Capsule expérience : L'identification des structures cérébrales impliquées dans la peur conditionnée La peur conditionnée est un phénomène qui peut aisément être induit en laboratoire et qui a servi à déterminer quelles étaient les circuits neuronaux impliqués dans les comportements de peur. La peur conditionnée est le processus par lequel un stimulus sans signification particulière devient, par association, l'indice d'un danger imminent. Si le chien du voisin vous a déjà mordu par exemple, vous allez probablement être craintif à chaque fois que vous aller avoir à aller sur son terrain. Les arbres et les bâtiments du voisin ont simplement été associés pour vous à la morsure douloureuse du chien. En laboratoire, les expériences avec la peur conditionnée se font le plus souvent avec un rat que l'on place dans une cage dont le plancher peut donner de petites décharges électriques. On fait alors entendre un son au rat, suivi immédiatement par un léger choc aux pattes. Après quelques associations seulement du son et du choc, le rat devient effrayé à la seule écoute du son. Le stimulus neutre du son est devenu pour lui une peur conditionnée. En plus d'être initiée très rapidement, la peur conditionnée a l'avantage de durer très longtemps. Il s'agit donc d'une association très robuste peu susceptible à l'oubli, ce qui permet de la tester sans se soucier du temps écoulé depuis son apprentissage. Une autre qualité de la peur conditionnée est que le phénomène a pu être induit chez à peu près toutes les espèces, de la mouche au mollusque et du poisson au singe. Il semble donc être bien conservé par l'évolution et d'avoir un rôle fondamental pour la survie des espèces. Mais le plus intéressant est d'une part que le système sensoriel utilisé pour le conditionnement est souvent bien connu et peut être utilisé comme point de départ pour retracer les voies cérébrales impliquées. Et d'autre part, que la réponse comportementale de peur implique plusieurs modifications physiologiques bien connues qui peuvent être mesurées (accélération de la fréquence cardiaque, élévation du taux d'hormones de stress dans le sang, etc.) Car le problème qui se pose est le suivant : comment un nouveau stimulus acoustique sans signification en lui-même en vient-il à déclencher une réponse comportementale défensive suite à une peur conditionnée. Pour le résoudre, les chercheurs ont deux solides points de départ : ils connaissent le point de départ du phénomène (le système auditif et ses connexions dans le cerveau) ainsi que le point d'arrivée (la réponse comportementale de défense avec ses manifestations viscérales). Ils leur reste donc à trouver les connexions qui relient les inputs aux outputs. Un des chercheurs qui a relancé l'étude scientifique des émotions par ses expériences sur la peur conditionnée est Joseph LeDoux de l'Université de New York. Dans une première série d'expériences, il s'est d'abord demandé quelles étaient les parties du système auditif qui étaient essentielles pour que s'établisse la peur conditionnée. Des lésions furent d'abord effectuées au cortex auditif, l'endroit où les sons sont identifiés. Mais la peur conditionnée pouvait encore être induite chez ces animaux. La station juste avant le cortex, le thalamus auditif, fut ensuite enlevé chez certains rats. Contrairement à ceux dont on avait enlevé le cortex, ceux-ci ne pouvaient plus apprendre à avoir une peur conditionnée. Même effet pour les lésions à la station sous-jacente, le mésencéphale. Il devenait donc clair que dans la peur conditionnée, le stimulus auditif devait se rendre au thalamus. Mais où allait-il ensuite pour déclencher la réaction émotive de peur ? Les manuels de neuroanatomie ne donnaient à l'époque que le cortex auditif comme voie de sortie pour le thalamus auditif. C'est à ce moment que LeDoux et ses collègues firent appel à des techniques de traçage des voies neuronales qui permettent, en injectant certaines substances qui sont absorbées par les neurones, de visualiser le parcours de leurs axones. Quatre régions sous-corticales recevant des axones du thalamus auditif furent ainsi mises en évidence. Une série d'expériences où chacune de ces voies étaient détruite à tour de rôle permit de découvrir qu'une seule était nécessaire à l'établissement d'une peur conditionnée : celle menant à l'amygdale. La découverte de cette nouvelle voie sous-corticale expliquait pourquoi les lésions au cortex auditif (qui empêchaient pourtant l'animal d'identifier précisément le son) n'élimaient pas la peur conditionnée. La voie neuronale du thalamus à l'amygdale court-circuitait tout simplement le cortex. Parallèlement, un autre chercheur, Bruce Kapp, avait découvert une sous-région de l'amygdale, le noyau central, qui avait des connexions avec des régions du tronc cérébral impliquées dans le contrôle de la fréquence cardiaque et de différentes réponses du système nerveux végétatif. Il proposa donc que ces régions constituaient la porte de sortie de l'amygdale qui permettait les nombreuses réponses viscérales de la peur conditionnée. Une étude de lésion du noyau central montra peu de temps après que son intuition était bonne : la destruction du noyau central interférait de manière dramatique avec la réponse comportementale de la peur conditionnée. Grâce aux techniques de lésion et de traçage, on a ainsi pu établir le câblage fondamental et les principales structures cérébrales impliquées dans la réaction de peur conditionnée. D'autres études ont par la suite montré le rôle central de l'amygdale dans l'émotion de peur et ce, peu importe la nature du stimulus sensoriel à son origine.
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