suffisamment et au bon moment dans nos réseaux de cellules nerveuses. Mémoriser une information, c'est donc la prioriser consciemment au détriment de la majorité des autres qui vont sombrer dans l'oubli. Mais même si l'on juge qu'une information est importante et doit être retenu, elle ne s'imprime pas comme par magie dans notre mémoire. Un effort d'encodage est nécessaire. Si une bonne hygiène de vie, un sommeil réparateur (voir le cinquième point ci-bas), une attention soutenue ou une bonne organisation des informations sont tous des facteurs qui favorisent la mémoire, le travail de répétition demeure peut-être l'aspect le plus fondamental de l'encodage. La répétition est essentielle car notre prédisposition
à l'oubli est des plus efficaces. Sans répétition, nous ne
pouvons retenir qu'environ sept éléments d'information pour à
peu près 30 secondes. Ce que la répétition mentale permet,
c'est justement de faire passer ces éléments de cette mémoire
à court terme vers la mémoire à long terme où ils
peuvent être stockés pendant des mois, voire des années. Certains chercheurs vont même jusqu'à dire que nous oublions 90% de ce que nous apprenons en classe en 30 jours et que la majeure partie de cet oubli se fait dans les quelques heures après le cour. Pour eux, l'exposition répétée à l'information immédiatement durant les cours est donc beaucoup plus efficace pour apprendre que d'attribuer cette fonction aux devoirs qui se font plusieurs heures après à la maison.
L'apprentissage est la principale activité du cerveau, c'est-à-dire modifier constamment sa structure pour mieux refléter les expériences rencontrées. Apprendre, c'est donc augmenter la palette de ses réponses comportementales possibles. Ce gain de connaissance, de compréhension ou de compétence est rendu possible par les éléments mémorisés suite à cet apprentissage. Or l'une des caractéristiques les plus fondamentale de la mémoire est son caractère associatif. Cela veut dire qu'on retient mieux lorsqu'on peut relier la nouvelle information à des connaissances déjà acquises et solidement ancrées dans notre mémoire. Celles-ci constituent alors une sorte de trame sur laquelle peuvent plus facilement se greffer les nouvelles connaissances. Par conséquent, prendre du temps afin de trouver ce qui peut relier une nouvelle information à une ancienne est donc très payant en bout de ligne. Par exemple, si l'on vous présente plusieurs nouvelles personnes, il est plus facile de retenir leur nom si l'on associe immédiatement quelque chose de significatif pour nous à chacun d'eux (Marie a une robe bleu marine, Paul a une barbe comme mon oncle Paul, Carmen a un long cou comme un cormoran, etc.). La couleur bleu marine, l'oncle Paul ou le cormoran sont des images mentales déjà bien engrammées dans notre cerveau et leur lien phonétique ou symbolique avec les nouveaux noms constitue un truc mnémotechnique bien connu. Même si cela peut sembler contre-intuitif d'ajouter des éléments de plus à de nombreux autres nouveaux éléments à apprendre, plusieurs études montrent que plus l'encodage est élaboré durant l'apprentissage, plus les nouvelles données seront retenues facilement. En terme neuronal, les nouvelles assemblées de neurones peuvent ainsi utiliser des assemblées déjà bien constituées pour s'y connecter, et l'activation routinière de l'ancienne assemblée permet plus facilement d'activer la nouvelle qui vient de s'y associer.
L'apprentissage scolaire sollicite beaucoup la mémoire explicite, celle qui permet de retenir le sens des mots ou la fonction des choses. C'est dans la mémoire explicite que l'on stocke notre connaissance du monde, celle que l'on peut exprimer verbalement. Mais il y a un autre type d'apprentissage très important, celui des nouveaux mouvements, qui repose sur un système mnésique distinct appelé mémoire procédurale. Quand on apprend à lacer ses chaussures, à aller à vélo ou à jouer au tennis, on fait appel à sa mémoire procédurale. Celle-ci permet d'automatiser progressivement des mouvements complexes, de sorte qu'au bout d'un moment, ceux-ci deviennent inconscients. C'est cette libération de la pensée qui nous permet par exemple de conduire notre voiture en plein centre-ville tout en expliquant quelque chose de compliqué à quelqu'un. Comme
pour la mémoire explicite, c'est la répétition qui va permettre
aux gestes de s'automatiser et de passer dans la mémoire procédurale.
C'est ce qu'on appelle couramment l'entraînement ou la pratique. Mais
une fois que la gestuelle générale a été mémorisée,
il semble qu'il y ait une autre façon d'améliorer l'exécution
d'un mouvement et c'est simplement de penser au geste en question ! En effet,
la simple répétition mentale du mouvement, un procédé
que l'on nomme " imagerie mentale ", est couramment utilisé par
les athlètes de haut niveau pour aller chercher les précieuses fractions
de secondes au fil d'arrivée. Les skieurs de descente répètent
ainsi mentalement tout le trajet de leur course avant d'amorcer leur descente.
Ils imaginent chaque virage, effectuent mentalement les transferts de poids appropriés
et essaient de ressentir le contact de leur ski avec la neige. En fait, pour qu'elle
soit efficace, l'imagerie mentale doit intégrer le maximum des caractéristiques
sensorielles pertinentes pour l'action à perfectionner. De nombreuses études ont démontré que lorsqu'on imagine une action ou qu'on exécute réellement la même action, les régions cérébrales impliquées sont très similaires. Seule les régions impliquées dans la commande motrice de l'action ne s'activent pas lorsqu'on ne fait que l'imaginer. Visualiser mentalement un mouvement va donc stimuler une majorité des régions cérébrales requises lorsqu'on exécute réellement le mouvement. Cette stimulation permettra, lorsqu'on aura à exécuter véritablement le mouvement, de solliciter les assemblées de neurones correspondantes plus facilement, et donc d'augmenter l'efficacité du mouvement. Mais l'imagerie mentale n'est qu'un outil parmi d'autres pour améliorer ses performances motrices et sa mémoire procédurale. La bonne vieille répétition durant les cours d'éducation physique et le sport en général sont importants pour un autre raison bien simple : l'exercice, parce qu'il augmente l'oxygénation du cerveau, améliore aussi son fonctionnement. Et cela se confirme non seulement par de meilleurs temps de réaction et de meilleurs scores à des tâches spatiales ou mathématiques, mais également au niveau neuronal, avec une augmentation de la création de nouveaux neurones, de leur survie et de leur résistance aux dommages et au stress.
Nous savons maintenant que le sommeil n'est pas qu'un simple repos passif du cerveau. Ainsi, durant le sommeil paradoxal qui occupe 20 à 25% de chacune de nos nuits, notre cerveau est pratiquement aussi actif que lorsque nous sommes éveillés. Ceci dit, on a encore bien du mal à expliquer précisément en quoi le sommeil est essentiel à nos fonctions cognitives. En regardant nos nombreuses facultés affectées par le manque de sommeil, on saisit cependant tout de suite son importance cruciale : l'attention, la concentration, le raisonnement logique, les habiletés mathématiques, la mémoire de travail, l'humeur et la dextérité motrice sont toutes perturbées lorsque nous ne dormons pas assez. En ce qui concerne le rôle du
sommeil dans l'apprentissage, on ne sait pas encore très bien lequel de
nos deux grands types de sommeil, paradoxal ou lent (l'autre 75 à 80 %
de la nuit), qui y participe le plus. Certaines tâches comme l'orientation
spatiale semblent être consolidées davantage par le sommeil lent.
À l'inverse, la privation de sommeil paradoxal altère plus particulièrement l'acquisition de nouvelles capacités visuelles et motrices. Quand un sportif apprend une nouvelle séquence de mouvements, par exemple un service au tennis, la durée du sommeil paradoxal augmente notablement pendant la nuit suivante. Si on le réveille systématiquement pendant son sommeil paradoxal, on empêche le stockage du nouveau savoir-faire de façon beaucoup plus efficace que lorsqu'on perturbe seulement les phases de sommeil lent en dehors des phases de sommeil paradoxal. Plusieurs pensent que les deux types de sommeil pourraient contribuer à la mémoire de façon complémentaire et que c'est leur enchaînement au cours d'une nuit de sommeil qui permet de trier correctement les informations accumulées durant la journée. Mais tout n'est pas si simple puisque des personnes qui ont pris pendant des années des médicaments supprimant le sommeil paradoxal n'ont pas vu leur capacité de mémorisation perturbée. Si le rôle précis du sommeil dans l'apprentissage
est loin d'être élucidé, ses effets bénéfiques
sur la santé et même la sécurité se confirment jour
après jour. Par exemple, la courbe d'accidents mortels au Canada fait un
bond de 7 % le lendemain du passage à l'heure d'été (qui
raccourcit la nuit de 60 minutes de sommeil), pour revenir à la normale
les jours suivants. Et le phénomène s'inverse à l'automne
: le lendemain du retour à l'heure normale (qui donne 60 minutes de sommeil
supplémentaires), le nombre d'accidents mortels diminue de 7%, puis remonte
ensuite tranquillement à son niveau moyen ! Déconseillée aux insomniaques puisqu'elle peut hypothéquer leur prochaine nuit de sommeil, la sieste demeure le moyen le plus simple et le plus recommandé aux personnes qui ont une dette de sommeil. Une sieste d'une vingtaine de minutes serait même bénéfique pour la plupart des gens qu'elle rendrait plus alerte en plus d'améliorer leur capacité de concentration. Mais attention : une sieste trop longue, d'une heure par exemple, sera suivie d'une période d'inertie, parce qu'on sera allé dans un sommeil trop profond. Dernier conseil : à part le soir, c'est en milieu d'après-midi que notre cycle circadien naturel nous rend le plus somnolent. Ne prévoyez donc pas de rendez-vous importants ou de tâches intellectuellement difficiles à ce moment. Faites plutôt une petite sieste |