Capsule histoire : L’isolation et ses
effets dévastateurs sur le comportement social. La façon
la plus claire de mettre en évidence l’importance de certaines stimulations
sensorielles ou sociales pour le développement normal d’un enfant
est de le priver de ces stimulations et d’observer les carences qui surgissent.
Bien entendu, il serait impensable de procéder de la sorte. Mais de telles
privations surviennent parfois accidentellement, comme dans le cas d’enfants
abandonnés à eux-mêmes dans la nature. Quelques uns de ces
cas sont célèbres, comme celui du petit Victor découvert
en 1800 dans une forêt en France et dont le cinéaste François
Truffaut a tiré la matière de son film « L’enfant sauvage
». Malgré tous les soins de ceux qui les recueillent, ces enfants
demeurent souvent muets et sont incapables d’apprendre à parler et
à avoir des comportements sociaux harmonieux. Les travaux de
René Spitz, dans les années 1940, ont été les premiers
montrer d’une façon plus systématique que les interactions
sociales avec les autres humains sont essentielles au développement d’un
enfant. Spitz a suivi pendant plusieurs années deux groupes de nouveaux-nés
: le premier d’un orphelinat où les bébés étaient
plus ou moins coupés du monde dans leur berceau et où une seule
infirmière devait s’occuper de 7 enfants; et le second dans un établissement
semblable situé dans une prison où la mère prisonnière
pouvait prodiguer chaque jour à son enfant soins et affection et où
les enfants pouvaient observer les autres enfants et le personnel durant la journée.
Bien que l’état du développement était comparable
à l’âge de 4 mois dans les deux groupes (les enfants de l’orphelinat
avaient même une moyenne plus élevée à différents
tests), dès la première année, les performances motrices
et intellectuelles des enfants de l’orphelinat avaient pris un grand retard
comparativement à celles des enfants de la prison, se montrant également
moins curieux, moins enjoués et plus sujets aux infections. Durant leur
deuxième et troisième année, les enfants élevées
par leur mère dans la prison avaient un développement comparable
à ceux élevés dans une famille normale à la maison,
parlant et marchant avec assurance. Par contre, dans l’orphelinat, seulement
2 enfants sur 26 étaient capables de marcher et de bredouiller quelques
mots. Depuis cette étude pionnière, de nombreuses autres expériences
ont montré à quel point des privations sensorielles et sociales
survenant lors de certaines périodes critiques au début de l’enfance
pouvaient avoir des conséquences catastrophiques sur le développement
ultérieur de l’individu.
Dans les années 1960, Harry Harlow
a développé un modèle expérimental pour pousser plus
loin les études de Spitz. Dans une série d’expériences
qui seraient peut-être considérées comme cruelles aujourd’hui,
Harlow élevait des singes nouveaux-nés en complète isolation.
À partir de quelques heures après leur naissance, et jusqu'à
3, 6 ou même 12 mois, les bébés singes étaient isolés
de tout contact avec leurs semblables, y compris leur mère. À la
fin de la période d'isolation, une fois réintroduits avec d'autres
animaux, ces singes demeuraient en santé mais leur comportement social
était complètement anéanti : l’animal demeurait dans
un coin de sa cage à se bercer d’avant en arrière (comme le
font certains enfants autistes), il n’interagissait pas avec d’autres
singes, ne jouait pas ni ne montrait aucun intérêt sexuel. Toutefois,
une période d’isolation comparable plus tard au cours de leur vie
était pratiquement sans effet sur leur comportement, ce qui montrait hors
de tout doute que chez le singe comme chez l’humain, il existe une période
critique pour le développement social. D’autres expériences
conduites par Harlow ont ensuite montré que les troubles de comportements
sociaux induits par la période d’isolement pouvaient être partiellement
renversés en donnant au bébé singe une fausse mère
en bois recouvert de tissu. Celui-ci s’accrochait au mannequin comme si
c’était sa mère mais ne développait pas d’autres
compétences sociales. Celles-ci pouvaient néanmoins être acquises
si, en plus de la mère de tissu, le bébé singe était
mis en contact quelques heures chaque jour avec un autre jeune singe qui lui vivait
normalement dans une colonie de singes.
|