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Les expériences
sur la régulation de l’éveil ont montré que
cette fonction essentielle pour la survie met en jeu plusieurs
structures redondantes. Plutôt que des « centres »
bien délimités, les systèmes d'éveil
sont plutôt disposés en réseaux, c'est-à-dire
que l'excitation pharmacologique de l'un est généralement
suivie par l'activation de tous.
De même, l'inactivation d'un
seul système est suivie après quelques jours
par une récupération quasi complète
de l'éveil. Aucune des structures décrites,
prise isolément, n’est donc indispensable à l’activation
corticale. |
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LE CERVEAU DURANT LE SOMMEIL PARADOXAL |
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Si l’amygdale est
l’une des régions cérébrales les plus
actives durant le sommeil paradoxal, c’est plutôt
dans les profondeurs du tronc cérébral qu’est
généré cet état du cerveau. Ceci
dit, il ne faut pas voir l’ensemble
des structures corticales et limbiques impliquées dans
le sommeil paradoxal comme subissant passivement des ordres
venus du tronc cérébral. Au contraire, l’imagerie
onirique particulière associée au sommeil paradoxal
est le fruit d’une interaction dynamique entre certaines
structures clés du tronc cérébral et le
reste de l’encéphale.
C’est la découverte que le sommeil paradoxal
était présent chez presque tous les mammifères
qui ouvrit la porte aux premières expérimentations
animales par Michel Jouvet au début des années
1960. Des études de lésions et de stimulations
électriques en particulier chez le chat permirent de circonscrire
progressivement au tronc cérébral les
neurones à l’origine du sommeil
paradoxal. L’une de ces approches consiste à
diviser le cerveau en deux parties et d’essayer de voir
laquelle des deux conserve l’activité de la fonction
recherchée. On répète ensuite l’opération
dans la moitié « gagnante » pour
circonscrire encore d’avantage la région impliquée,
et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on isole certains
noyaux essentiels.
Comme chaque partie du cerveau est
souvent densément
interconnectée avec les autres, on aurait pu penser que
la moindre subdivision du cerveau aurait détruit l’activité électrique
propre au rêve. Mais étonnamment, les régions
du tronc cérébral génératrices du
sommeil paradoxal peuvent garder leur activité fonctionnelle
même si elles sont déconnectées de pratiquement
tout le reste de l’encéphale. À l’inverse,
la destruction d’une toute petite portion du tronc cérébral
peut prévenir l’expression du sommeil paradoxal.
Quels sont donc ces noyaux, localisés dans une très
petite portion du tronc cérébral, qui sont à
la fois nécessaires et suffisants à l’activité
nerveuse du sommeil paradoxal ? Essentiellement, ils sont dans
la protubérance (aussi appelée le pont), et particulièrement
dans sa partie rostrale qui fait jonction avec le mésencéphale.
Un noyau fondamental pour le sommeil paradoxal
est le noyau
reticularis pontis oralis (RPO) qui s’étend
du mésencéphale caudal à la protubérance
rostrale. Une population de neurones dans cette région
est sélectivement active durant le sommeil paradoxal.
Les études de lésion de cette petite région
du tegmentum pontique ont également montré qu’elle
était requise pour avoir un sommeil paradoxal normal.
Coupe sagittale d’un
cerveau de chat, modèle de choix pour l’étude
du sommeil paradoxal, montrant un schéma simplifié de
certaines structures impliquées dans le contrôle
du sommeil paradoxal. (Source: adapté de
Appleton & Lange, Kandel, Schwartz, Jessell, Principles
of Neural Science)
Le sommeil paradoxal peut être provoqué par
microinjection d’agonistes de
l’acétylcholine dans cette petite région
dont on ignore si elle est suffisante pour la génération
de tous les aspects du sommeil paradoxal comme l’est par
exemple le
noyau suprachiasmatique pour notre cycle
circadien.
Cette élévation soudaine de l’activité
des neurones
cholinergiques de la protubérance (ou pont) nécessaire
à l’apparition du sommeil paradoxal peut sembler
pour le moins étrange étant donné que les
systèmes à acétylcholine sont reconnus
pour leur rôle dans l’éveil.
Comment expliquer qu’un système associé
à l’éveil comme le l’acétylcholine
soit activé pendant l’une de nos phases de sommeil
? La réponse réside probablement dans la diminution
parallèle de l’activité de deux autres noyaux
produisant d’autres neurotransmetteurs de l'éveil,
diminution tout aussi nécessaire à l’avènement
du sommeil paradoxal : le noyau dorsal du raphé, un
amas de neurones sérotoninergiques, et le locus
coeruleus, un groupe de neurones noradrénergiques,
tous deux situés dans la partie rostrale de la protubérance.
Le sommeil paradoxal ne peut apparaître que si toute activité a
cessé dans ces deux systèmes aminergiques principaux
du tronc cérébral. On peut parler en quelque sorte
d’un système permissif pour ces neurones à sérotonine
et à noradrénaline (qu’on qualifie aussi
de SP-Off pour
désigner leur inactivité durant le sommeil paradoxal)
dans le sens où le sommeil paradoxal ne devient possible
que lorsque leur activité a cessé. L’arrêt
de cette activité pourrait par exemple aider à la
suppression de la
conscience durant le sommeil paradoxal. Les périodes
de sommeil paradoxal se terminent d’ailleurs quand les
neurones aminergiques redeviennent actifs.
L’une des caractéristiques les plus singulières
du sommeil paradoxal, la paralysie totale du corps qu’il
provoque, trouve
aussi son explication dans certaines régions du tronc
cérébral.
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